Résumé
Lorsque sont mis en place des comités d'établissement, seuls peuvent désigner un délégué syndical au sein du périmètre couvert par l'un des comités, les syndicats qui ont obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires de ce comité. Ni un accord collectif, ni un engagement unilatéral de l'employeur ne peuvent avoir pour effet de modifier ce périmètre légal d'appréciation de la représentativité syndicale. |
Commentaire
I - Retour sur la relativité dans l'espace de la représentativité syndicale
Le caractère relatif dans l'espace de la représentativité syndicale signifie que les syndicats, pour être représentatifs et exercer les prérogatives qui découlent de ce label, doivent en faire la preuve à chaque niveau où ils entendent les exercer. Cette règle s'applique, bien entendu, au niveau de l'entreprise et de ses démembrements.
La taille et l'éparpillement géographique de certaines grandes entreprises rendent nécessaire, pour que soit assuré le principe de participation des salariés énoncé par l'alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L1356A94), que la représentation syndicale prenne place à différents niveaux de l'entreprise. C'est ainsi que l'article L. 2143-5 (N° Lexbase : L3732IBT) institue des délégués syndicaux centraux qui représentent le syndicat au niveau de l'entreprise quand les délégués syndicaux assument cette fonction au niveau de l'établissement distinct (1).
Les règles de désignation du délégué syndical central et du délégué syndical d'établissement sont relativement proches puisque le même article L. 2143-5, alinéa 2, du Code du travail, dispose que "l'ensemble des dispositions relatives au délégué syndical d'entreprise est applicable au délégué syndical central".
Ainsi, pour l'un comme pour l'autre, un effectif de cinquante salariés est exigé, sauf dérogation conventionnelle plus favorable (2). Leur désignation nécessite, également, que préexiste une section syndicale (3). Délégué d'établissement et délégué central devront encore avoir obtenu "au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité d'entreprise" pour pouvoir être désignés (4).
Sans que cela n'emporte de spécificités, la distribution des rôles entre délégués d'établissement et délégués syndicaux centraux peut intervenir dans le cadre d'une unité économique et sociale, comme cela était d'ailleurs le cas en l'espèce (5).
Si les conditions de désignation de ces deux représentants syndicaux sont donc très proches, il demeure une différence essentielle apparue à l'occasion de la réforme intervenue par l'effet de la loi du 20 août 2008.
Comme cela était déjà le cas sous l'empire de la législation antérieure, les syndicats doivent être représentatifs pour pouvoir désigner un délégué syndical d'établissement ou un délégué syndical central.
Cependant, les modifications subies par la notion de représentativité syndicale ont nécessairement eu un impact sur ces règles de désignation. En effet, outre que la représentativité est désormais relative dans le temps (6), elle est, également, relative dans l'espace. Dit autrement, un syndicat qui prouve sa représentativité à un échelon supérieur (l'entreprise) n'est plus automatiquement représentatif aux échelons inférieurs (les établissements distincts). Or, le point névralgique de la représentativité syndicale est désormais constitué par l'audience électorale obtenue par le syndicat au premier tour des élections du comité d'entreprise : sont seuls représentatifs les syndicats ayant obtenu au moins 10% des suffrages exprimés au premier tour des élections du comité.
L'audience nécessaire devait-elle être mesurée aux élections du comité d'établissement lorsqu'il était question de désigner un délégué syndical d'établissement ? Quoique la rédaction des textes en la matière ne fassent que peu de doutes, la règle a une première fois été affirmée par la Chambre sociale de la Cour de cassation : "le score électoral déterminant de la représentativité du syndicat qui désigne un délégué syndical d'établissement est celui obtenu au premier tour des élections des membres titulaires du comité de l'établissement concerné" (7).
C'est cette règle que la Chambre sociale de la Cour de cassation vient répéter dans l'espèce sous examen, rappel agrémenté d'une précision quant à la faculté des partenaires sociaux d'aménager les modalités de désignation des différents délégués syndicaux.
