[Jurisprudence] Mise en oeuvre des clauses de mobilité : illustrations du contrôle très strict opéré par les juges



Il n'est guère besoin de s'étendre sur la règle -désormais bien connue- selon laquelle un employeur ne peut imposer unilatéralement une modification de son contrat de travail à un salarié. Seul l'accord de ce dernier autorise la novation du contrat de travail. Pour éviter de subordonner toute modification à un accord préalable du salarié, l'employeur peut insérer dans le contrat de travail une clause par laquelle le salarié s'engage, par avance, à accepter une modification de son contrat de travail. Tel est l'effet produit par les clauses de mobilité géographiques ou professionnelles. Nullement réglementées par le Code du travail, ces clauses de mobilité se trouvent, de ce fait et pour l'essentiel, soumises aux règles du droit civil et aux dispositions de l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI), lorsqu'elles portent atteinte aux libertés du salarié. Sur le fondement de ces textes d'aspect général, la Cour de cassation a donné aux clauses de mobilité un régime juridique spécifique qui, il faut le relever, n'est pas achevé. Deux arrêts rendus par la Chambre sociale de la Cour de cassation, le 3 novembre 2004, confirment la rigueur dont celle-ci fait preuve quant aux conditions de mise en oeuvre de la mobilité (2). Ces deux décisions invitent, en outre, à revenir sur les conditions de validité de ces clauses (1).

1. Conditions de validité des clauses de mobilité

Ainsi qu'il l'a été évoqué en préambule, l'intérêt des clauses de mobilité ne peut se comprendre que si l'on a égard à la délicate distinction des modifications du contrat de travail et des changements des conditions de travail. On sait que si les seconds peuvent être imposés unilatéralement par l'employeur en vertu de son pouvoir de direction, les premières exigent l'accord des parties pour entrer en vigueur, conformément aux prescriptions de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC). Toute la difficulté est alors de déterminer ce qui relève du contrat de travail et ce qui n'en relève pas.

Lorsque le contrat de travail a fait l'objet d'un écrit, précisant de façon détaillée les droits et obligations des parties, il suffit de se reporter à cet écrit : dès qu'une modification est apportée à l'une des clauses du contrat, il y a modification du contrat (1). Cette règle simple, pour ne pas dire simpliste, n'est cependant pas toujours respectée, singulièrement pour les clauses relatives au lieu de travail qui, seules, nous intéressent ici. En effet, la Cour de cassation a décidé que "la mention du lieu de travail dans le contrat de travail a valeur d'information, à moins qu'il ne soit stipulé par une clause claire et précise, que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu" (Cass. soc., 3 juin 2003, n° 01-40.376, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A6993CK9 ; Cass. soc., 3 juin 2003, n° 01-43.573, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A6994CKA, voir La simple indication du lieu de travail dans le contrat n'a qu'une valeur d'information, Lexbase Hebdo n° 76 du 18 juin 2003 - édition sociale N° Lexbase : N7795AAX ; Dr. soc., 2003, p. 884, note J. Savatier ; RJS 1/04, chron. 3, J. Pélissier, Clauses informatives et clauses contractuelles du contrat de travail). Dans cette dernière hypothèse, tout changement du lieu de travail du salarié constitue une modification de son contrat. En revanche, lorsque la mention du lieu de travail a valeur d'information, il n'y aura modification que lorsque la mutation interviendra dans un autre secteur géographique (Cass. soc., 4 janvier 2000, n° 97-45.647, Société Volailles coeur de France, société anonyme c/ Mme Marie Dominique Gautier, inédit N° Lexbase : A3150AGR) (2).

En tout état de cause, dès lors que l'on est en présence d'une modification du contrat, l'employeur ne peut que la proposer au salarié concerné, lequel a le choix entre une acceptation ou un refus. La clause de mobilité permet, en quelque sorte, de faire l'économie de cette étape, le salarié acceptant, par avance, les mutations que l'employeur pourra décider dans les limites de la clause de mobilité insérée dans le contrat de travail.

