Résumé
Si l'employeur peut tenir compte des absences, même motivées par la grève, pour le paiement d'une prime, c'est à la condition que toutes les absences, hormis celles qui sont légalement assimilées à un temps de travail effectif, entraînent les mêmes conséquences sur son attribution. La cour d'appel ayant constaté que les absences pour maladie n'entraînaient pas dans l'entreprise d'abattement de la prime d'ancienneté, a pu justement en déduire, s'agissant de périodes d'absence qui ne sont pas légalement assimilées à un temps de travail effectif, que le non-paiement de la prime pour absence pour fait de grève revêtait un caractère discriminatoire. |
Commentaire
I - L'incidence de la grève sur la prime d'ancienneté
Si le Code du travail régit les conséquences de la grève sur la rupture du contrat de travail, il ne porte nulle part trace du principal effet sur la rémunération du gréviste, à savoir la suspension du droit à rémunération.
La seule précision est apportée par l'article L. 2511-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0237H9N) ; ce texte dispose, dans son alinéa 2, que "l'exercice du droit de grève [...] ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire telle que mentionnée à l'article L. 1132-2 (N° Lexbase : L0676H9W), notamment en matière de rémunérations et d'avantages sociaux".
La discrimination dont le gréviste pourrait être victime s'apprécie naturellement en comparaison du traitement réservé aux salariés placés dans la même situation que lui (1). L'employeur sera donc non seulement a priori obligé de traiter tous les grévistes de manière identique, mais, également, d'assurer l'égalité de traitement avec des salariés non grévistes, mais qui seraient, au regard des conséquences salariales de l'exercice du droit de grève, dans une situation identique.
L'employeur ne peut donc pas, en principe, créer, après le conflit, une prime dont il réserverait le seul bénéfice aux non grévistes (2), sauf si ces derniers ont dû fournir, pendant la durée du conflit, un surcroit exceptionnel de travail justifiant, ainsi, une compensation elle aussi exceptionnelle (3).
Le principe de la suspension du droit à rémunération du gréviste reposant sur le mécanisme de l'exception d'inexécution (4), tous les salariés qui cessent de fournir leur travail à leur employeur doivent subir le même traitement, en l'occurrence, les mêmes abattements proportionnels à la durée de l'arrêt de travail (5), sur leur salaire. Une même règle prévaut, d'ailleurs, pour le droit à congés payés, également, réduit à due proportion (6), ainsi que pour les primes dont le bénéfice est subordonné à une condition de présence dans l'entreprise (7), dès lors que l'employeur pratique les mêmes retenues pour les salariés dont le contrat est suspendu pour cause de maladie, ou de congé dans l'entreprise (8) ; ont, ainsi, été sanctionnés les employeurs qui tenaient compte du fait que les absences avaient ou non été autorisées par l'employeur, soit pour refuser de la verser aux grévistes (9), soit pour en moduler le montant au détriment des grévistes (10), ou au bénéfice des salariés absents pour cause de maladie (11).
C'est ce que confirme ce nouvel arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 23 juin 2009 (pourvoi n° 07-42.678), dans une formule, toutefois, inédite : "si l'employeur peut tenir compte des absences, même motivées par la grève, pour le paiement d'une prime, c'est à la condition que toutes les absences [...] entraînent les mêmes conséquences sur son attribution".
Dans cette affaire, neuf salariés ont fait grève le 16 mai 2005, qui était le lundi de Pentecôte, fixé comme journée de solidarité. Estimant avoir fait l'objet d'une mesure discriminatoire à la suite de la retenue effectuée sur leurs salaires de mai et non de juin selon l'usage dans l'entreprise et sur leurs primes d'ancienneté et de chauffeur, ils ont saisi la juridiction prud'homale de demandes de paiement de dommages-intérêts, ainsi que de rappels de primes.
Les grévistes se comparaient aux salariés dont le contrat était suspendu pour cause de maladie, et avaient constaté que ces absences là "n'entraînaient pas dans l'entreprise d'abattement de la prime d'ancienneté". La cour d'appel leur avait donné raison, tout comme la Haute juridiction, qui rejette le pourvoi formé par l'employeur : "la cour d'appel ayant constaté que les absences pour maladie n'entraînaient pas dans l'entreprise d'abattement de la prime d'ancienneté, elle a pu justement en déduire, s'agissant de périodes d'absence qui ne sont pas légalement assimilées à un temps de travail effectif, que le non-paiement de la prime pour absence pour fait de grève revêtait un caractère discriminatoire".
II - La précision introduite concernant les absences légalement assimilée à du temps de travail effectif
L'intérêt de cette décision, rendue en formation de section et destinée à être mentionnée, en plus de la publication mensuelle, au bulletin d'information, est donc ailleurs, plus particulièrement dans une formule inédite qui fait son apparition dans ce genre de situation, et qui réserve l'hypothèse "de périodes d'absence [...] légalement assimilées à un temps de travail effectif". Dans ce cas de figure, l'employeur pourrait donc ne pas opérer de retenues, alors qu'il le ferait, par ailleurs, pour les grévistes.