Dans cette affaire, un syndicat CGT avait obtenu moins de 10 % au premier tour des élections du comité d'un des établissements constituant une unité économique et sociale. Au contraire, les résultats cumulés du syndicat dans l'ensemble des sociétés de l'unité économique et sociale lui permettaient d'être représentatif au niveau de l'entreprise. Le syndicat décidait de désigner un délégué syndical d'établissement malgré son défaut de représentativité. Il s'appuya, pour ce faire, sur une note de la direction établie au lendemain des élections, en application d'un accord collectif antérieur, et selon laquelle les syndicats représentatifs au niveau de l'unité économique et sociale peuvent désigner des délégués syndicaux d'établissement.
Les sociétés constituant l'unité économique et sociale contestèrent la désignation devant le tribunal d'instance d'Aix-en-Provence, juridiction qui confirma la désignation en s'appuyant précisément sur la note de service et l'accord collectif auquel elle se référait. Cette décision est cassée par la Chambre sociale de la Cour de cassation par un important arrêt rendu au visa des articles L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9), L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD) et L. 2143-5 (N° Lexbase : L3732IBT) du Code du travail.
Par un long chapeau reprenant successivement les règles énoncées par ces textes, la Chambre sociale conclut que "lorsque sont mis en place des comités d'établissement, seuls peuvent désigner un délégué syndical au sein du périmètre couvert par l'un des comités, les syndicats qui ont obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires de ce comité". Cette solution ne fait que confirmer le caractère relatif de la représentativité dans l'espace ou, ce que l'on a pu appeler, le "principe de concordance", qui existait déjà pour les syndicats qui n'étaient pas présumés représentatifs avant la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 (8) (N° Lexbase : L7392IAZ). La suite de l'argumentation est plus innovante.
II - Les règles de la représentativité syndicale et l'ordre public absolu
La Chambre sociale ajoute, en effet, que "ni un accord collectif, ni un engagement unilatéral de l'employeur ne peuvent avoir pour effet de modifier ce périmètre légal d'appréciation de la représentativité syndicale". De cette affirmation, il peut être déduit que les règles légales d'appréciation de la représentativité syndicale ressortissent du champ de l'ordre public absolu. Que penser d'une telle solution ?
Le droit syndical et, plus globalement, le droit des relations collectives dans les entreprises, a toujours été le théâtre d'incertitudes quant à la faculté des partenaires sociaux d'y déroger, quoiqu'il semblait jusqu'ici acquis que ce domaine relevait, sauf exception, du champ de l'ordre public social (9).
Les arguments en faveur de l'intégration au champ de l'ordre public social tiennent, d'abord, au domaine de la négociation collective défini de manière particulièrement vaste par l'article L. 2221-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2237H9Q). Le droit syndical fait, d'ailleurs, partie des domaines sur lesquels doit impérativement intervenir une négociation pour qu'un accord de branche puisse être étendu (10).
La jurisprudence prend parfois parti en faveur de la faculté d'améliorer le droit syndical, par exemple lorsqu'il s'agit de réduire les seuils d'effectif exigés pour désigner tel ou tel représentant (11) ou en matière de représentation syndicale au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (12). Les seules véritables limites de la négociation en la matière semblaient, jusqu'ici, relever pour l'essentiel de dispositions conventionnelles qui auraient pour objet d'entraver la liberté syndicale, de constituer une discrimination fondée sur les activités syndicales ou de porter atteinte à un droit constitutionnellement protégé tel que le droit de grève (13).
Malgré l'apparence que le droit syndical devait d'une manière générale relever du champ de l'ordre public social, plusieurs auteurs avaient émis l'hypothèse que les règles nouvelles tenant à la représentativité syndicale devraient en être extraites pour intégrer le champ de l'ordre public absolu (14).
La proposition avait, en partie, été relayée par la Chambre sociale qui avait semblé placer certains éléments liés à la représentativité syndicale dans le champ de l'ordre public absolu. En effet, en jugeant "que le score électoral participant à la détermination de la représentativité d'un syndicat est celui obtenu aux élections au comité d'entreprise ou au comité d'établissement quand bien même, en application d'un accord collectif, le périmètre au sein duquel le syndicat désigne un délégué serait plus restreint que celui du comité et correspondrait à un établissement au sein duquel sont élus les délégués du personnel", la Chambre sociale écartait du champ de la négociation collective la faculté d'aménager les règles de détermination de la représentativité syndicale. Les particularités de cette affaire avaient, cependant, incité le Professeur Auzero à ne s'avancer qu'avec prudence sur une telle interprétation (15).
