[Jurisprudence] La fin des clauses de mobilité "indéterminées"

par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV



Décision

Cass. soc., 19 mai 2004, n° 02-43.252, Société Loca Bourgeois c/ M. Laurent Bauwens, F-D (N° Lexbase : A2013DCK)

Cassation de CA Dijon, 14 mars 2002

Nullité de la clause de mobilité non limitée à un secteur déterminé

Liens base :

Faits

1. Un salarié avait été licencié pour faute grave pour avoir refusé la mutation que voulait lui imposer son employeur. Son contrat de travail contenait pourtant une clause de mobilité qui prévoyait que le lieu de travail pouvait être modifié par l'employeur sans changement de rémunération, à la seule condition que ce dernier respecte un préavis d'un mois. Pour l'employeur, cette modification du lieu de travail relevait de son pouvoir de direction, ce que contestait le salarié.

2. La cour d'appel avait fait droit à sa demande et avait refusé de caractériser la faute grave. Elle considérait que, dans la mesure où le contrat de travail ne prévoyait aucune limite au secteur géographique dans lequel pouvait s'exercer la mutation, le changement du lieu de travail constituait une modification du contrat à laquelle l'employeur ne pouvait procéder unilatéralement. L'employeur avait alors formé un pourvoi en cassation.

Solution

1. Rejet

2. "En l'absence de limite dans laquelle la mutation du salarié pouvait intervenir", et dès lors que "la clause prévoyait que tout refus du salarié emporterait la rupture du contrat de travail", la cour d'appel a pu décider de la nullité de cette clause.

Commentaire

1. La consécration du secteur géographique comme nouvelle condition de validité de la clause de mobilité

La clause de mobilité que contenait le contrat de travail du salarié dans l'espèce commentée lui semblait totalement opposable. Elle figurait dans le contrat individuel de travail qui avait été signé. Elle n'entraînait pour le salarié aucune perte de rémunération, et l'employeur s'engageait à respecter un délai de prévenance d'1 mois qui devait permettre au salarié de faire face à un éventuel changement de domicile (en cas de mutation le préavis de départ est d'un mois au lieu des 3 mois de droit commun). Rien ne semblait a priori s'opposer à ce que l'employeur impose au salarié de partir travailler à Reims sauf, peut être, la trop grande généralité du secteur géographique concerné par la clause... C'est en effet ce qu'affirme, pour la première fois à notre connaissance, la Cour de cassation.

Le lieu de travail, lato sensu, c'est-à-dire le travail exercé dans une certaine zone géographique est, par principe, considéré comme un élément "essentiel" du contrat de travail qui ne peut être modifié unilatéralement par l'employeur (Cass. soc., 27 novembre 2002, n° 00-45.751, F-D N° Lexbase : A1188A4R).

Les parties au contrat de travail peuvent toutefois convenir que le salarié ira travailler, au-delà de la "zone normale", sur différents sites de l'entreprise (qu'ils soient nationaux ou internationaux), ou que son activité s'exercera sur un secteur géographique plus ou moins étendu (comme c'est traditionnellement le cas pour les représentants de commerce). Cette modification du lieu de travail n'est toutefois possible que si le salarié est soumis au respect d'une clause de mobilité.

Il n'existe aucun texte relatif aux clauses de mobilité ; le législateur ne les envisage même pas. Leur existence relève donc de la liberté contractuelle. Le silence de la loi ne permet pourtant pas tout. Les juges se sont intéressés à ces clauses et ont posé des conditions de validité et d'opposabilité qui permettent, tout à la fois, d'en limiter le champ et d'éviter les abus.

L'existence d'une clause de mobilité a pour effet d'exclure le lieu de travail du champ de la modification du contrat. Lorsqu'elle est valable, la clause de mobilité permet donc à l'employeur de modifier unilatéralement le lieu de travail du salarié. Cette modification est considérée comme un simple changement des conditions de travail qui relève du pouvoir de direction de l'employeur (Cass. soc., 14 juin 2000, n° 98-42.118, M. Alain Crumière c/ Société de Distribution d'Eau Intercommunales (SDEI), inédit N° Lexbase : A9046AG7). Il en résulte que si le salarié refuse la mutation, l'employeur peut légitimement le licencier (le licenciement ne sera pas nécessairement considéré comme reposant sur une faute grave mais l'attitude du salarié sera, dans tous les cas, considérée comme une cause réelle et sérieuse de licenciement, Cass. soc., 18 octobre 2000, n° 98-44.738, Société anonyme Au Relais Telecom, société anonyme c/ Mlle Telcide Vanyper, inédit N° Lexbase : A9793ATU).

