Résumé En définissant des critères de représentativité des syndicats et en fixant un seuil de représentativité à 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles quel que soit le nombre de votants, le législateur n'a pas méconnu les principes de la liberté syndicale et de participation des travailleurs. En imposant aux syndicats représentatifs de choisir, en priorité, le délégué syndical parmi les candidats ayant obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles, l'article L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD) associe les salariés à la désignation des personnes reconnues les plus aptes à défendre leurs intérêts dans l'entreprise et à conduire les négociations pour leur compte. Le législateur n'a pas méconnu le principe de la liberté syndicale. |
Commentaire
I - Chronique d'une validation annoncée (des nouveaux critères de la représentativité syndicale)
Contexte. Alors que la Chambre sociale de la Cour de cassation avait, dans un premier temps, refusé de transmettre les QPC portant sur la conformité des nouveaux critères de la représentativité syndicale, mise en place par la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 (N° Lexbase : L7392IAZ) (1), la Haute juridiction a finalement décidé de saisir le Conseil constitutionnel, ne serait-ce pour mettre un terme au litige en faisant valider les dispositions litigieuses, d'abord des règles relatives à la mesures de la représentativité des syndicats catégoriels, dans un arrêt en date du 8 juillet 2010 (2), puis, en transmettant, dans deux arrêts rendus le 21 septembre 2010, des questions mettant en cause les sept nouveaux critères de la représentativité syndicale (C. trav., art. L. 2121-1 N° Lexbase : L3727IBN), le seuil d'audience électorale des syndicats de 10 % dans l'entreprise (C. trav., art. L. 2122-1 N° Lexbase : L3823IB9), de nouveau, les modalités de décompte particulières pour les syndicats catégoriels (C. trav., art. L. 2122-2 N° Lexbase : L3804IBI) ainsi que l'exigence d'une audience personnelle, désormais, exigée des salariés désignés comme délégués syndicaux (C. trav., art. L. 2143-3) (3).
Une validation prévisible. C'est sans véritable surprise que les dispositions des articles L. 2121-1, L. 2122-1 et L. 2143-3 du Code du travail sont sorties indemnes de la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 12 novembre 2010.
Irrecevabilité de la QPC portant sur la mesure de l'audience des syndicats catégoriels dans l'entreprise. S'agissant de l'article L. 2122-2, concernant la mesure de l'audience des syndicats catégoriels dans les entreprises, son sort avait été scellé par la précédente décision rendue par le Conseil constitutionnel le 7 octobre dernier (4) ; dans la mesure, où ce texte avait été déclaré conforme dans les motifs et le dispositif de la décision, toute nouvelle QPC portant sur ce même texte devait être déclarée irrecevable, sauf improbable changement de circonstances. Il importe peu, d'ailleurs, que les griefs formulés contre le texte soient différents de ceux qui avaient été présentés devant le Conseil, à moins de considérer que de nouveaux moyens d'inconstitutionnalité pourraient caractériser un "changement de circonstances", ce qui supposerait, soit un changement dans les normes applicables au contrôle, soit une évolution de la jurisprudence constitutionnelle qui aurait fait apparaître de nouvelles "tendances", ce qui n'était bien entendu pas le cas ici (5).
Recevabilité des autres questions mais réponse prévisible. Le sort des articles L. 2121-1 (critères de la représentativité syndicale) et L. 2122-1 (seuil d'audience de 10 % pour les syndicats dans l'entreprise) semblait, également, réglé par les termes mêmes de la décision du 7 octobre, même si ces textes n'avaient pas été visés dans le dispositif de la décision et demeuraient donc disponibles pour une nouvelle QPC. Le Conseil constitutionnel avait, en effet, profité de l'occasion qui lui était donné de statuer sur le sort des syndicats catégoriels pour prendre position sur la constitutionnalité des nouveaux critères de la représentativité syndicale et les "valider", dans leur "principe" (6).
Dans son considérant n° 6, le Conseil avait indiqué qu'"en premier lieu, il était loisible au législateur, pour fixer les conditions de mise en oeuvre du droit des travailleurs de participer par l'intermédiaire de leurs délégués à la détermination des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises, de définir des critères de représentativité des organisations syndicales ; que la disposition contestée tend à assurer que la négociation collective soit conduite par des organisations dont la représentativité est, notamment, fondée sur le résultat des élections professionnelles ; que le législateur a, également, entendu éviter la dispersion de la représentation syndicale ; que la liberté d'adhérer au syndicat de son choix, prévue par le sixième alinéa du Préambule de 1946 (N° Lexbase : L1356A94), n'impose pas que tous les syndicats soient reconnus comme étant représentatifs indépendamment de leur audience ; qu'en fixant le seuil de cette audience à 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles quel que soit le nombre de votants, le législateur n'a pas méconnu les principes énoncés aux sixième et huitième alinéas du Préambule de 1946".
