Depuis 2003, la première chambre civile de la Cour de cassation a rejeté toutes les tentatives des victimes de scléroses en plaques pour obtenir la condamnation des laboratoires fabriquant les vaccins anti hépatite B, considérant que l'état des connaissances scientifiques ne permettait d'établir avec certitude ni l'imputabilité de ces affections à la vaccination, ni la défectuosité des vaccins (1). Dégagée dans le cadre de la vaccination anti hépatite B, cette jurisprudence allait d'ailleurs être confirmée (2) et appliquée dans d'autres cas de figure voisins mettant en cause d'autres médicaments (3). Cette rigueur allait, toutefois, être cantonnée aux seules victimes relevant du droit commun. Grâce au jeu de la présomption d'imputabilité favorisant la qualification d'accident du travail, les salariés soumis à une obligation de vaccination professionnelle allaient rapidement bénéficier de la prise en charge de leur sclérose en plaques par la Sécurité sociale (4). Le Conseil d'Etat allait, à son tour, admettre l'imputabilité d'une sclérose en plaques à une vaccination professionnelle pour faire bénéficier un agent public des dispositions statutaires applicables aux affectations de service (5). La première chambre civile de la Cour de cassation se trouvait, par conséquent, dans une position difficile, accusée de pérenniser une discrimination à l'encontre des victimes de "simples" vaccinations anti hépatite B. La Cour de cassation ayant annoncé, dans le cadre de son rapport annuel pour 2007, qu'elle pourrait revoir sa jurisprudence, les arrêts rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation étaient attendus avec une particulière attention (6) ; c'est tout l'intérêt des décisions rendues le 22 mai 2008, dont trois d'ailleurs soumises à la plus large des publicités (7).
Une importante évolution de la jurisprudence. Ces arrêts marquent incontestablement un tournant dans l'évolution de la jurisprudence.
Le premier arrêt rendu en 2003 sonnait, en effet, comme une fin de non-recevoir, en apparence définitive, opposée aux victimes ; la Haute juridiction avait affirmé, dans l'affaire qui lui était soumise, que "le défaut du vaccin comme le lien de causalité entre la vaccination et la maladie ne pouvaient être établis" et avait prononcé une cassation pour violation de la loi, en l'occurrence les "articles 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) et 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) du Code civil interprétés à la lumière de la Directive CEE n° 85/374 du 25 juillet 1985 (N° Lexbase : L9620AUT)" (8). La juridiction de renvoi ne s'y était d'ailleurs pas trompée et s'était rangée derrière ce qui ressemblait être alors la doctrine de la Cour de cassation en matière de sclérose en plaques et de vaccination anti hépatite B (9).
La Cour de cassation avait, ensuite, semblé assouplir sa position, même si la conclusion demeurait malheureusement inchangée pour les victimes. Dans une décision rendue en 2005, la première chambre civile avait admis que soit condamné un laboratoire, alors que l'imputabilité de l'affection, le syndrome de Lyell, à l'un des médicaments, ne semblait pas évidente compte tenu de l'absence de certitudes scientifique sur l'étiologie de la maladie (10).
En 2006, et dans une affaire concernant les mêmes vaccins anti hépatite B dans l'apparition d'une autre affectation, le syndrome de Guillain-Barré, la première chambre civile de la Cour de cassation avait, également, cassé une décision qui avait retenu la responsabilité du fabricant, mais cette fois-ci pour violation de la loi, les juges du fond se voyant reprocher d'avoir déduit son caractère défectueux de la seule présence de cette affectation au titre des éventuels effets indésirables mentionnés sur la notice d'information du vaccin (11).
Enfin, dans un arrêt inédit rendu en 2007, la première chambre civile de la Cour de cassation avait rejeté le pourvoi dirigé contre un arrêt qui avait débouté les victimes de leurs demandes, et pris la peine de reprendre à son compte la motivation des juges du fond qui avaient notamment considéré qu'un éventuel défaut de sécurité du vaccin ne peut se déduire du seul fait que l'hypothèse d'un risque vaccinal non démontrée ne pouvait être exclue (12).