En affirmant que "ni un accord collectif ni un engagement unilatéral de l'employeur ne peuvent avoir pour effet de modifier ce périmètre légal d'appréciation de la représentativité syndicale", la Chambre sociale paraît plus nettement intégrer les règles de la représentativité au domaine de l'ordre public absolu.
Il convient, cependant, de garder une certaine mesure dans l'interprétation de cet énoncé. En effet, interprété strictement, la Chambre sociale ne fait qu'exclure du champ de la négociation collective ou des engagements unilatéraux de l'employeur "le périmètre légal d'appréciation de la représentativité syndicale". C'est donc, autrement dit, le caractère relatif de la représentativité qui, à coup sûr, intègre le champ de l'ordre public absolu. Il n'est pas possible, par accord collectif, de décider qu'un syndicat qui a fait la preuve de sa représentativité au niveau du groupe, de l'UES ou de l'entreprise, sera également représentatif au niveau des établissements.
Bien que l'affirmation ne soit donc pas si générale qu'elle pourrait le paraître, il conviendrait probablement d'intégrer définitivement l'ensemble des règles relatives à la représentativité au champ de l'ordre public absolu, cela pour au moins deux raisons.
La première tient à ce que la réforme de la représentativité répond à un objectif très important, celui de permettre aux syndicats de reconquérir une légitimité qu'ils avaient perdue. Si les accords collectifs, négociés, entre autres par les syndicats, pouvaient évincer en tout ou partie les règles nouvelles, l'objectif global de la loi du 20 août 2008 ne pourrait être atteint. C'est donc pour une question d'efficacité de loi et au nom de son louable objectif que les règles de la représentativité devraient être protégées de la dérogation, fût-elle plus favorable aux syndicats (16).
La seconde rejoint l'opinion des auteurs qui suggèrent qu'il ne soit pas possible de déroger aux règles légales lorsque la dérogation emporte une atteinte à un droit constitutionnellement protégé (17). En effet, outre la liberté syndicale, c'est le droit des salariés à participer, par l'intermédiaire de leurs délégués, à la détermination collective de leurs conditions de travail qui doit être assuré. Or, non seulement les règles nouvelles relatives à la représentativité syndicale ne porte pas atteinte à ce principe de participation (18), mais plus encore, elles ont pour vocation de le garantir, comme l'énoncent la Cour de cassation et, plus clairement encore, le Conseil constitutionnel (19). Partant, ce serait porter atteinte à la liberté syndicale que d'écarter les règles nouvelles, si bien qu'il serait raisonnable, en la matière, d'intégrer définitivement les règles relatives à la représentativité syndicale au champ de l'ordre public absolu.
(1) On relèvera que l'exigence posée par l'alinéa 8 du Préambule de la Constitution de 1946 ne paraît pas au contraire justifier la présence de représentants centraux de la section syndicale, faute de prévision législative en ce sens. V. Cass. soc., 29 octobre 2010, n° 09-60.484, F-P+B (N° Lexbase : A5557GD8).
(2) Dérogation ne s'appliquant, là encore, pas au représentant de la section syndicale dans le silence de l'accord collectif. V. Cass. soc., 26 mai 2010, n° 09-60.243, FS-P+B (N° Lexbase : A7352EXL) et les obs. de G. Auzero, Les stipulations conventionnelles améliorant les dispositions légales relatives à l'exercice du droit syndical sont d'interprétation stricte, Lexbase Hebdo n° 398 du 10 juin 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N3014BPC).
(3) "Pour désigner un délégué syndical dans l'entreprise ou l'établissement, un syndicat représentatif doit avoir constitué une section syndicale dans les conditions prévues par l'article L. 2142-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3761IBW)" (nous soulignons) ; Cass. soc., 23 juin 2010, n° 09-60.438, FS-P+B (N° Lexbase : A3376E3G) et les obs. de G. Auzero, Un syndicat doit justifier de la constitution d'une section syndicale au niveau où est désigné le délégué syndical, Lexbase Hebdo n° 402 du 8 juillet 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N6185BPR).
(4) C. trav., art. L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD).
(5) Cass. soc., 2 octobre 1985, n° 84-60.969 (N° Lexbase : A5636AAY) ; Dr. ouvrier, 1986, p. 169 ; Cass. soc., 23 février 2005, n° 04-60.289, F-D (N° Lexbase : N6185BPR).
