[Jurisprudence] Les stipulations conventionnelles améliorant les dispositions légales relatives à l'exercice du droit syndical sont d'interprétation stricte

par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Bien que cela ne fût pas strictement nécessaire compte tenu du principe de faveur, le législateur a, néanmoins, pris soin de préciser qu'une convention ou un accord collectif de travail peut améliorer les dispositions légales relatives à l'exercice du droit syndical. Confronté à de telles stipulations, le juge se doit évidemment d'en faire application. Pour autant, et ce faisant, il ne saurait trahir la volonté des parties signataires de l'acte juridique, en interprétant de manière déformante les clauses conventionnelles applicables. C'est ce que vient opportunément rappeler la Cour de cassation par un arrêt en date du 26 mai 2010, dans lequel était en cause la désignation d'un représentant de la section syndicale.


Résumé

L'article 8 de la Convention collective nationale du travail des établissements pour personnes inadaptées et handicapées du 16 mars 1966 ne dérogeant à la condition d'effectif de cinquante salariés que pour la désignation des délégués syndicaux par les syndicats représentatifs, de sorte que ce texte ne peut s'appliquer à la désignation d'un représentant de la section syndicale prévue par l'article L. 2142-1-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3765IB3).

I - L'amélioration des dispositions légales relatives à l'exercice du droit syndical

Alors même que le principe de faveur permettait sans doute à lui seul d'aboutir à une telle conclusion, le législateur a expressément habilité les normes conventionnelles à améliorer les dispositions du Code du travail relatives à l'exercice du droit syndical. Il résulte de l'alinéa 1er de l'article L. 2141-10 dudit code (N° Lexbase : L2155H9P) que "les dispositions du présent titre (1) ne font pas obstacle aux conventions ou accords collectifs de travail comportant des clauses plus favorables, notamment celles qui sont relatives à l'institution de délégués syndicaux ou de délégués syndicaux centraux dans tous les cas où les dispositions légales n'ont pas rendu obligatoire cette institution".

La Chambre sociale de la Cour de cassation considère qu'il résulte de ce texte "que, si le nombre des délégués syndicaux dans l'entreprise ou l'établissement tel qu'il est fixé par la loi peut être augmenté par accord collectif, ni un usage de l'entreprise ou de l'établissement ni un engagement unilatéral de l'employeur ne peuvent modifier les dispositions légales correspondantes" (2). Cette solution, qui paraît résulter d'une lecture on ne peut plus stricte de l'article L. 2141-10, alinéa 1er, peut être discutée (3). En revanche, on peut considérer que cette même Chambre sociale fait preuve d'une certaine bienveillance lorsqu'elle autorise un syndicat non signataire d'une convention collective à bénéficier de ses stipulations qui améliorent le droit syndical (4).

Mais telles n'étaient pas les questions qui se posaient en l'espèce où était seulement en cause l'interprétation d'une stipulation conventionnelle améliorant la loi.

Le litige soumis à la Cour de cassation trouvait sa source dans l'article 8 de la Convention collective nationale du travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966. Selon ce texte, "l'exercice du droit syndical est reconnu dans toutes les entreprises ou leurs établissements, quelle que soit leur importance et que la liberté de constitution des sections syndicales y est reconnue aux syndicats représentatifs lesquels, respectivement, pourront désigner leur délégué syndical".

Postérieurement aux élections professionnelles qui s'étaient déroulées le 2 mars 2009 au sein de l'Institut thérapeutique éducatif et pédagogique Clairjoie (ITEP Clairjoie), qui emploie moins de cinquante salariés, le syndicat départemental CFDT santé sociaux du Rhône, qui n'avait pas présenté de candidats, avait désigné, le 9 mars 2009, un salarié comme représentant de la section syndicale. L'ITEP Clairjoie a alors demandé l'annulation de cette désignation.

Pour rejeter cette demande, le jugement attaqué a retenu que l'article 8 de la Convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées ne mentionne pas la liberté de désignation du représentant de la section syndicale, ce texte étant antérieur à la création de cette institution. Mais il est admis qu'une convention collective peut abaisser le seuil minimum prévu par la loi pour la désignation d'un délégué syndical, d'autant qu'aux termes de l'article L. 2142-1-1 du Code du travail, le représentant de la section dispose de prérogatives moindres que celles du délégué syndical, de sorte qu'une convention collective peut, a fortiori, abaisser le seuil d'effectif minimum prévu par la loi pour la désignation d'un représentant de la section syndicale.

Ce jugement est censuré par la Cour de cassation au visa de l'article 8 de la Convention collective nationale du travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, ensemble l'article L. 2142-1-1 du Code du travail. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "en statuant ainsi, alors que l'article 8 de la Convention collective du 15 mars 1966 ne déroge à la condition d'effectif de cinquante salariés que pour la désignation des délégués syndicaux par les syndicats représentatifs, de sorte que ce texte ne peut s'appliquer à la désignation d'un représentant de la section syndicale prévue par l'article L. 2142-1-1 du Code du travail, le tribunal a violé les textes susvisés".

II - L'interprétation des stipulations conventionnelles améliorant la loi

Créé de toutes pièces par la loi du 20 août 2008 (5), le représentant de la section syndicale peut être désigné par tout syndicat non représentatif, qui constitue une section syndicale au sein d'une entreprise ou d'un établissement de cinquante salariés (C. trav., art. L. 2142-1-1). A l'évidence, et ainsi que le relèvent en l'espèce les juges du fond, cette institution représentative du personnel ne pouvait être envisagée par une convention collective conclue avant l'entrée en vigueur de la réforme précitée. De même, on admettra avec eux qu'une convention collective peut parfaitement, sur le fondement, de l'article L. 2141-10, autoriser la désignation d'un tel représentant dans les entreprises ou établissements de moins de cinquante salariés.

