Résumés
Pourvoi n° 08-60.401 : il résulte de l'article L. 433-1, alinéa 3, du Code du travail (N° Lexbase : L9604GQR), recodifié sous l'article L. 2324-1 (N° Lexbase : L3802IBG), que, si le nombre de représentants syndicaux au comité d'entreprise tel qu'il est fixé par la loi peut être augmenté par accord collectif, ni un usage de l'entreprise, ni un engagement unilatéral de l'employeur ne peuvent modifier les dispositions légales correspondantes. Il s'ensuit que l'employeur qui décide unilatéralement d'une telle augmentation peut unilatéralement décider de revenir à l'application des textes légaux qui n'ont pas cessé d'être applicables, sous réserve de ne pas méconnaître le principe d'égalité entre tous les syndicats concernés et, pour répondre à l'exigence de loyauté qui s'impose en la matière, de les en informer préalablement. Pourvoi n° 08-60.436 : il résulte de l'article L. 412-21 (N° Lexbase : L6341ACT), devenu l'article L. 2141-10 (N° Lexbase : L2155H9P) du Code du travail que, si le nombre des délégués syndicaux dans l'entreprise ou l'établissement tel qu'il est fixé par la loi peut être augmenté par accord collectif, ni un usage de l'entreprise ou de l'établissement, ni un engagement unilatéral de l'employeur ne peuvent modifier les dispositions légales correspondantes. Il s'ensuit que l'employeur qui décide unilatéralement d'une telle augmentation peut unilatéralement décider de revenir à l'application des textes légaux qui n'ont pas cessé d'être applicables, sous réserve de ne pas méconnaître le principe d'égalité entre tous les syndicats concernés et, pour répondre à l'exigence de loyauté qui s'impose en la matière, de les en informer préalablement. Pourvoi n° 08-60.411 : lorsque l'effectif de l'entreprise est tombé en dessous de mille salariés, l'employeur est fondé à s'opposer à la désignation par les syndicats d'un second délégué syndical, dès lors que, pour respecter le principe d'égalité, qui est de valeur constitutionnelle, il a invité préalablement toutes les organisations représentatives concernées à ramener le nombre de mandats à celui qui est prévu par la loi. |
Commentaire
I - La prééminence de la norme conventionnelle et l'amélioration du droit syndical
Si l'on a pu, pendant un temps, se demander si les dispositions légales relatives à la représentation du personnel ne relevaient pas de l'ordre public absolu, le doute n'est plus permis aujourd'hui. En effet, le législateur, lui-même, permet d'améliorer les dispositions qu'il a édictées en la matière. Ainsi, l'alinéa 1er de l'article L. 2141-10 du Code du travail précise que "les dispositions du présent titre (1) ne font pas obstacle aux conventions ou accords collectifs de travail comportant des clauses plus favorables, notamment, celles qui sont relatives à l'institution de délégués syndicaux ou de délégués syndicaux centraux dans tous les cas où les dispositions légales n'ont pas rendu obligatoire cette institution". Sur le fondement de ce texte, un accord collectif peut autoriser la désignation de délégués syndicaux dans une entreprise dont l'effectif est inférieur à cinquante salariés. De même, et bien que l'exemple ne soit pas visé par ce même article, la norme conventionnelle peut venir augmenter le nombre de délégués syndicaux dans l'entreprise ou l'établissement, tel qu'il est fixé par la loi (2).
On peut également citer (3) l'article L. 2324-1 du Code du travail qui précise, quant à lui, dans son alinéa 3, que le nombre de membres du comité d'entreprise peut être augmenté par convention ou accord entre l'employeur et les organisations syndicales reconnues représentatives dans l'entreprise. Remarquons que, dans l'un des arrêts sous examen (pourvoi n° 08-60.401), la Cour de cassation se fonde sur cette disposition pour affirmer que "le nombre de représentants syndicaux au comité d'entreprise, tel qu'il est fixé par la loi, peut être augmenté par accord collectif". Bien que cela ne prête guère à conséquence (4), cette déduction est, néanmoins, contestable dans la mesure où l'article L. 2324-1 concerne la représentation élue au comité d'entreprise, les représentants syndicaux siégeant dans cette institution étant, quant à eux, visés par l'article L. 2324-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3724IBK).