Pour la première fois, donc, depuis 2003, la Cour de cassation censure des arrêts d'appel qui avaient débouté les victimes, leur reprochant de ne pas avoir recherché, à l'aide des éléments de preuve versés au dossier, si ces derniers pouvaient constituer des "présomptions graves, précises et concordantes" conduisant à la mise en cause de la responsabilité des laboratoires.
L'obligation de motiver le rejet des prétentions au regard de l'existence de présomptions graves, précises et concordantes. Dans une première affaire (n° 05-20.317), un salarié avait présenté les premiers symptômes d'une sclérose en plaques "peu après" avoir été vacciné dans le cadre de l'obligation faite au personnel de la clinique qui l'employait. Après avoir fait admettre l'imputabilité de cette affection à la vaccination pour obtenir réparation dans le cadre de la législation propre aux victimes de vaccinations obligatoires, ainsi que celle applicables aux victimes d'accidents du travail, la victime avait alors assigné le fabricant du vaccin, fort de ces précédentes "victoires".
La cour d'appel l'avait débouté après avoir relevé que le lien de cause à effet entre la sclérose en plaques et la vaccination était scientifiquement impossible à prouver et statistiquement improbable. L'arrêt est cassé, au visa des articles 1353 (N° Lexbase : L1017ABB) et 1382 du Code civil, tel qu'interprété à la lumière de la Directive du 25 juillet 1985, la cour d'appel se voyant reproché d'avoir statué "en référence à une approche probabiliste déduite exclusivement de l'absence de lien scientifique et statistique entre vaccination et développement de la maladie, sans rechercher si les éléments de preuve qui lui étaient soumis constituaient, ou non, des présomptions graves, précises et concordantes du caractère défectueux du vaccin litigieux, comme du lien de causalité entre un éventuel défaut et le dommage subi".
Dans une seconde affaire (n° 06-10.967), les juges d'appel avaient motivé le rejet des prétentions des victimes essentiellement par des considérations étrangères aux faits de l'espèce et tenant à l'insuffisance des connaissances scientifiques sur l'étiologie de la sclérose en plaques. L'arrêt est également cassé, au visa des articles 1353 et 1147 du Code civil, tel qu'interprété à la lumière de la Directive du 25 juillet 1985, la Cour de cassation reprochant aux juges du fond de n'avoir pas examiné les éléments de preuve produits par le demandeur qui avait pourtant établi avoir toujours été en bonne santé avant la première poussée de sclérose en plaques, ne présenter aucun facteur connu susceptible d'expliquer, autrement que par la vaccination, l'apparition de la maladie, et avoir développé les premiers symptômes quelques mois seulement après sa vaccination.
Interrogations sur la portée de la solution. La question qui se pose, désormais, à la lecture de ces arrêts est des plus simples : les victimes parviendront-elles à obtenir la condamnation des laboratoires, en l'état actuel de cette nouvelle jurisprudence ? Nous pensons qu'une réponse positive est possible, même si la voie est étroite. Si la preuve de l'imputabilité des poussées de sclérose en plaques à la vaccination nous semble, dans ces conditions, du domaine du possible (I), la preuve par présomption de la défectuosité du médicament semble en revanche plus aléatoire, ce qui risque de compromettre la portée effective des arrêts rendus le 22 mai 2008 pour les victimes (II).
I - L'imputabilité de la sclérose en plaques à la vaccination
Le recours aux présomptions pour prouver l'imputabilité. Le recours aux présomptions pour prouver le lien de causalité entre un fait et le dommage qui semble en être résulté est fréquent en droit de la responsabilité civile.