La validité de la clause de mobilité est subordonnée au respect de deux conditions cumulatives. La clause doit reposer sur un motif objectif et être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise (Cass. soc., 12 janvier 1999, n° 96-40.755, M. Spileers c/ Société Omni Pac N° Lexbase : A4618AG7, D. 1999, juris. p. 645, note J. Marguénaud et J. Mouly). Elle ne doit pas, en outre, porter atteinte à un droit ou une liberté du salarié. Mais, toute clause valable n'est pas forcément opposable au salarié, encore faut-il qu'il l'ait expressément acceptée.

Pour être opposable au salarié, la clause de mobilité doit non seulement avoir été acceptée par ce dernier, mais encore figurer dans son contrat de travail (par une clause détaillée ou par renvoi au contenu de la convention collective dont le salarié a eu connaissance et que le salarié a été en mesure de consulter : Cass. soc., 27 juin 2002, n° 00-42.646, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0076AZT).

Sans revenir sur ces principes, la Cour de cassation ajoute, dans l'arrêt commenté, une nouvelle condition de validité à la clause de mobilité. La clause doit désormais être limitée dans l'espace. En se fondant sur l'absence de limitation géographique de la clause, qui est confirmée par le fait que tout refus du salarié pouvait être sanctionné, la Cour de cassation vient, corrélativement, interdire les clauses "indéterminées". Cette limite portée au champ géographique de la clause de mobilité est nouvelle et entre en contradiction avec la jurisprudence traditionnelle.

2. En attendant la consécration de la contre partie financière de la clause de mobilité...

Jusqu'à cette décision, le caractère indéterminé d'une clause de mobilité n'avait jamais été considéré comme un obstacle à sa validité.

Les juges considéraient comme valable aussi bien une clause indéterminée qu'une clause déterminée. La Cour de cassation a pu juger qu'en l'absence de distance maximale de mutation prévue par la convention collective, les parties sont libres de fixer l'éloignement envisagé par la clause de mobilité, et que cette distance peut être soit limitée, soit indéterminée (Cass. soc., 10 juin 1997, n° 94-43.889, Société SG2 Services c/ M. Meriot et autre, publié N° Lexbase : A1648ACZ). La seule limite qui était susceptible d'exister était celle qui pouvait résulter de l'application des critères de nécessité et de proportionnalité à la situation tant professionnelle que personnelle du salarié (Cass. soc., 12 janvier 1999, Spileers, précité).

Cette jurisprudence est désormais caduque. La clause de mobilité doit, à peine de nullité, être limitée à un secteur géographique déterminé. Une clause trop générale qui ne pourra, compte tenu des éléments du contrat, être réduite à un secteur déterminé par les juges, devra être annulée.

La question se pose alors de savoir si cette limite résulte de l'application des critères de nécessité et de proportionnalité antérieurement dégagés, ce qui suppose qu'elle soit propre et limitée à l'espèce commentée, ou s'il s'agit d'une nouvelle condition de validité d'application générale. Cette question trouve sa pertinence dans l'absence de publicité dont fait l'objet cette décision (arrêt F-D), alors qu'elle modifie fondamentalement la jurisprudence et, partant, le régime applicable à la clause de mobilité.

L'insertion de cette nouvelle condition de validité risque d'emporter l'annulation de nombre de clauses de mobilité dont le champ d'application géographique est indéterminé et, corrélativement, d'ôter aux licenciements qui pouvaient être prononcés sur leur fondement, leur légitimité.

Il semble que le lien direct établi entre la nullité de la clause et l'absence de limite portée au secteur de la mutation, (et sa confirmation dans la sanction du refus du salarié) impose de considérer que la Cour de cassation vient bien, dans cette décision, consacrer une nouvelle condition de validité de la clause de mobilité. Cette dernière en compte désormais trois identiques à celles de la clause de non-concurrence, qui elle-même en contient quatre (Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 99-43.334, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0769AZI). Seul manque l'aspect pécuniaire, qui a récemment été attaché à la validité des clauses de non-concurrence. Une question se pose donc : à quand la contrepartie financière de la clause de mobilité ? L'indemnisation du déménagement ou des frais de déplacements du salarié n'est-elle pas tout aussi légitime que celle d'une clause de non-concurrence ?