Mais, est-on tenté de dire, encore faut-il qu'elle le fasse. Or, ce n'était et ne pouvait être le cas en l'espèce, la convention ayant été conclu avant la loi de 2008. N'était-il pas, cependant, possible de considérer, à l'instar des juges du fond, que ce que prévoyait la convention collective pour les délégués syndicaux pouvait être étendu aux représentants syndicaux ? La Cour de cassation a répondu par la négative à cette question et sa décision doit être approuvée.

Pour la Chambre sociale, l'article 8 de la convention collective applicable n'intéresse que la désignation des délégués syndicaux par les syndicats représentatifs et ne peut donc s'appliquer à la désignation d'un représentant de la section syndicale. Si la solution est justifiée, on peut toutefois se demander si la Cour de cassation n'adopte pas une interprétation réductrice de la stipulation en cause. Celle-ci reconnaît, en effet, dans un tout premier temps, l'exercice du droit syndical dans toutes les entreprises ou leurs établissements, quelle que soit leur importance. Ce n'est que dans un second temps qu'elle vise la désignation des délégués syndicaux, dont on pourrait dire qu'elle n'est que l'une des conséquences de l'affirmation première.

Pour autant, en admettant même cette interprétation, elle n'autoriserait pas la désignation d'un représentant de la section syndicale dans une entreprise ou un établissement occupant moins de cinquante salariés. Il en va ici du respect de la volonté des parties qui, au moment où la convention a été conclue ne pouvait envisager l'exercice du droit syndical que tel qu'il était conçu et réglementé par les textes applicables.

Il faut, au passage, remarquer qu'à d'autres égards, la Cour de cassation sait retenir une interprétation large des stipulations contractuelles. On en veut pour preuve un arrêt du 18 novembre 2009, commenté dans ces mêmes colonnes, dans lequel elle a décidé que "l'organe interne de l'organisation habilité à désigner des représentants syndicaux dans les entreprises est, tant que les statuts ne l'ont pas expressément exclu, habilité à désigner un représentant de la section syndicale" (6). Mais il est vrai qu'il s'agissait ici d'interpréter les statuts d'un syndicat et non les stipulations d'une convention collective.

Si les parties signataires de la Convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées entendent permettre la désignation d'un représentant de la section syndicale dans les entreprises et établissement de moins de cinquante salariés, elles n'ont désormais d'autre choix que de réviser l'article 8 de la Convention afin d'envisager de manière expresse cette hypothèse.

Une telle révision pourra être mise à profit afin de toiletter le texte en cause à un autre égard. En effet, si avant la loi du 20 août 2008 la liberté de constitution des sections syndicales étaient réservées aux seuls syndicats représentatifs, il n'en va plus de même aujourd'hui. Désormais, la constitution d'une section syndicale est, en outre, ouverte, en application de l'article L. 2142-1 du Code du travail, aux syndicats affiliés à une organisation syndicale représentative au niveau national et interprofessionnel, ainsi qu'aux syndicats qui satisfont aux critères de respect des valeurs républicaines et d'indépendance et sont légalement constitués depuis au moins deux ans et dont le champ d'application professionnel et géographique couvre l'entreprise concernée.

Il faut rappeler, pour conclure, qu'en application de la loi elle-même, dans les entreprises et établissements qui n'atteignent pas le seuil de cinquante salariés, un délégué du personnel peut être désigné, pour la durée de son mandat, en qualité de représentant de la section syndicale (C. trav., art. L. 2142-1-4 N° Lexbase : L3806IBL).


(1) En l'occurrence, le Titre IV ("Exercice du droit syndical") du Livre Ier ("Les syndicats professionnels") de la deuxième partie ("Les relations collectives de travail") du Code du travail.
(2) Cass. soc., 4 mars 2009, n° 08-60.436, Société ISS sécurité (N° Lexbase : A7247EDR) ; Cass. soc., 4 mars 2009, n° 08-60.411, Syndicat Force ouvrière des activités complémentaires du transport aérien (N° Lexbase : A7246EDQ).
(3) V., en ce sens, notre chron., Remise en cause des tolérances patronales en matière de droit syndical et principe d'égalité entre syndicats, Lexbase n° 343 du 27 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9831BIX).
(4) Cass. soc., 29 mai 2001, n° 98-23.078, Union nationale des syndicats CGT-Cegelec c/ Société Cegelec et autres (N° Lexbase : A4696AT4). Une telle solution peut être critiquée en ce qu'elle fait la part trop belle à la nature réglementaire de la convention collective. V., en ce sens, notre chron., La convention collective est-elle encore un contrat ?, Lexbase Hebdo n° 40 du 27 septembre 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N4046AA4).
(5) Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ).
(6) Cass. soc., 18 novembre 2009, n° 09-65.639, Société Herta (N° Lexbase : A1737EPZ). Lire Ph. Clément, Union syndicale et désignation d'un représentant de section syndicale : des interrogations demeurent, Lexbase Hebdo n° 377 du 8 janvier 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N9344BMZ).

Décision

Cass. soc., 26 mai 2010, n° 09-60.243, Institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP) Clairjoie c/ syndicat CFDT santé sociaux de Rhône et a., FS-P+B (N° Lexbase : A7352EXL)

Cassation sans renvoi de TI Villefranche-sur-Saône, contentieux des élections professionnelles, 11 mai 2009

Textes visés : article 8 de la Convention collective nationale du travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, ensemble l'article L. 2142-1-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3765IB3)

Mots-clefs : exercice du droit syndical ; représentant de la section syndicale ; stipulations conventionnelles ; interprétation ; application

Lien base : (N° Lexbase : E1826ETS)