Cette référence aux "présomptions graves, précises et concordantes" apparaît d'ailleurs classiquement de la jurisprudence de la Cour de cassation, toutes chambres et matières confondues (13), singulièrement dans celui de la première chambre civile concernant la preuve de l'imputabilité de la contamination par le virus de l'hépatite C à la transfusion de produits sanguins (14). C'est en se référant à ces "présomptions graves, précises et concordantes" que l'imputabilité d'une hypertension artérielle pulmonaire primitive à l'Isoméride a pu être retenue (15), ou que la maladie de Creutzfeldt Jakob a pu être rattachée à l'hormone de croissance fournie par l'association France hypophyse (16). C'est, également, en se fondant sur l'existence de présomptions "graves, précises et concordantes" que la Cour de cassation a admis la condamnation du fabricant de l'Isoméride en 2006 (17).
Les présomptions pertinentes en l'espèce. Les "fait connus" dont le juge pourra déduire l'imputabilité sont aujourd'hui identifiés grâce aux différentes jurisprudences dégagées, notamment, pour indemniser les victimes de contaminations transfusionnelles par le VIH (18) ou le VHC (19). C'est, d'ailleurs, en se fondant sur un faisceau d'indices comparables que le Conseil d'Etat a pu conclure à l'imputabilité de la sclérose en plaquess à la vaccination anti hépatite B dans ses arrêts du 9 mars 2007 (20).
Ces indices sont classiquement l'absence de tout symptôme antérieurement à la vaccination, à tout le moins leur caractère limité, l'apparition des premiers symptômes de l'affection dans un temps voisin de celui de la vaccination, ou d'une aggravation significative de l'état de santé du malade, et l'absence de toute prédisposition connue de la victime à l'affection contractée. Lorsque ces circonstances sont établies, le cas échéant après un débat contradictoire mené sur le caractère "grave, précis et concordant" des indices invoqués par la victime, les juges peuvent valablement considérer l'imputabilité comme présumée. Il appartiendra alors au défendeur, ici les laboratoires fabriquant les médicaments, de renverser cette présomption d'imputabilité en établissant que la vaccination ne peut pas être la cause de l'affection, soit parce que celle-ci résulte avec certitude d'une autre cause connue qui explique entièrement la survenance du dommage, soit parce qu'elle pourrait fournir une preuve scientifique décisive de l'innocuité du produit en cause.
Les conséquences pour la victime du recours aux présomptions. L'intérêt du recours aux présomptions pour établir l'imputabilité de la sclérose en plaques est évident dans la mesure où le risque de la preuve lié à l'absence de certitudes scientifiques change alors de tête. Exiger de la victime la preuve directe et certaine de l'imputabilité lui impose en effet un effort probatoire hors de proportion avec son aptitude à la preuve, et conduit le juge à la débouter en cas de doute ; en revanche, en admettant la preuve par de simples présomptions, le risque de la preuve, et singulièrement le risque lié à l'absence de certitudes scientifiques sur l'étiologie de l'affection, est transféré sur les épaules du défendeur qui succombera tant que la maladie ne sera pas mieux connue. Certes sévère pour les laboratoires, la solution aurait le mérite de faire peser sur celui qui a la meilleure aptitude à la preuve le risque lié au doute scientifique et, par conséquent, d'inciter les fabricants à investir encore plus dans la recherche pour apporter la preuve déterminante qui fait aujourd'hui défaut pour mieux connaître l'étiologie de la sclérose en plaques, notamment.
Dès lors que les juges du fond se seront situés dans ce cadre d'analyse, la Cour de cassation devrait logiquement confirmer les arrêts rendus conformément au pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond auquel la Cour de cassation fait d'ailleurs expressément référence dans deux des arrêts rendus le 22 mai 2008, certes pour justifier le rejet des demandes introduites par les victimes.
Mais l'admission de la preuve de l'imputabilité des poussées de sclérose en plaques à la vaccination ne constitue que l'une des étapes du processus probatoire pouvant conduire à la condamnation des fabricants. Or, ce sont les étapes suivantes qui semblent les plus difficiles à franchir.