Eu égard aux effets de la clause de mobilité, dont on peut dire qu'elle est stipulée dans l'intérêt de l'employeur, on pourrait penser que sa validité est soumise à de strictes conditions. Tel n'est pas véritablement le cas, la liberté contractuelle ayant ici, comme ailleurs, libre cours. La Cour de cassation ne laisse cependant pas un blanc-seing aux parties.

La Chambre sociale exige, tout d'abord, que la clause de mobilité géographique ne heurte pas une liberté fondamentale du salarié. Ainsi, elle considère qu'est nulle la clause qui porte atteinte au libre choix de son domicile par le salarié (Cass. soc., 12 janvier 1999, n° 96-40.755, M. Spileers c/ Société Omni Pac, publié N° Lexbase : A4618AG7, Dr. soc. 1999, p. 287, obs. J.-E. Ray).

Ensuite, un arrêt récent de la Cour de cassation laisse entendre que la limitation de l'espace géographique, à l'intérieur duquel une mutation est possible, serait désormais une condition de validité de la clause de mobilité géographique (Cass. soc., 19 mai 2004, n° 02-43.252, F-D N° Lexbase : A2013DCK, voir S. Martin-Cuenot, La fin des clauses de mobilité indéterminées, Lexbase Hebdo, n° 123 du 3 juin 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1787ABS).

Telles sont, aujourd'hui, les seules conditions de validité des clauses de mobilité géographiques. Par suite, et à la différence des clauses de non-concurrence par exemple, la Cour de cassation ne soumet pas la validité des clauses de mobilité à l'exigence qu'elles soient nécessaires à la protection de l'intérêt de l'entreprise. Pour autant, et les deux arrêts commentés le démontrent, une telle exigence intervient au stade de la mise en oeuvre des clauses de mobilité.

2. Conditions de mise en oeuvre des clauses de mobilité

Dans la première des deux espèces commentées, le contrat de travail de deux salariées d'une entreprise comportait une clause stipulant que "le salarié exercera principalement ses fonctions au sein du siège social ou de tout autre établissement secondaire dépendant de l'employeur". Informées le 7 septembre 1999 par leur employeur de son intention de les muter de Paris à Aix-en-Provence, les deux salariées en cause avaient disposé d'un délai de trois jours pour donner leur réponse. Ayant refusé cette mutation, elles avaient été licenciées pour faute grave. La Cour de cassation approuve les juges d'appel d'avoir considéré que le refus des salariées ne pouvait constituer une faute et rejette le pourvoi formé par l'employeur. Selon la Chambre sociale, en effet, "appréciant les éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel, après avoir rappelé les termes de la clause contractuelle de mobilité, a relevé que le changement de lieu de travail, qui n'était pas justifié par l'intérêt de l'entreprise, avait été imposé aux salariées de manière brutale et déloyale" (Cass. soc., 3 novembre 2004, n° 02-45.749, F-D N° Lexbase : A7627DDT).

Etait en cause, dans le second arrêt, la même société employeur qui, là encore, souhaitait muter une salariée de Paris à Aix-en-Provence. La clause de mobilité insérée dans le contrat de travail de cette dernière était, en revanche, plus "raffinée", puisqu'elle prévoyait que "le salarié exercera principalement ses fonctions au sein du siège social ou de tout autre établissement secondaire dépendant de l'employeur. Le salarié pourra également être amené à changer le lieu de travail impliquant un changement de résidence". Ayant refusé la mutation au terme du délai de réflexion de quarante-huit heures imparti, la salariée avait été licenciée à son tour pour faute grave. Le licenciement ayant été annulé par la cour d'appel (3), l'employeur a formé un pourvoi en cassation qui a connu le même sort que le précédent. Pour la Chambre sociale, en effet, "la cour d'appel [...] a retenu que l'employeur avait mis en oeuvre la clause de mobilité avec précipitation en impartissant à la salariée un délai de prévenance et de réflexion insuffisant ; qu'appréciant les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, elle a relevé que cette mutation avec changement de domicile n'était ni indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise ni proportionnée, compte tenu de l'emploi occupé et du travail demandé, au but recherché".

