CIV. 1 I.G
COUR DE CASSATION
Audience publique du 29 avril 2003
Cassation partielle
M. CANIVET, premier président
Pourvoi n° T 00-20.371
Arrêt n° 527 FS D
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par
1°/ l' Établissement français du sang (EFS), établissement public, venant aux droits du Centre régional de transfusion sanguine de Lyon, dont le siège est Paris,
2°/ l'Association Centre régional de transfusion sanguine de Lyon, dont le siège est Lyon,
en cassation d'un arrêt rendu le 13 avril 2000 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre), au profit
1°/ de Mme Sabine X, épouse X, demeurant Lyon,
2°/ de la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Lyon, dont le siège est Lyon,
défenderesses à la cassation ;
Mme Sabine X a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article L. 131-6-1 du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 11 mars 2003, où étaient présents M. Canivet, premier président, M. Lemontey, président de chambre, M. Bouscharain, conseiller rapporteur, MM. Bargue, Croze, Mme Crédeville, M. Gallet, conseillers, Mmes Cassuto-Teytaud, Duval-Arnould, M. Besson, Mme Gelbard-Le Dauphin, M. Creton, Mme Richard, M. Lafargue, conseillers référendaires, M. Mellottée, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Bouscharain, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de l'Établissement français du sang (EFS), venant aux droit du Centre régional de transfusion sanguine de Lyon et de l'Association Centre régional de transfusion sanguine de Lyon, de la SCP Gatineau, avocat de Mme X, les conclusions de M. Mellottée, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Donne acte à l'Établissement français du sang du désistement de son pourvoi, en ce qu'il était dirigé contre la Caisse primaire d'assurance maladie de Lyon ;
Attendu qu'ayant appris qu'elle était porteuse du virus de l'hépatite C, Mme X, imputant sa contamination à la transfusion qu'elle avait subie lors d'un accouchement, a recherché la responsabilité du Centre de transfusion sanguine de Lyon (le CRTS), aux droits duquel se trouve l'Établissement français du sang, ainsi que l'indemnisation de son préjudice ;
Sur le deuxième moyen, du pourvoi principal de l'Établissement français du sang, qui est préalable
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir refusé d'ordonner une nouvelle expertise, alors, qu'en retenant, pour rejeter la demande d'expertise sur le point de savoir si la transfusion d'une poche de sang pour remédier à une hémorragie importante présentait une quelconque utilité au regard des données de la science à l'époque des faits, que la seule critique des professeurs Genetet et Mannoni ne pouvait mettre en cause la nécessité de la transfusion effectuée sur Mme X, la cour d'appel aurait dénaturé les conclusions du CRTS et violé l'article 1134 du Code civil, ensemble l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'en considérant que la critique formulée par les professeurs Genetet et Mannoni sur la pratique systématique et routinière de la transfusion sanguine ne pouvait mettre en cause la nécessité de la transfusion effectuée pour Mme X, la cour d'appel n'a fait, sans dénaturer les conclusions invoquées, que formuler sa propre opinion sur la pertinence des moyens proposés au soutien de la demande de nouvelle expertise ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches, du même pourvoi
Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré le CRTS responsable de la contamination de Mme X par le virus de l'hépatite C et de l'avoir condamné à indemnisation envers celle-ci, alors
1°/ qu'en énonçant, pour retenir l'existence d'un lien de causalité entre les produits transfusés et la contamination, que le CRTS ne rapportait pas la preuve que la contamination de Mme X n'était pas due à la transfusion ni qu'elle ait été due à une cause étrangère, alors qu'il appartient à la personne qui impute l'origine de sa contamination à des produits sanguins de rapporter la preuve d'un lien de causalité entre la transfusion de ces produits et la contamination apparue par la suite, la cour d'appel aurait inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du Code civil ;
2°/ qu'en affirmant l'existence de présomptions graves précises et concordantes permettant de retenir un lien de causalité entre la transfusion effectuée en 1983 et la contamination de Mme X, faute pour le CRTS de démontrer que la contamination ne pouvait être due à la transfusion ou qu'elle résultait d'une cause étrangère sans répondre au moyen qui faisait valoir que le risque de transmission du virus de l'hépatite C, lorsqu'il y a eu transfusion d'une seule poche de sang est de 2 % et que 40 % des cas de contamination demeurent d'origine inconnue, la cour d'appel aurait privé sa décision de motifs et violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, la cour d'appel a retenu qu'étant acquis que la transfusion d'une unité de sang ne présentait qu'un risque de 2 % de contamination et que, par ailleurs, 40 % des hépatites apparaissaient sans cause connue, l'expertise avait démontré que Mme X ne présentait pas d'antécédents ni d'autres facteurs de risques de contamination par le virus de l'hépatite C, hormis la transfusion sanguine pratiquée en 1983 ; que, par une appréciation souveraine de ces éléments et sans inverser la charge de la preuve, elle a, répondant, en les écartant, aux conclusions invoquées, retenu qu'il existait des présomptions graves, précises et concordantes que la contamination de Mme X par le virus de l'hépatite C était due au sang transfusé ; qu'en aucune de ses branches, le moyen n'est fondé ;
Mais sur le premier moyen, du pourvoi incident de Mme X
Vu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que pour débouter Mme X de sa demande d'indemnisation de la perte d'une chance d'avoir pu réaliser son projet de reprendre une activité professionnelle, l'arrêt attaqué retient que les documents versés aux débats, dont la lettre du Parquet général du 3 décembre 1993, ne permettaient pas d'établir que celle-ci avait une chance d'obtenir son intégration dans la magistrature ;
Attendu, cependant, que Mme X avait prétendu qu'elle s'était assignée l'objectif de reprendre une activité professionnelle ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait sans rechercher si Mme X n'avait pas perdu une chance de reprendre une activité professionnelle en dehors de la magistrature, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
Et sur le second moyen, pris en sa deuxième branche, du même pourvoi
Vu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que pour débouter Mme X de sa demande d'indemnisation au titre de son préjudice spécifique de contamination, l'arrêt attaqué retient que le préjudice causé par le virus de l'hépatite C ne peut être assimilé au préjudice beaucoup plus grave de contamination par le virus HIV qui recouvre l'ensemble des troubles dans les conditions d'existence entraînés par la séropositivité et la survenance de la maladie déclarée ;
Attendu qu'en se déterminant par ce motif d'ordre général, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait liieu de statuer sur les autres griefs des pourvois
CASSE et ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté Mme X de ses demandes d'indemnisation du préjudice spécifique de contamination et de celui résultant de la perte d'une chance de reprendre une activité professionnelle, l'arrêt rendu le 13 avril 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne l'Établissement français du sang et le Centre régional de transfusion sanguine aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne solidairement l'Établissement français du sang et le Centre régional de transfusion sanguine de Lyon à payer à Mme X la somme de 1 800 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le premier président en son audience publique du vingt-neuf avril deux mille trois.