La justification de cette exception, qui fait son apparition en jurisprudence, est assez aisée à déceler : le salarié dont les absences sont assimilées à du temps de travail effectif n'est pas dans la même situation que le gréviste, qui ne bénéficie pas de cette analyse, ce qui interdit de considérer qu'il pourrait y avoir, ici, discrimination. Certes, le salarié est absent, mais c'est la loi qui impose de le traiter comme s'il ne l'était pas.
Cette solution semble justifiée car le critère utilisé semble effectivement pertinent, à condition, toutefois, que la prime soit directement liée au temps de présence des salariés dans l'entreprise. Si une prime devait avoir une autre fonction (prime de salissure, par exemple), il n'est pas certain que la justification pourrait également valoir.
En visant l'assimilation à du temps de travail effectif, la Cour de cassation vise, bien entendu, les salariés absents à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, ainsi que les absences des salariées pour cause de maternité (12).
En faisant expressément référence aux assimilations légales des absences avec du temps de travail effectif, la Cour écarte également toute assimilation conventionnelle ou résultant d'un usage ou d'un engagement unilatéral de l'employeur. Cette exclusion en creux est certainement de l'analyse que la Cour de cassation fait du Préambule de 1946 (N° Lexbase : L6821BH4), aux termes duquel le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent, et dont on sait que la Haute juridiction fait une lecture littérale qui interdit à une convention collective d'encadrer le régime du droit de grève (13).
(1) Dernièrement, à propos des retenues opérées sur les cadres en forfait-jour : Cass. soc., 13 novembre 2008, n° 06-44.608, Société Giat industries, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2274EBT) et lire nos obs., Grève et retenue sur salaire des cadres en forfait-jours, Lexbase Hebdo n° 328 du 26 novembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N7618BHM) ; Cass. soc., 4 mars 2009, n° 07-45.291, M. Philippe Bourdet, FS-P+B (N° Lexbase : A6349EDI).
(2) Cass. soc., 2 mars 1994, n° 92-41.134, Société Nozal c/ M. Bazier et autres (N° Lexbase : A1961AAU).
(3) Cass. soc., 8 janvier 1981, n° 79-41.253, Ancri c/ Société d'Etudes Réalisations Engineering Peeters Serep (N° Lexbase : A2166AAH). Dernièrement, et refusant cette justification : Cass. soc., 3 mars 2009, n° 07-44.676, Société Air France, F-D (N° Lexbase : A6345EDD).
(4) Cass. soc., 1er juin 1951, n° 51-01.763, Société ardennaise d'Outillage et de Constructions mécaniques (N° Lexbase : A5420A4I), Bull. civ. IV, n° 433 ; Cass. soc., 4 février 1988, Société Sotra Causse Walon et Cie c/ J. Courtin (N° Lexbase : A1517ABS) ; Cass. soc., 2 mars 1994, n° 92-41.134, Société Nozal c/ M. Bazier et autres (N° Lexbase : A1961AAU).
(5) Cass. soc., 8 juillet 1992, n° 89-42.563, Société Sétra c/ M. Khiess (N° Lexbase : A9431AAK) ; Cass. soc., 3 février 1993, n° 90-41.665, M Tadin c/ Les courriers catalans (N° Lexbase : A1007ABW), TPS, 1993, comm. 155 ; Cass. soc., 4 mars 2009, n° 07-45.291, préc.. Pour une confirmation, dans un arrêt rendu le même jour, Cass. soc., 23 juin 2009, n° 08-41.610 à 08-41.617, F-D (N° Lexbase : A4347EIT) : "la cour d'appel, qui a relevé qu'il résultait des feuilles de paie versées au débat que l'employeur avait appliqué deux taux horaires distincts pour les heures de travail et pour les heures de grève, ce dont il se déduisait que les retenues pratiquées pour celles-ci ne respectaient pas la règle de la proportionnalité à l'interruption de travail, a, par ce seul motif, pu retenir l'illicéité des retenues et de la diminution corrélative des primes d'ancienneté". En l'absence de détermination de la répartition des horaires de travail, l'abattement doit être calculé sur l'horaire mensuel (Cass. soc., 19 mai 1998, n° 97-41.900, Société Le Parisien c/ M. Colin et autres N° Lexbase : A2973AC4 ; Cass. soc., 3 mars 2009, n° 07-44.794, Office du développement agricole et rural de la Corse (ODARC), F-D N° Lexbase : A6346EDE).
(6) Cass. soc., 14 avril 1999, n° 97-42.064, Société Malichaud c/ Mme Arnolin et autres (N° Lexbase : A4734AGG), RJS, 1999, n° 848.
(7) Pour des retenues proportionnelles opérées sur des primes mensuelles d'ancienneté : Cass. soc., 12 mai 1980, n° 79-40.306, Kocurek c/ Entreprises Decaux (N° Lexbase : A1625ABS) ; Cass. soc., 2 juin 1993, n° 90-42.515, SA Ponticelli frères c/ Bezet (N° Lexbase : A3736AAM). Ainsi, pour une prime de fin d'année : Cass. soc., 26 février 1981, n° 79-41.450, SA Samadoc c/ Baret, publié (N° Lexbase : A0432CK9), Dr. soc., 1981, p. 435, note J. Savatier ; D., 1981, Jurispr. p. 509, note J. Mouly.