Si les dispositions légales relatives à la représentation du personnel peuvent ainsi faire l'objet d'améliorations, le Code du travail, lorsqu'il envisage cette possibilité, renvoie systématiquement à la convention ou à l'accord collectif de travail. On pouvait, néanmoins, penser que la même capacité d'amélioration devait, en principe, être reconnue aux autres sources du statut collectif, qu'il s'agisse des usages ou des engagements unilatéraux de l'employeur.
Ce n'est pourtant pas la position qu'a choisie d'adopter la Cour de cassation. En effet, ainsi qu'elle le rappelle dans deux des arrêts rapportés (pourvois n° 08-60.401 et n° 08-60.436), "ni un usage de l'entreprise, ni un engagement unilatéral de l'employeur ne peuvent modifier les dispositions légales correspondantes" (5). Cette mise à l'écart de l'usage et de l'engagement unilatéral a de quoi surprendre. La seule explication paraît résider dans un strict argument de texte, la loi ne visant que les conventions et accords collectifs de travail, ainsi qu'il a été dit en amont. Encore aujourd'hui, on reste cependant dubitatif quant à la portée de cette jurisprudence restrictive. Faut-il considérer que les deux sources précitées sont, purement et simplement, bannies en matière de représentation du personnel ou bien sont-ce uniquement les dérogations au nombre de représentants du personnel ou au seuil de désignation qui sont réservées à la convention ou à l'accord collectif de travail ? Les arrêts rendus ne permettent pas de trancher avec certitude cette question, même si l'on pressent que c'est, sans doute, la première proposition qui doit être retenue.
Cela étant précisé, et comme le révèlent les deux arrêts précités (pourvois n° 08-60.401 et n° 08-60.436), il est en pratique fréquent que l'employeur décide unilatéralement d'une augmentation du nombre des délégués syndicaux ou des représentants syndicaux au comité d'entreprise. Ainsi que nous l'enseigne l'un des arrêts rendus le 4 mars 2009 (pourvoi n° 08-60.401), il faut se garder de voir dans une telle attitude un engagement unilatéral de l'employeur ou un usage. Il s'agit d'une simple "tolérance" à laquelle l'employeur est fondé à mettre fin de manière tout aussi unilatérale pour revenir à l'application des textes légaux dont la Cour de cassation nous dit qu'ils "n'ont pas cessé d'être applicables". Cette précision nous paraît fondamentale en ce qu'elle tend à démontrer que la tolérance de l'employeur ne peut être créatrice de droit, ce qui exclut donc qu'elle puisse relever des catégories d'engagement unilatéral ou d'usage (6).
Au terme de ces développements, il apparaît donc que l'employeur peut unilatéralement revenir sur la pratique qu'il a instaurée. Il doit cependant respecter une double exigence.
II - La remise en cause des pratiques tolérées par l'employeur
Allant au-delà des prescriptions de l'article L. 2141-7 du Code du travail (N° Lexbase : L2152H9L), qui interdit à l'employeur ou à des représentants d'employer un moyen quelconque de pression en faveur ou à l'encontre d'une organisation syndicale, la Cour de cassation se réfère, désormais, au "principe d'égalité, qui est de valeur constitutionnelle et que le juge doit appliquer" (7). Après en avoir déduit qu'une subvention patronale aux syndicats, prévue par un accord collectif, ne saurait être réservée aux seuls syndicats signataires de cet accord (Cass. soc., 29 mai 2001, n° 98-23.078, Union nationale des syndicats CGT-Cegelec N° Lexbase : A4696AT4), elle a considéré que l'employeur ne saurait s'opposer à la désignation d'un délégué syndical par un syndicat représentatif, au motif que la condition d'effectif de l'entreprise n'est pas remplie, alors qu'il a accepté la désignation d'un délégué par un autre syndicat (Cass.soc., 5 mai 2004, n° 03-60.175, M. Stilianos Padelidakis c/ Banque nationale de Grèce N° Lexbase : A0607DCH).
En d'autres termes, lorsque l'employeur tolère la désignation d'un délégué syndical alors que l'entreprise n'atteint pas le seuil de cinquante salariés ou, encore, accepte une augmentation du nombre de délégués syndicaux ou de représentants syndicaux au comité d'entreprise, il ne peut réserver cette tolérance à certains syndicats seulement. Le principe d'égalité exige que tous (8) puissent bénéficier de la pratique instaurée unilatéralement.