Dans son considérant n° 7, le Conseil avait statué sur le grief tiré d'un prétendu manquement au principe d'égalité entre syndicats, pour l'écarter, après avoir indiqué que les syndicats catégoriels et intercatégoriels ne se trouvaient pas dans la même situation.
Dans les trois questions posées au Conseil, les arguments soulevés mettaient en cause la liberté syndicale, le principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail et le principe d'égalité devant la loi. Or, c'est précisément sur le respect de ces principes que le Conseil s'était prononcé dans sa décision du 7 octobre 2010.
Alors que cette décision ne présentait aucun caractère obligatoire dans la mesure où elle ne portait pas directement sur la conformité des articles L. 2121-1 et L. 2122-1 du Code du travail, le Conseil constitutionnel ne prend même pas la peine de reprendre les arguments examinés le 7 octobre 2010 et se contente d'y faire référence dans cette nouvelle décision du 12 novembre 2010. Dans son considérant n° 7, en effet, le Conseil relève que "comme le Conseil constitutionnel l'a jugé dans sa décision du 7 octobre 2010 susvisée, en définissant des critères de représentativité des syndicats et en fixant un seuil de représentativité à 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles quel que soit le nombre de votants, le législateur n'a pas méconnu les principes énoncés aux sixième et huitième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 ; que, par suite, les articles L. 2121 1 et L. 2122-1 du Code du travail ne sont pas contraires à la Constitution".
II - Chronique d'une validation anticipée (des nouveaux critères de désignation des délégués syndicaux)
Une QPC nouvelle. Seule la question de la conformité de l'article L. 2143-3 du Code du travail aux droits et libertés que la Constitution garantit semblait donc véritablement nouvelle, puisque le Conseil n'avait jamais été conduit à prendre position sur la nouvelle condition exigée des salariés pour qu'ils puissent être désignés comme représentants syndicaux. Rappelons que, depuis la loi du 20 août 2008, outre les conditions classiques, seuls les salariés ayant recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés sur leur nom lors des dernières élections professionnelles peuvent être désignés délégué syndical (7).
La question posée par le syndicat national de personnel navigant commercial (SNPNC) mettait en cause la "constitutionnalité des articles L. 2122-1, L. 2122-2 et, par conséquent, L. 2143-3 du Code du travail issus de la loi du 20 août 2008, au regard des principes constitutionnels de pluralisme des courants d'expression, de la liberté syndicale, de participation des travailleurs, de la liberté de la négociation collective, du droit à la participation, de la liberté de négociation collective, d'égalité des citoyens devant la loi et les charges publiques et de non discrimination".
Une validation logique. Selon le Conseil constitutionnel, "en imposant aux syndicats représentatifs de choisir, en priorité, le délégué syndical parmi les candidats ayant obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles, l'article L. 2143-3 associe les salariés à la désignation des personnes reconnues les plus aptes à défendre leurs intérêts dans l'entreprise et à conduire les négociations pour leur compte", et "en adoptant cet article, le législateur n'a pas méconnu le principe de la liberté syndicale énoncé par le sixième alinéa du Préambule de 1946 (cons. 9)".
En dépit de son caractère pour le moins elliptique, la réponse du Conseil indique que loin de porter atteinte au principe de participation, dont la violation était alléguée, cette exigence la met au contraire en oeuvre puisque l'exigence d'une audience personnelle associe directement les salariés, par le biais de l'élection, non seulement à la désignation des syndicats représentatifs, qui disposent du droit de négocier en leur nom les accords collectifs, mais également, au choix des délégués syndicaux qui négocieront, pour le compte des syndicats représentatifs, les accords d'entreprise.
L'argument tiré d'une violation de la liberté syndicale n'était pas, non plus, pertinent. On sait, en effet, que cette liberté protège, essentiellement, le droit de se syndiquer, ou de ne pas se syndiquer, à l'organisation de son choix, et accessoirement l'exercice des prérogatives syndicales, qu'il s'agisse du droit de grève ou de négociation collective. Or, en exigeant des candidats aux fonctions de délégué syndical, une audience personnelle de 10 %, tout en prévoyant des règles subsidiaires lorsque cette exigence ne permet pas de désigner effectivement un délégué, la loi du 20 août 2008 n'entrave pas l'exercice du droit syndical, tout au plus en conditionne-t-elle l'exercice pour rendre celui-ci plus légitime.