II - La difficile preuve de la défectuosité des vaccins anti hépatite B
Présomption et défaut intrinsèque du produit de santé. La définition du défaut du produit, telle qu'elle s'évince de la Directive du 25 juillet 1985, impose logiquement une analyse in abstracto puisqu'est défectueux le produit qui "n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre" (21). Les juges doivent donc raisonner en termes de bilan coût/avantages, sans tenir compte, à tout le moins à ce stade du raisonnement, des données propres au patient.
Cette probabilité est, disons les choses clairement, assez faible s'agissant des médicaments, compte tenu du très haut niveau de sécurité auquel sont tenus les fabricants à l'occasion de la procédure de l'autorisation de mise sur le marché. Certes, la délivrance de cette autorisation ne constitue ni une cause juridique directe d'exonération (22), ni même une garantie que le médicament ne présente pas de défaut, précisément lorsque l'état des connaissances scientifiques ne permet pas de déceler le défaut avant la mise sur le marché ; il serait ainsi tout à fait possible d'imaginer que, pour des raisons que l'on ignore encore aujourd'hui, les vaccins anti hépatite B présentent ce type de défaut que la science n'est pas encore en mesure d'identifier avec certitude.
Dans ces conditions, et en l'état actuel des connaissances scientifiques, la preuve directe du défaut du produit semble donc assez improbable.
Les limites du recours aux simples présomptions de fait. Seule pourrait alors conduire à la preuve du défaut du produit soit l'apparition de nouvelles études scientifiques accréditant cette thèse, soit une modification des termes du bilan coût/avantage, c'est-à-dire l'apparition d'un nombre suffisamment significatif d'accidents vaccinaux pour que les juges révisent leur jugement et considèrent, en se fondant sur une approche statistique, que le produit, par ses caractères propres, n'offre pas (ou plus) la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Or, c'est précisément cette méthode qui a été stigmatisée dans l'un des arrêts, la Cour de cassation ayant reproché aux juges du fond d'avoir débouté les victimes de leur demande selon une "approche probabiliste déduite exclusivement de l'absence de lien scientifique et statistique entre vaccination et développement de la maladie" (n° 05-20.317).
La nécessaire reconnaissance d'une présomption de défectuosité. La seule solution consisterait, alors, à faire bénéficier les victimes d'une présomption de défectuosité dont le bénéfice découlerait directement de la présomption d'imputabilité de la sclérose en plaques à la vaccination, et de l'impossibilité dans laquelle se trouverait le fabricant de prouver avec certitude l'innocuité de son produit. Cette solution audacieuse placerait alors les victimes dans une position extrêmement favorable, puisque le doute leur profiterait dès lors que le fabricant ne serait pas en mesure de rapporter la preuve contraire, ce qui semble, en l'état actuel des connaissances scientifiques, impossible. Cet argument avait été avancé devant la Cour de cassation dans l'une des affaires, mais a été clairement écarté par la Haute juridiction qui a affirmé, de manière très nette, que "l'absence de certitude sur l'innocuité du vaccin n'emporte pas de présomption de défaut" (n° 06-18.848) (23).
La voie de la présomption de défectuosité est donc, pour le moment, fermée, ce qui montre les limites des arrêts rendus le 22 mai 2008.
L'exonération possible du fabricant. Par ailleurs, et même à supposer que la victime pourrait parvenir à convaincre le juge du défaut qui pourrait affecter le vaccin, son producteur pourrait s'exonérer en invoquant les termes de l'article 1386-11, 4° du Code civil (N° Lexbase : L1504ABC), et "que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut". Cette possibilité a, d'ailleurs, été expressément envisagée par la Cour de cassation dans le cadre du rapport annuel 2007 (24).
