Le critère du secteur géographique est toutefois limité, et ce à trois égards.
Il faut, en premier lieu, tenir compte de l'éventuelle existence d'une clause de mobilité dans le contrat de travail, auquel cas la mutation du salarié en application de cette clause ne constitue pas une modification du contrat de travail mais une simple changement des conditions de travail, et ce même si la mutation a lieu dans un secteur géographique différent (Cass. soc., 30 septembre 1997, n° 95-43.187, Société Onet c/ Mme Nedjar, publié N° Lexbase : A2125ACP ; Cass. soc., 14 juin 2000, n° 98-42.118, M. Alain Crumière c/ Société de Distribution d'Eau Intercommunales (SDEI), inédit N° Lexbase : A9046AG7 ; cf. sur la question des clauses de mobilité, C. d'Artigue, "La mobilité avec clause : l'article 1134 du Code civil sur le devant de la scène", N° Lexbase : N5778AAA).
En second lieu, la jurisprudence estime que le déplacement occasionnel, imposé à un salarié en dehors du secteur géographique où il travaille habituellement, ne constitue pas une modification de son contrat de travail, dès lors que la mission est justifiée par l'intérêt de l'entreprise et que la spécificité des fonctions exercées par le salarié implique de sa part une certaine mobilité géographique (Cass. soc., 22 janvier 2003, n° 00-43.826, Société Travaux hydrauliques et bâtiments (THB) c/ M. Antoine Tavarès, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A7010A4E ; cf. sur ce point C. d'Artigue, "Mobilité des cadres : la Cour de cassation affine sa position", N° Lexbase : N5653AAM).
Il faut enfin tenir compte de l'existence éventuelle d'une clause de stabilité par laquelle les parties ont décidé de faire du lieu de travail un élément intangible de la relation de travail, auquel cas la modification du lieu de travail constitue une modification du contrat de travail, peu importe que la mutation s'effectue dans le même secteur géographique.
A cet égard, la question s'est posée très tôt de savoir si tout ce qui figurait au contrat avait forcément valeur contractuelle ou non, l'enjeu étant de taille, tant pour l'employeur que pour le salarié. Plus particulièrement, dans l'hypothèse où le contrat indiquait le lieu de travail, on s'est demandé s'il fallait considérer qu'il s'agissait d'une véritable contractualisation (clause de stabilité) ou d'une simple information du salarié.
C'est à cette question importante que la Chambre sociale de la Cour de cassation répond dans deux arrêts du 3 juin 2003 (n° 01-43.573 et 01-40.376) destinés à faire l'objet d'une publicité maximale (P+B+R+I) et qui feront date. Elle précise, en effet, que la simple mention du lieu de travail dans le contrat de travail n'a qu'une valeur d'information, sauf clause claire et précise. Ce faisant, la Cour de cassation apporte des éclaircissements d'une grande importance concernant la modification du lieu de travail.
Dans les deux affaires, deux salariées ayant été respectivement licenciées pour avoir refusé une modification de leur lieu de travail, avaient saisi la juridiction prud'homale d'une demande de paiement d'indemnités de rupture et d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. L'une des deux salariées, comptable, avait refusé d'aller travailler dans les nouveaux locaux de la société situés à Chaville, alors que son contrat mentionnait que ses fonctions s'exerceraient à Antony (n° 01-43.573). L'autre salariée, embauchée en qualité de caissière à temps partiel à Saint-Palais-sur-Mer, avait refusé une affectation au magasin de Royan, distant de 5 km, alors que son contrat précisait une embauche au magasin de Saint-Palais-sur-Mer (n° 01-40.376).
La cour d'appel de Versailles avait accédé à la demande de la première salariée, estimant que l'employeur avait modifié son contrat de travail, que la salariée rapportait la preuve que le lieu de travail était un élément déterminant de son contrat, et qu'il importait peu que le changement de lieu de travail se situe dans le même secteur géographique.
La cour d'appel de Poitiers avait en revanche débouté la seconde salariée de sa demande, estimant que le contrat de travail de celle-ci n'était pas modifié dès lors que la nouvelle affectation se trouvait dans le même secteur géographique.
La société employant la comptable, d'une part, et la caissière, d'autre part, avaient alors respectivement formé un pourvoi devant la Cour de cassation, la salariée faisant notamment valoir que la précision d'une embauche définitive au magasin de Saint-Palais-sur-Mer s'imposait et n'autorisait aucun transfert.
La Cour de cassation casse l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles, mais rejette le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers. Elle énonce, en effet, dans un attendu de principe rendu au visa des articles 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) et L. 121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5443ACL) dans la première affaire, et dans un attendu identique dans la seconde affaire, que "la mention du lieu de travail dans le contrat de travail a valeur d'information à moins qu'il soit stipulé par une clause claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu". Elle en tire pour conséquence qu'en l'absence d'une telle clause dans le contrat de chacune des deux salariées, le changement de localisation intervenu au sein du même secteur géographique constituait un simple changement des conditions de travail et non une modification du contrat.