A rebours, lorsque l'employeur entend dénoncer unilatéralement la pratique qu'il a instaurée, le retour aux textes légaux, dont on a vu qu'ils n'ont pas cessé d'être applicables, doit concerner l'ensemble des syndicats et non certains d'entre eux. Cette solution qui s'infère logiquement du principe d'égalité est affirmée par la Cour de cassation, sans aucune surprise dans deux des arrêts sous examen (pourvois n° 08-60.401 et n° 08-60.436). Par suite, il appartient très concrètement à l'employeur d'inviter tous les syndicats concernés à revenir à l'application du Code du travail.
C'est ce qui ressort du troisième arrêt rendu par la Chambre sociale le 4 mars 2009. En l'espèce, il ne s'agissait, toutefois, pas pour l'employeur de revenir sur une pratique qu'il avait lui-même instaurée. En effet, constatant que l'effectif de l'un de ses établissements était inférieur à mille salariés depuis plus de trois ans, l'employeur avait demandé aux organisations syndicales de révoquer le mandat de l'un des deux délégués syndicaux qu'elles avaient désignés (9). Le syndicat CGT ayant maintenu deux délégués syndicaux, le syndicat FO avait désigné un salarié comme délégué syndical au sein de l'établissement en cause. L'employeur ayant contesté cette désignation, elle avait été annulée par le juge d'instance. Le salarié s'était alors pourvu en cassation, reprochant, en substance, une atteinte au principe d'égalité de traitement, dès lors que l'employeur avait laissé perdurer sans contestation le mandat d'un délégué syndical désigné par un autre syndicat, pourtant également surnuméraire.
Le pourvoi est rejeté par la Cour de cassation qui affirme que, "lorsque l'effectif de l'entreprise est tombé en dessous du seuil de mille salariés, l'employeur est fondé à s'opposer à la désignation par les syndicats d'un second délégué syndical, dès lors que, pour respecter le principe d'égalité qui est de valeur constitutionnelle, il a invité préalablement toute les organisations représentatives concernées à ramener le nombre de mandats à celui qui est prévu par la loi". Cette solution, qui doit être pleinement approuvée, tend à démontrer que le principe d'égalité de traitement entre syndicats exige seulement de l'employeur qu'il leur indique l'attitude qu'il entend adopter au regard des changements intervenus. On peut, toutefois, penser qu'une fois cette obligation d'information respectée, et à supposer que les syndicats tardent à remettre en cause le mandat du délégué syndical surnuméraire, l'employeur aura intérêt à saisir le juge afin que celui-ci mette un terme à ce mandat (10). A défaut, en effet, il pourrait être considéré que l'employeur entend instaurer une pratique nouvelle dans l'entreprise, ce qui nous renvoie aux développements précédents et nous conduit à envisager la seconde exigence relative à la remise en cause d'une telle tolérance.
Ainsi que nous l'avons vu ci-dessus, l'employeur peut unilatéralement revenir sur une pratique qu'il a instaurée et décider l'application des textes légaux, sous réserve de ne pas méconnaître le principe d'égalité de traitement entre tous les syndicats concernés. Cela n'est toutefois pas suffisant. Ainsi que l'indique, en effet, la Cour de cassation, dans deux des arrêts sous examen (pourvois n° 08-60.401 et n° 08-60.436), l'employeur doit informer les syndicats de sa décision. Une telle exigence fait immédiatement penser aux conditions de dénonciation des normes unilatérales. Toutefois, nous l'avons vu, la tolérance de l'employeur ne saurait relever de ces catégories, faute d'être créatrice de droits. A lire les arrêts en cause, l'obligation d'information qui pèse en la matière sur l'employeur répond "à l'exigence de loyauté qui s'impose en la matière". On doit avouer être quelque peu dubitatif quant à une telle affirmation. L'exigence de loyauté irrigue, on le sait, l'exécution de toute relation contractuelle. Or, on ne saurait dire, ici, que l'on est en présence d'une quelconque relation de ce type entre les syndicats et l'employeur. Sans doute l'exigence précitée trouve-t-elle à s'appliquer lors des phases de négociations précontractuelles. Mais là encore, on ne se trouve pas dans ce cas de figure. On peut aussi considérer qu'un engagement unilatéral doit être soumis, en tant qu'il est créateur de droits, au même régime juridique que le contrat. Mais, précisément, la Cour de cassation nous indique que la pratique instaurée par l'employeur ne relève pas de cette catégorie.
Cela étant, on admettra que l'obligation d'information qui pèse sur l'employeur relève du bon sens et qu'à ce titre elle s'impose effectivement en la matière. Remarquons, cependant, que la Cour de cassation fait une application quelque peu iconoclaste de l'exigence de loyauté.