Il convient, toutefois, de préciser, ici, que cette cause d'exonération ne peut être opposée à la victime que dans le champ d'application temporel de la loi du 19 mai 1998 (loi n° 98-389, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux N° Lexbase : L2448AXX), c'est-à-dire pour les produits mis en circulation à partir du 21 mai 1998. Pour les produits mis en circulation avant cette date, la Directive du 25 juillet 1985, qui laisse aux Etats une option de transposition, n'impose par conséquent au juge national aucune interprétation conforme (25), ce qui laisse ce dernier libre de refuser au producteur l'exonération pour risque de développement. Or, on sait que la Cour de cassation a toujours refusé de considérer que le vice interne du produit puisse présenter les critères de la force majeure, seule à même d'exonérer le producteur de sa responsabilité de plein droit (26).
Reste alors à la victime de tenter d'établir le défaut du produit non en contestant ses qualités standards, mais en contestant la qualité de l'information fournie par le producteur sur les conditions particulières d'utilisation du produit, ou les précautions à prendre.
Défectuosité extrinsèque du produit et manquement à l'obligation d'information du fabricant. Comme le précise l'article 6 de la Directive du 25 juillet 1985, le défaut du produit peut, également, résulter d'un manque d'informations du consommateur sur les conditions d'utilisation de ce produit, manque qui fausse par conséquent l'appréciation de la sécurité particulière à laquelle ce consommateur peut légitimement s'attendre, et qui peut même rendre le produit dangereux si ces carences portent sur des conditions particulières d'utilisation ou des données propres à la victime susceptibles de modifier le bénéfice escompté du produit.
C'est grâce à cette obligation d'information qui pèse sur le producteur que des qualités du produit, qui ne seraient pas suffisantes pour caractériser le défaut intrinsèque de celui-ci, pourrait toutefois conduire à l'indemnisation de la victime, dès lors que celle-ci n'en aurait pas été informée, et n'aurait donc pas pu décider d'utiliser ce produit en toute sécurité.
C'est ainsi que de simples effets indésirables ne peuvent caractériser en eux-mêmes le défaut du produit (27), car ce défaut ne saurait résulter de la seule "gravité des effets nocifs constatés" (28), mais qu'ils peuvent parfaitement conduire à la condamnation du producteur dès lors qu'ils n'avaient pas été mentionnés dans la notice d'utilisation remise au patient (29), ou que cette notice les a minorés (30).
Obligation d'information et incertitudes scientifiques. Reste alors à déterminer l'étendue de l'obligation d'information du producteur face à des risques dont l'existence n'a jamais été avérée scientifiquement.
Jusqu'à une période récente, il semblait admis que l'information trouvait ses limites dans les données acquises de la science. Dégagée pour les rédacteurs d'actes juridiques à qui on ne saurait reprocher de ne pas avoir informé ses clients d'évolutions futures de la jurisprudence, en l'absence de toute incertitude portant sur les points de droit concernés (31), cette solution a été appliquée en matière de responsabilité médicale à l'obligation d'information du médecin (32) ou des fabricants de médicaments (33).
Dès lors, il semblait logique de considérer que le producteur ne doit informer le consommateur de risques particuliers que si ces derniers sont avérés scientifiquement.
L'évolution de la jurisprudence. Or, telle n'est pas la solution à laquelle conduit l'un des arrêts rendus le 22 mai 2008 (n° 06-14.952). Dans cette affaire, en effet, la cour d'appel avait refusé de considérer comme incomplète la notice d'information du vaccin Engerix B qui ne mentionnait pas l'existence d'un risque, même simplement suspecté, de poussées de sclérose en plaques, après avoir constaté "qu'à cette époque il n'existait aucune preuve épidémiologique d'une association causale significative entre la vaccination contre l'hépatite B et la pathologie de la sclérose en plaques". Cette décision est cassée, la première chambre civile de la Cour de cassation reprochant à la cour d'appel d'avoir ainsi conclu "tout en relevant que l'édition pour 1994 du dictionnaire Vidal mentionnait au titre des effets indésirables la survenue exceptionnelle de sclérose en plaques". La référence au Vidal montre bien non seulement que cet ouvrage participe à la détermination de la notion de "données acquises de la science", ce que l'on savait déjà (34), mais de surcroit que doivent être considérées comme acquises non seulement les données scientifiquement certaines, mais encore toutes celles qui, même incertaines, sont susceptibles de déterminer le comportement des patients en les incitant à mettre en oeuvre pour eux-mêmes le principe de précaution en s'abstenant de consommer le produit litigieux.