Ainsi, la mention du lieu de travail dans le contrat n'a pas valeur contractuelle mais une simple valeur informative, faute pour les parties d'avoir précisé que le travail aurait lieu exclusivement dans ce lieu ; il ne peut s'agir d'une clause de stabilité. Si une telle mention existe en revanche, cela prouve que le lieu de travail a été un élément déterminant de l'engagement du salarié. Par conséquent, dès lors que le lieu de travail est modifié en présence d'une telle clause, il y a modification du contrat de travail. Il importe de distinguer dans l'écrit les éléments fournis à titre indicatif des éléments véritablement contractuels ; la rédaction du contrat s'avère par conséquent déterminante, et le contrat devra expressément indiquer, par une clause claire et précise, que le salarié exécutera son travail "exclusivement" dans le lieu choisi. Une telle clause aura pour effet de rendre contractuel, et donc intangible, le lieu de travail, en application de l'article 1134 du Code civil (principe de la force obligatoire du contrat) ; ainsi, l'employeur ne pourra modifier le lieu de travail sans l'accord du salarié concerné, et ce même si le changement de lieu de travail s'effectue au sein du même secteur géographique.
La précision ainsi apportée par la Cour de cassation mérite d'être pleinement approuvée. En effet, toutes les mentions du contrat de travail n'ont pas la même valeur et tout ce qui figure au contrat n'a pas forcément valeur contractuelle. Il ne suffit pas qu'un élément de la relation de travail soit énoncé dans le contrat pour qu'il s'en déduise sa nature contractuelle. Raisonner autrement aurait pour effet de dissuader les employeurs d'indiquer dans les contrats ce qui, pour eux, ne constituait qu'une simple information des salariés ; ce qui finalement, se ferait au détriment de ces derniers.
Si les arrêts du 3 juin 2003 ne concernent que le lieu de travail, la question de la valeur simplement informative ou contractuelle se pose en des termes identiques s'agissant de l'horaire de travail. On sait que la modification de l'horaire journalier ou hebdomadaire d'un salarié à temps complet ne constitue pas une modification du contrat de travail (Cass. soc., 22 février 2000, n° 97-44.339, Mme Bernizet c/ Cabinet de pneumologie des docteurs Lacroix, Darneau, Ravier et Lombard, publié N° Lexbase : A3556AUA ; Cass. soc., 17 octobre 2000, n° 98-42.264, Mme Ancey c/ Société Clinique Sainte-Marie, publié N° Lexbase : A7684AH3). La Cour de cassation a déjà eu l'occasion de juger que même si l'horaire de travail d'un salarié figure dans son contrat de travail, l'employeur peut modifier cet horaire sans que cela ne constitue une modification du contrat, indiquant par là-même implicitement que l'horaire qui figure au contrat n'est pas nécessairement contractuel, à l'instar, désormais, de la simple mention du lieu de travail (Cass. soc., 9 avril 2002, n° 99-45.155, FS-P sur le quatrième moyen N° Lexbase : A4960AYD). En revanche, si une clause contractuelle expresse fait ressortir la volonté des parties de faire de l'horaire un élément du contrat, l'employeur ne pourra modifier unilatéralement les horaires de travail du salarié concerné (Cass. soc., 11 juillet 2001, n° 99-42.710, SCP Paris c/ Mme Laure Afchain, publié N° Lexbase : A6237AG4 ; dans cette affaire, les horaires étaient indiqués dans le contrat comme étant à la demande expresse du salarié).
La seule indication écrite de l'horaire semble donc insuffisante, à défaut d'une manifestation expresse de volonté de rendre contractuel l'horaire de travail. De la même façon, la mention de la convention collective applicable dans le contrat de travail ne vaut pas contractualisation de celle-ci, pas plus que la remise aux salariés, lors de l'embauche, d'un document récapitulant les usages et engagements unilatéraux de l'employeur, ne vaut contractualisation des dispositions issues de ces derniers (Cass. soc., 11 janvier 2000, n° 97-44.148, M Loussier c/ Société IBM France, publié N° Lexbase : A4891AGA).
Il semble donc que l'on assiste désormais à une homogénéisation de la jurisprudence relative à la question de la valeur des clauses contractuelles : tout ce qui figure au contrat n'a pas forcément valeur contractuelle, et il convient par conséquent d'opérer une distinction entre les clauses à visée informative et celles emportant des effets contractuels.
Cette jurisprudence n'a toutefois pas une portée absolue, et ce à plusieurs points de vue.
D'une part, même dans l'hypothèse d'une contractualisation expresse du lieu de travail par exemple, il paraît difficilement envisageable de considérer que le déplacement du lieu de travail de l'autre côté de la rue ou très proche du lieu de travail d'origine soit de nature à modifier le contrat.
D'autre part, dans nombre d'hypothèses particulières, la seule indication de certains éléments a pour conséquence de contractualiser cet élément. Il en va ainsi notamment de l'horaire de travail hebdomadaire ou mensuel du salarié à temps partiel pour lequel la loi impose de définir cet horaire (L. 212-4-3 du Code du travail N° Lexbase : L5845ACH).
Enfin et surtout, nombreux sont les contrats de travail non écrits. En effet, la rédaction d'un contrat écrit n'est pas une condition de validité du CDI à temps plein, et la loi n'impose la rédaction d'un écrit que pour les contrats de type particulier (CDD, contrat de travail temporaire, contrat de travail à temps partiel). Il est donc fortement conseillé de rédiger un écrit lorsque la loi ne l'impose pas.
La contractualisation expresse pourra conduire à mettre en avant soit les intérêts du salarié (clause de stabilité), soit ceux de l'entreprise qui a besoin de flexibilité (clause de variabilité). Aussi, employeur et salarié doivent parvenir à un juste équilibre entre ces deux intérêts ; la contractualisation ne doit pas devenir excessive car elle risque de conférer au salarié un droit acquis au maintien de sa situation (par exemple, une fois contractualisé, le lieu de travail devient un élément intangible du contrat, et ce même si la modification du lieu de travail envisagée par l'employeur est minime).