En tout état de cause, les deux arrêts précités démontrent que l'employeur a tout intérêt à respecter cette obligation d'information. A défaut, le juge devra rejeter toute contestation d'une éventuelle désignation conforme à la pratique, certes dénoncée, mais sans que les syndicats en aient été informés.
(1) A savoir les dispositions du titre quatrième relatif à "l'exercice du droit syndical".
(2) C'est ce que rappelle expressément l'un des arrêts rapportés (pourvoi n° 08-60.436).
(3) V., aussi, les articles L. 2312-6 (N° Lexbase : L2543H93) (désignation et attributions des délégués du personnel) et L. 2325-4 (N° Lexbase : L9796H8C) du Code du travail (fonctionnement et pouvoirs du comité d'entreprise).
(4) A notre sens, en effet, il n'est nul besoin d'un texte spécial pour autoriser la négociation en la matière. La notion d'ordre public social suffit.
(5) V., déjà, antérieurement : Cass. soc., 20 mars 2001, n° 99-60.496, Union départementale des syndicats confédérés CGT des Hautes-Pyrénées c/ Société Actalimet autres (N° Lexbase : A1250ATH) ; Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-60.305, Compagnie Corsair (N° Lexbase : A3383D7G).
(6) Il reste que la Cour de cassation devra nous dire un jour quelles conséquences il convient de tirer de tout cela. Par exemple, que conclure si l'employeur licencie le délégué "surnuméraire" sans autorisation de l'inspecteur du travail ? Bien plus, doit-il solliciter cette autorisation ?
(7) V., sur ce principe, A. Jeammaud, Du principe d'égalité de traitement des salariés, Dr. soc., 2004, p. 694.
(8) Plus précisément les organisations se trouvant dans la même situation. Ainsi, la tolérance peut être réservée aux seuls syndicats représentatifs, à l'exclusion de ceux qui ne le sont pas.
(9) Rappelons qu'en vertu de l'article R. 2143-2 du Code du travail (N° Lexbase : L0706IAE), dans les entreprises ou établissements dont l'effectif se situe entre 1 000 et 1 999 salariés, les syndicats peuvent désigner deux délégués. Si l'effectif chute durablement en dessous de 1 000 salariés, le nombre de délégués doit être réduit à un. Remarquons que, dans ce cas, les prescriptions de l'article L. 2143-11 (N° Lexbase : L3750IBI) n'ont pas à être respectées ; ce texte n'étant applicable que lorsque la réduction des effectifs entraîne la suppression du mandat des délégués syndicaux.
(10) Reste à déterminer la juridiction compétente. Sur la question, v. B. Boubli, Les délégués syndicaux surnuméraires et le principe d'égalité, SSL, n° 1364, p. 8.
Décisions
1° Cass. soc., 4 mars 2009, n° 08-60.401, Société Flexi France c/ M. Jacques Decaux et a., FS-P+B (N° Lexbase : A7245EDP) Rejet de TI Rouen, contentieux des élections professionnelles, 7 avril 2008 Texte concerné : C. trav., art. L. 2324-1 (N° Lexbase : L3802IBG) Mots-clefs : droit syndical ; amélioration des dispositions légales ; usage ; engagement unilatéral ; tolérance de l'employeur ; dénonciation ; principe d'égalité ; obligation d'information ; exigence de loyauté Lien base : 2° Cass. soc., 4 mars 2009, n° 08-60.436, Société ISS sécurité c/ M. Jérôme Pringuet et a., FS-P+B (N° Lexbase : A7247EDR) Rejet de TI Paris, 16ème ch., contentieux des élections professionnelles, 19 mai 2008 Texte concerné : C. trav., art. L. 2141-10 (N° Lexbase : L2155H9P) Mots-clefs : droit syndical ; amélioration des dispositions légales ; usage ; engagement unilatéral ; tolérance de l'employeur ; dénonciation ; principe d'égalité ; obligation d'information ; exigence de loyauté Lien base : 3° Cass. soc., 4 mars 2009, n° 08-60.411, Syndicat Force ouvrière des activités complémentaires du transport aérien et a. c/ Société Connecting bag services, FS-P+B (N° Lexbase : A7246EDQ) Rejet de TI Aulnay-sous-Bois, contentieux des élections professionnelles, 18 avril 2008 Mots clefs : effectifs ; réduction ; délégué syndical ; principe d'égalité Lien base : |