Cette extension de l'information due par le producteur nous semble parfaitement bienvenue (35). Le fait que le Vidal mentionne expressément, même au titre des effets indésirables, la possible apparition de poussées de sclérose en plaques, montre que ce risque n'est plus seulement un fantasme mais qu'il se nourrit d'un certain nombre d'éléments tangibles qui lui confèrent une crédibilité suffisante pour faire intégrer les données acquises de la science, non comme certitudes, mais à tout le moins comme doutes raisonnables.
Conclusion : de la responsabilité civile à la solidarité nationale. Ces arrêts rendus le 22 mai 2008 constituent une étape dans le combat que mènent les victimes de scléroses en plaques pour obtenir la condamnation des fabricants de vaccin anti hépatite B. La porte, qui semblait fermée, s'est incontestablement entr'ouverte. La détermination d'une méthode d'appréciation rigoureuse de l'imputabilité de la maladie à la vaccination et de la défectuosité des produits, et la référence au pouvoir souverain des juges du fond, rend aujourd'hui possible la condamnation des laboratoires. Mais la route est encore longue car sans nouvelles preuves scientifiques, la preuve du défaut du produit nous semble difficile à établir autrement que par l'admission d'une présomption de défectuosité que la Cour de cassation se refuse pour le moment à reconnaître. Par ailleurs, les fabricants mis en cause pourront, dès lors qu'ils relèveront de la loi du 19 mai 1998, s'exonérer en opposant l'impossibilité dans laquelle ils se trouvaient de déceler le défaut.
Cette faculté d'exonération, admise par l'article 1386-11 du Code civil, ouvrira toutefois la voie de la solidarité nationale pour les vaccinations survenues à compter du 5 septembre 2001. L'article L. 1142-1, II, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8853GT3), subordonne en effet le droit d'être indemnité par l'ONIAM à une condition préalable qui tient au fait que "la responsabilité [...] d'un producteur de produit n'est pas engagée". Or, tel est bien le cas lorsque ce dernier a opposé avec succès à la victime la cause d'exonération tirée de l'état des connaissances scientifiques. C'est donc la solidarité nationale qui pourrait, en définitive, prendre en charge ces victimes, comme elle le fait d'ailleurs aujourd'hui dans le cadre du régime propre aux vaccinations obligatoires. Mais n'est-ce pas finalement sa fonction même ?
(1) Cass. civ. 1, 23 septembre 2003, n° 01-13.063, Société Laboratoire Glaxo-Smithkline c/ Mme X, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5811C94), Resp. civ. et assur., 2003, chron. 28, Ch. Radé ; D., 2004, p. 898, note Y.-M. Sérinet et R. Mislawski ; JCP éd. G, 2003, II, 10179, note coll. ; RLDC, 2004, p. 11, chron. S. Hocquet-Berg ; RTDCiv., 2004, p. 101, obs. P. Jourdain ; JCP éd. G, 2004, I, 101, p. 23 s., obs. G. Viney.
(2) Cass. civ. 1, 27 février 2007, n° 06-10.063, Mlle Malika Boubaa, F-D (N° Lexbase : A4172DU3), Resp. civ. et assur., 2007, comm. 165, obs. A. Gouttenoire et Ch. Radé.
(3) Cass. civ. 1, 5 avril 2005, n° 02-11.947, Société Glaxosmithkline, venant aux droits de la société Laboratoire Glaxo Wellcome c/ M. Roland Carro, FS-P+B (N° Lexbase : A7474DHB), Resp. civ. et assur., 2005, comm. 189, et les obs., JCP éd. G, 2005, II, 10085, note L. Grynbaum et J.-M. Job, D., 2005, p. 2256, note A. Gorny, RTDCiv., 2005, p. 607, obs. P. Jourdain, D., 2006, pan. P. 1931, obs. P. Jourdain (syndrome de Lyell imputé à deux médicaments anti-goutte, le Zyloric et la Colchimax).