(6) Avant la réforme, la représentativité était acquise indéfiniment, de droit pour les syndicats présumés représentatifs, de fait pour ceux qui avaient réussi à faire la preuve de leur représentativité.
(7) Cass. soc., 14 décembre 2010, n° 10-14.751, FS-P+B (N° Lexbase : A2748GN4).
(8) Ph. Masson, Entreprise et établissements : quelle mesure de la représentativité ?, SSL, juillet 2010, n° 1455, p. 7.
(9) Pour un rappel des règles en matière d'ordre public en droit du travail, v. J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, "Droit du travail", Dalloz, 25ème éd., 2010, pp. 1255 et s..
(10) C. trav., art. L. 2261-22, II, 1° (N° Lexbase : L2457H9U).
(11) Cass. soc., 26 mai 2010, n° 09-60.243, préc..
(12) Il est vrai que l'article L. 4611-7 du Code du travail (N° Lexbase : L1733H93) autorise l'aménagement, par voie d'accord collectif, des règles concernant le fonctionnement, la composition ou les pouvoirs du CHSCT. Pour une application, v. Cass. soc., 20 novembre 1991, n° 89-12.787 (N° Lexbase : A4875AB8).
(13) Suivant cette opinion, v. J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, "Droit du travail", op. cit., loc. cit..
(14) Parmi d'autres, v. les obs. de G. Auzero, Une convention collective ne saurait interdire à un syndicat de prouver sa représentativité, Lexbase Hebdo n° 320 du 2 octobre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3677BHN), note sous Cass. soc., 16 septembre 2008, n° 07-13.440, FS-P+B (N° Lexbase : A3981EAP), G. Chastagnol, Désignation du représentant syndical au CHSCT : interdiction de déroger au principe de représentativité, JSL, 14 mai 2009, n° 255.
(15) Cass. soc., 10 novembre 2010, n° 09-72.856, FS-P+B (N° Lexbase : A9085GGL) et les obs. de G. Auzero, Détermination de la représentativité dans les entreprises divisées en établissements distincts, Lexbase Hebdo n° 418 du 25 novembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N6963BQX).
(16) D'ailleurs, quand bien même les règles de la représentativité demeureraient globalement dans le champ de l'ordre public social, il n'est pas certain que ces règles plus favorables aux syndicats soient également plus favorables aux salariés. En effet, on peut sans trop de risque affirmer que le renforcement de la légitimité syndicale est une mesure plus favorable au salariat que son étiolement. Or, l'article L. 2251-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2406H9Y) dispose que les conventions collectives de travail peuvent comporter des stipulations plus favorables "aux salariés" et non aux syndicats...
(17) J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, "Droit du travail", préc., p. 1256.
(18) Cass. soc., 14 avril 2010, n° 09-60.426, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9981EU9), Dr. soc., 2010, p. 647, v. les obs., L. Pécaut-Rivolier et v. les obs. de G. Auzero, La réforme du droit de la représentativité déclarée conforme au droit international, Lexbase Hebdo n° 393 du 6 mars 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N0570BPS).
(19) Cons. const., 12 novembre 2010, n° 2010-63/64/65 QPC (N° Lexbase : A4181GGX) et les obs. de Ch. Radé, Le Conseil constitutionnel valide la réforme de la démocratie sociale, Lexbase Hebdo n° 418 du 25 novembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N6879BQT) qui résume cette idée par la formule suivante : "loin de porter atteinte au principe de participation, dont la violation était alléguée, cette exigence la met au contraire en oeuvre puisque l'exigence d'une audience personnelle associe directement les salariés, par le biais de l'élection, non seulement à la désignation des syndicats représentatifs, qui disposent du droit de négocier en leur nom les accords collectifs, mais également, au choix des délégués syndicaux qui négocieront, pour le compte des syndicats représentatifs, les accords d'entreprise".
Décision
Cass. soc., 6 janvier 2011, n° 10-18.205, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7521GNU) Cassation, TI Aix-en-Provence, 14 mai 2010 Textes visés : C. trav., art. L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9), L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD) et L. 2143-5 (N° Lexbase : L3732IBT) Mots-clés : délégué syndical, délégué syndical central, représentativité, ordre public absolu. Liens base : (N° Lexbase : E1880ETS) |