Ces deux décisions ne sauraient surprendre. Elles confirment que, nonobstant une clause de mobilité, le salarié dispose du droit de refuser une mutation, au motif que l'employeur a abusé de son droit ou n'a pas exécuté le contrat de travail de bonne foi.

Ainsi que le confirment les deux décisions commentées, la clause de mobilité ne peut être mise en oeuvre que dans l'intérêt de l'entreprise. Par suite, l'employeur qui ne justifie pas une mutation par un motif objectif ne peut pas tirer argument du refus par le salarié de cette mutation pour le licencier, alors même que le contrat contient une clause de mobilité géographique (Cass. soc., 23 janvier 2002, n° 99-44.845, F-D N° Lexbase : A8169AXT). Justifiée par la notion d'abus de droit (V. en ce sens J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, ouvrage préc., p. 368), cette solution pourrait, sans doute, trouver un fondement raisonnable dans la théorie de la cause, étant entendu que celle-ci n'a pas seulement vocation à jouer un rôle au moment de la formation du contrat, mais aussi au stade de son exécution.

Quoi qu'il en soit du fondement de la solution retenue, celle-ci s'exprime clairement : l'employeur doit pouvoir justifier de l'intérêt de l'entreprise lorsqu'il met en oeuvre la clause de mobilité stipulée au contrat de travail. En outre, et ainsi que l'exprime l'un des deux arrêts commentés (Cass. soc., 3 novembre 2004, n° 03-40.158, F-D N° Lexbase : A7773DDA), la mutation avec changement de domicile doit être proportionnée au but recherché, compte tenu de l'emploi occupé et du travail demandé. On aura reconnu, ici, les exigences de l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI), lorsqu'il est porté atteinte aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives. Ce faisant, la Cour de cassation vient strictement encadrer la faculté pour l'employeur d'exiger du salarié qu'il change de domicile consécutivement à une mutation géographique, ce dont on ne peut que se féliciter.

Alors même que l'employeur n'abuserait pas du droit que lui reconnaît une clause de mobilité, il se doit d'exécuter de bonne foi le contrat de travail. Une telle obligation trouve évidemment à s'appliquer lors de la mise en oeuvre d'une clause de mobilité. Par suite, et concrètement, cela implique que l'employeur n'agisse pas brutalement et avec précipitation, en impartissant au salarié tenu par une clause de mobilité un délai de prévenance et de réflexion insuffisant. Les deux arrêts commentés apparaissent, de ce point de vue, parfaitement justifiés, l'employeur n'ayant laissé aux salariées concernées qu'un délai de réflexion de trois jours et de quarante-huit heures, ce qui, avouons-le, est extrêmement réduit.

On peut, en outre, relever que, sur le même fondement, la Cour de cassation a pu décider antérieurement que l'employeur ne pouvait imposer à un salarié, dans une situation familiale critique, un déplacement immédiat dans un poste qui pouvait être pourvu par d'autres salariés (Cass. soc., 18 mai 1999, n° 96-44.315, Société Legrand c/ M. Rochin, publié N° Lexbase : A4654AGH).

En définitive, aux termes de ces développements, on ne peut que prendre acte de la volonté de la Cour de cassation de donner certaines garanties à des salariés qui, pour avoir accepté une clause de mobilité géographique, n'en auront pas toujours mesuré la portée.

Gilles Auzero
Maître de conférences à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) Pour plus de précisions sur cette question et sur l'hypothèse, plus délicate et aussi plus fréquente, où la conclusion du contrat de travail à durée indéterminée n'a pas fait l'objet d'un écrit ou d'un écrit rédigé de façon très sommaire, v. J . Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 22ème éd., 2004 , § 372.

(2) Il n'est guère besoin de s'étendre sur le flou attaché à cette notion de "secteur géographique". On mesure, ce faisant, toute la complexité de la jurisprudence relative à la distinction entre modification du contrat de travail et changement des conditions de travail.

(3) L'annulation du licenciement ne doit pas surprendre. Il convient de préciser qu'en l'espèce la salariée avait été licenciée alors qu'elle était en état de grossesse.