(8) Cass. soc., 12 décembre 1980, D., 1981, Jurispr. p. 509, note J. Mouly ; Cass. soc., 26 février 1981, n° 79-41.450, préc. ; Cass. soc., 28 mars 1989, n° 86-43.867, SA des Etablissements Le Blan et Cie c/ M. Warie et autres (N° Lexbase : A1364AAR) ; Cass. soc., 6 novembre 1991, n° 89-42.571, M. Galateau c/ Société Saint-Gobain emballage (N° Lexbase : A4984AB9), Dr. soc., 1991, p. 930, rapp. P. Waquet ; Cass. soc., 2 juin 1993, n° 91-41.753, SA Constructions mécaniques de Vimy (N° Lexbase : A5425A4P), RJS, 1993, p. 455, n° 779 ; Cass. soc., 13 janvier 1999, n° 96-44.333, Dufour c/ Société éditions Plein Nord (N° Lexbase : A8873AGQ), RJS, 1999, n° 258 : retrait licite car cause indifférenciée ; Cass. soc., 15 février 2006, n° 04-45.738 Société Lamy Lutti c/ Mme Yamina Achi, FS-P+B (N° Lexbase : A9875DMP) et nos obs., La grève pour les retraites est licite et ne peut donner lieu à aucune sanction déguisée, Lexbase Hebdo n° 203 du 22 février 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N4878AKU) ; Cass. soc., 20 septembre 2006, n° 05-44.774, M. Christian Vitale, FS-D (N° Lexbase : A3110DRM). Le bulletin de paie ne doit, d'ailleurs, pas faire apparaître la cause de la retenue, et mentionner uniquement "absence non rémunérée" (C. trav., art. R. 3243-4 N° Lexbase : L8991H9U : "Il est interdit de faire mention sur le bulletin de paie de l'exercice du droit de grève ou de l'activité de représentation des salariés".
(9) Cass. soc., 21 octobre 1982, n° 80-41.211, Société Gérard Fortier c/ Dame Salvaux, dame Deneuville, dame Demangeaux (N° Lexbase : A7487AGE), Bull. civ. V, n° 569 ; Cass. soc., 19 novembre 1986, n° 83-43.516, SA Renault Véhicules industriels c/ M. Corompt et autre (N° Lexbase : A6060AAP), Bull. civ. V, n° 528 ; Cass. soc., 10 décembre 2002, n° 00-44.733, Caisse régionale crédit agricole mutuel Anjou Mayenne c/ M. Marcel Guignard, FS-P+B (N° Lexbase : A4135A4W) et nos obs., Grève et non-paiement de la rémunération du gréviste - la délicate frontière entre exception d'inexécution et discrimination prohibée, Lexbase Hebdo n° 53 du 8 janvier 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N5343AA7).
(10) Cass. soc., 26 février 1981, n° 79-41.450, préc..
(11) Cass. soc., 12 janvier 1984, Macif c/ M. Jamelin et autres.
(12) Pour la liste des congés légalement assimilés à du temps de travail effectif, pour l'acquisition des droits à congés payés : C. trav., art. L. 3141-5 (N° Lexbase : L3969IBM). V., également, C. trav., art. L. 3142-2 (N° Lexbase : L0583H9H) (congé pour événements familiaux) et art. L. 3142-53 (N° Lexbase : L0637H9H) (congé de représentation). Pour une assimilation générale : C. trav., art. L. 3142-12 (N° Lexbase : L0593H9T) (congé de formation économique et sociale et de formation syndicale).
(13) Cass. soc., 7 juin 1995, n° 93-46.448, Transports Seroul (N° Lexbase : A2101AA3), RJS, 1995, n° 933, chron. J. Déprez, pp. 564-565, Dr. soc., 1996, p. 37, et la chron. ; D., 1996, p. 75, note B. Mathieu ; Cass. soc., 12 mars 1996, n° 93-41.670, Berthelot et autres c/ Laiterie coopérative de l'abbaye (N° Lexbase : A2055AAD), RJS, 1996, n° 439 ; Cass. soc., 17 juillet 1996, n° 94-42.964, Société Marieau Turquois, société anonyme et autres c/ Assédic Poitou-Charentes, service AGS et autres (N° Lexbase : A2158AA8), RJS, 1996, n° 1079.
Décision
Cass. soc., 23 juin 2009, n° 07-42.677, Société Nutrea, FS-P+B (N° Lexbase : A4116EIB) Rejet CA Rennes, 8ème ch. prud., 29 mars 2007 Textes concernés : C. trav., art. L. 2511-1 (N° Lexbase : L0237H9N) ; C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) Mots clef : grève ; prime d'ancienneté ; retenue ; condition Lien base : |