(4) Cass. soc., 2 avril 2003, n° 00-21.768, M. Albert X c/ Caisse primaire d'assurance maladie CPAM du Gard et autres (N° Lexbase : A6375A7A), D. 2003, p. 1724, note H. Kobina Gaba ; Cass. civ. 2, 25 mai 2004, n° 02-30.981, Hôpital Saint-Joseph c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Sarreguemines, FS-P+B (N° Lexbase : A2759DC8), Bull. civ. II, n° 237.
(5) CE 4° et 5° s-s-r., 9 mars 2007, 4 arrêts, n° 267635, Mme S. (N° Lexbase : A5805DUK), n° 278665, Commune de Grenoble (N° Lexbase : A5813DUT), n° 283067, Mme P. (N° Lexbase : A5819DU3) et n° n° 285288, Mme T. (N° Lexbase : A5824DUA), AJDA, 2007, p. 861, concl. T. Olson, JCP éd. A, 2007, n° 2108, note D. Jean-Pierre, n° 2277, note S. Carpi-Petit, JCP éd. G, 2007, II, 10142, note A. Laude.
(6) Rapport annuel, p. 239.
(7) Cass. civ. 1, 22 mai 2008, n° 05-20.317, n° 06-14.952, et n° 06-10.967.
(8) Sévérité soulignée, d'ailleurs, par le rapport annuel de la Cour de cassation, préc..
(9) CA Paris, 1ère ch., sect. B, 2 juin 2006, n° 03/17991 (N° Lexbase : A0627DRN), Resp. civ. et assur., 2006, comm. 306, et les obs.. Cet arrêt est confirmé par le rejet du pourvoi dans l'arrêt n° 06-18.848.
(10) Cass. civ. 1, 5 avril 2005, préc. Dans cette affaire, la Cour de cassation avait en revanche cassé la condamnation d'un autre fabricant. La cour d'appel de renvoi avait écarté la responsabilité de ce fabricant (CA Angers, 16 juin 2006, Resp. civ. et assur. 2006, comm. 304, et les obs.), dans la mesure où la victime n'établissait pas la preuve du défaut du produit, et cet arrêt est confirmé par le rejet du pourvoi dans l'arrêt n° 07-17.200.
(11) Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, n° 03-19.534, Société Aventis Pasteur MSD, venant aux droits de la société Pasteur Vaccins c/ Mme Paule X, épouse Y, FS-P+B (N° Lexbase : A6043DMR), Resp. civ. et assur. 2006, comm. 91, et les obs., RTDCiv., 2006, p. 323, obs. P. Jourdain.
(12) Cass. civ. 1, 27 février 2007, préc., Resp. civ. et assur., 2007, comm. 165, obs. A. Gouttenoire et Ch. Radé.
(13) Ainsi, la preuve de la paternité hors mariage (Cass. civ. 1, 20 février 2001, n° 98-22.509, inédit N° Lexbase : A3302ARQ), de l'intention libérale (Cass. civ. 1, 2 mai 2001, n° 98-22.706, inédit N° Lexbase : A3475ATU), d'une faute caractérisée sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (Cass. civ. 2, 6 février 2003, n° 00-16.378, inédit N° Lexbase : A9172A4H).
(14) Ainsi, Cass. civ. 1, 15 novembre 2005, n° 03-15.951, inédit (N° Lexbase : A5467DL3) ; Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 06-18.647, publié (N° Lexbase : A9158DUQ).
(15) Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, préc..
(16) Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, préc., Resp. civ. et assur., 2006, comm. 89, et les obs..
(17) Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, préc..