Une interprétation convergente des sources. La conclusion à laquelle aboutit le Conseil constitutionnel est, à cet égard, parfaitement comparable aux conclusions de la Cour de cassation lorsqu'elle s'était interrogée, dans son arrêt du 14 avril 2010, sur la conformité de ces mêmes dispositions aux articles 4 de la Convention n° 98 de l'Organisation internationale du travail, 5 de la Convention n° 135 de l'OIT, 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4744AQR), 5 et 6 de la Charte sociale européenne, et 28 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX) (8). On se rappellera que, dans cette affaire, la Haute juridiction avait eu à se prononcer sur la conventionnalité des articles L. 2122-1, L. 2122-2 et L. 2143-3 du Code du travail, et que, s'agissant précisément de ce dernier texte, la Cour avait dû répondre au grief formulé par le tribunal de Brest pour qui "l'obligation de choisir le délégué syndical parmi les candidats ayant obtenu au moins 10 % des voix est contraire au principe de la liberté syndicale et constitue une ingérence dans le fonctionnement syndical". Or, pour casser ce jugement, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait considéré que "l'obligation faite aux syndicats représentatifs de choisir, en priorité, le délégué syndical parmi les candidats ayant obtenu au moins 10 % des voix, ne heurte aucune prérogative inhérente à la liberté syndicale et que, tendant à assurer la détermination par les salariés eux-mêmes des personnes les plus aptes à défendre leurs intérêts dans l'entreprise et à conduire les négociations pour leur compte, elle ne constitue pas une ingérence arbitraire dans le fonctionnement syndical".
On ne peut donc qu'être saisi par la similitude des formules qui sont, à quelques mots près, les mêmes, illustrant le phénomène que nous avons déjà identifié à plusieurs reprises de convergence des sources et des jurisprudences des cours (9).
(1) Cass. QPC, 18 juin 2010, 4 arrêts, n° 10-40.005 (N° Lexbase : A4056E3M), n° 10-40.006 (N° Lexbase : A4057E3N), n° 10-40.007 (N° Lexbase : A4058E3P) et n° 10-14.749 (N° Lexbase : A4055E3L) ; Cass. QPC, 25 juin 2010, n° 10-40.009 (N° Lexbase : A7369E3C), v. nos obs., La Cour de cassation, juge constitutionnel ?, Lexbase Hebdo n° 403 du 15 juillet 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N6300BPZ).
(2) Cass. QPC, 8 juillet 2010, n° 10-60.189, P+B (N° Lexbase : A2179E4H), v. nos obs., Les syndicats catégoriels devant le Conseil constitutionnel, Lexbase Hebdo n° 404 du 22 juillet 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N6449BPK).
(3) Cass. QPC, 21 septembre 2010, n° 10-40.025 (N° Lexbase : A9182E9X), n° 10-18.699 (N° Lexbase : A9180E9U) et n° 10-19.113 (N° Lexbase : A9181E9W).
(4) Cons. const., 7 octobre 2010, n° 2010-42 QPC (N° Lexbase : A2099GBD), v. nos obs., Le Conseil constitutionnel, les syndicats catégoriels et la réforme de la démocratie sociale, Lexbase Hebdo n° 413 du 21 octobre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N2856BQT).
(5) Le seul changement de circonstances admis pour le moment concerne le régime des gardes à vue (Cons. const., 30 juillet 2010, n° 2010-14/22 QPC N° Lexbase : A4551E7P).
(6) Expressions du commentaire de la décision aux Cahiers, p. 2.
(7) Contrairement à la mesure de l'audience des syndicats qui se réalise en priorité lors du premier tour des élections des représentants élus au comité d'entreprise, ou, en cas de carence, des délégués du personnel, cette exigence personnelle se vérifie indifféremment lors de l'élection des représentants au comité d'entreprise ou des délégués du personnel. Le texte précise que si aucun salarié ayant atteint ce score personnel de 10 % n'est disponible, le syndicat doit désigner un candidat, ou, s'il n'y en a plus de disponible, un militant.
(8) Cass. soc., 14 avril 2010, n° 09-60.426, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9981EU9), Dr. soc., 2010, p. 647, v. les obs., L. Pécaut-Rivolier et v. les obs. de G. Auzero, La réforme du droit de la représentativité déclarée conforme au droit international, Lexbase Hebdo n° 393 du 6 mars 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N0570BPS).
(9) Il est, d'ailleurs, symptomatique de retrouver dans le dossier documentaire de la décision l'arrêt du 14 avril 2010 ainsi que tous les textes internationaux visés par la Cour de cassation. Le commentaire aux Cahiers souligne également le désir du Conseil constitutionnel d'oeuvrer en ce sens (p. 4) : "L'argument selon lequel la règle qui associe les salariés, par le biais de l'élection professionnelle, à la désignation du délégué syndical, ne porte pas atteinte à la liberté syndicale a tout autant de pertinence s'agissant de l'examen de la constitutionnalité de cette règle. Le Conseil constitutionnel a donc déclaré l'article L. 2143-3 du Code du travail conforme à la Constitution par une motivation dont la formulation rappelle celle de la décision de la Cour de cassation du 14 avril 2010".
Décision Cons. const., 12 novembre 2010, n° 2010-63/64/65 QPC (N° Lexbase : A4181GGX) Irrecevabilité et conformité Dispositions déclarées conformes : C. trav., art. L. 2121-1(N° Lexbase : L3727IBN), L. 2122-1(N° Lexbase : L3823IB9), L. 2122-2 (N° Lexbase : L3804IBI) et L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD) du Code du travail Mots clés : démocratie sociale, représentativité syndicale, syndicats catégoriels, syndicats intercatégoriels, audience électorale Lien base : |