(18) Cass. civ. 2, 10 juin 1999, n° 98-06.004 (N° Lexbase : A9332CQP) ; Cass. civ. 2, 13 juillet 2000, n° 99-06.003 (N° Lexbase : A6497CSG) ; Cass. civ. 2, 14 décembre 2000, n° 00-06.002, inédit (N° Lexbase : A4358CTL).
(19) Cass. civ. 1, 29 avril 2003, n° 00-20.371, inédit (N° Lexbase : A7492BSB).
(20) CE, 9 mars 2007, préc.. Voir cependant CE, 5° et 4° s-s-r., 21 mars 2008, n° 288345, Royer (N° Lexbase : A5021D74), qui rejette tout lien d'imputabilité entre la vaccination anti hépatite B et un "état de faiblesse musculaire généralisée [...] compte tenu notamment de l'état actuel des connaissances scientifiques selon lesquelles la probabilité d'un lien entre la vaccination et les troubles constatés était très faible".
(21) En ce sens la méthode explicitée par CA Angers, 16 juin 2006, préc..
(22) Directive du 25 juillet 1985, art. 15, b) ; C. civ., art. 1386-10 (N° Lexbase : L1503ABB).
(23) Déjà, en ce sens, Cass. civ. 1, 27 janvier 2007, préc..
(24) Préc..
(25) Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, Institut Pasteur, préc..
(26) Par exemple Cass. civ. 1, 12 avril 1995, n° 92-20.747, Consorts X c/ Centre régional de transfusion sanguine de l'hôpital Purpan (N° Lexbase : A4877ACM), JCP éd. G, 1995, II, 22467, note P. Jourdain.
(27) Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, préc., Resp. civ. et assur., 2006, comm. 91, et les obs. préc. (syndrome de Guillain-Barré).
(28) Cass. civ. 1, 5 avril 2005, préc..
(29) La remise au médecin d'une notice complète d'information ne saurait suffire à écarter la qualification de produit défectueux dès lors que le patient n'a reçu pour sa part qu'une information incomplète : Cass. civ. 1, 22 novembre 2007, n° 06-14.174, Société Dermatech, F-P+B (N° Lexbase : A7100DZY), Resp. civ. et assur., 2008, comm. 30, et les obs. (affaire du Dermalive).
(30) Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, Société Les laboratoires Servier, préc. (second moyen du pourvoi principal des Laboratoires Servier).
(31) Cass. civ. 1, 25 novembre 1997, n° 95-22.240, Banque immobilière européenne c/ M. X et autres (N° Lexbase : A0801ACN), Bull. civ. I, n° 328 ; Cass. civ. 1, 9 décembre 1997, n° 95-21.407, Société Ariane et autre c/ Recette Principale des impôts d'Anglet et autres (N° Lexbase : A0784ACZ), Bull. civ. I, n° 362.
(32) Cass. civ. 1, 7 juillet 1998, n° 97-10.869, M. X c/ Société Clinique Saint-Martin et autres (N° Lexbase : A8060AGM), Resp. civ. et assur., 1998, comm. 393, 1ère esp. ; Cass. civ. 1, 21 janvier 2003, n° 00-18.229, inédit (N° Lexbase : A7410A49) ; CA Aix-en Provence, 10ème ch., sect. B, 21 février 2007, n° 04/11740 (N° Lexbase : A6685D3Y) ; CA Amiens, 14 mai 2007, n° 06/02711 (N° Lexbase : A6686D3Z) (rendu sur renvoi de Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, préc.).
(33) Cass. civ., 8 avril 1986, n° 84-11.443, M. Thorens c/ Société Merell Toraude et autre (N° Lexbase : A2983AAQ), JCP éd. G, 1987, II, 20721, note Viala et Viandier.
(34) CA Paris, 27 septembre1990, D., 1990, somm. p. 244.
(35) Il convient de noter que ce risque avait été mentionné sur la notice de l'autre vaccin mis en cause dans l'affaire qui avait donné lieu à l'arrêt du 23 septembre 2003, préc..