[Le point sur...] La convention collective est-elle encore un contrat ?
par Gilles Auzero, Maître de conférences à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
La question de savoir si la convention collective est encore un contrat peut apparaître iconoclaste, pour ne pas dire totalement erronée. La doctrine admet en effet aujourd'hui très largement, à la suite de Paul Durand ("Le dualisme de la convention collective de travail", RTD civ. 1939, p. 353), la conception dualiste de la convention ou l'accord collectif de travail : à la fois contrat générateur d'obligations entre les parties signataires et règlement générateur de normes s'imposant aux individus. Il s'en déduit que l'acte collectif comporterait à la fois une partie obligatoire (ou contractuelle) ne concernant que les parties contractantes et produisant de ce fait des effets relatifs, et une partie réglementaire (ou normative) applicable à tous les individus soumis à l'acte collectif en cause, qu'ils soient membres ou pas des syndicats signataires.
Précisément, et pour donner un tour moins provoquant à la question précédemment posée, on peut se demander, au vu de décisions récentes de la Cour de cassation, ce qu'il peut bien rester de la partie obligatoire de la convention ou de l'accord collectif de travail. La Chambre sociale paraît en effet aujourd'hui résolue à renforcer la partie normative de l'acte collectif, au détriment de sa partie obligatoire. C'est cette évolution qui nous paraît pouvoir susciter la critique.
Dans un important arrêt du 29 mai 2001, amplement commenté (Cass. soc., 29 mai 2001 : D. 2002, p. 34 , note F. Petit ; Dr. soc. 2001, p. 821, note G. Borenfreund ; Sem. soc. Lamy 11 juin 2001, p. 12, note B. Boubli
N° Lexbase : A4696AT4), la Chambre sociale a affirmé sans ambiguïté , au visa des articles L. 412-21, L. 426-1 et L. 438-10 du Code du travail que "
les dispositions d'une convention ou d'un accord collectif qui tendent à améliorer l'exercice du droit syndical dans les entreprises ou les institutions représentatives du personnel sont applicables de plein droit à tous et en particulier aux syndicats représentatifs sans qu'il y ait lieu de distinguer entre ceux qui ont signé ou adhéré à la convention ou à l'accord collectif et ceux qui n'ont pas signé la convention ou l'accord collectif et ceux qui n'y ont pas adhéré". On notera, en outre, que la Cour de cassation a décidé, dans ce même arrêt, que le principe d'égalité de valeur constitutionnelle ne permet pas à un employeur de subventionner un syndicat représentatif et non un autre, selon qu'il a signé ou non un accord collectif.
On l'aura compris, était en cause, en l'espèce, un accord collectif qui aménageait les modalités d'exercice du droit syndical et les conditions de la participation des institutions représentatives du personnel au sein de l'entreprise. Tout le problème résidait dans l'une des clauses de cet accord réservant ses dispositions aux seuls syndicats signataires. Clause dont la cour d'appel avait refusé de prononcer la nullité, encourant la censure de la Cour de cassation.
La solution retenue par la Chambre sociale dans l'arrêt du 29 mai 2001 n'est pas à proprement parler nouvelle, puisqu'elle avait déjà été annoncée par une précédente décision en date du 20 novembre 1991 (Cass. soc., 20 nov. 1991 : Dr. soc. 1992, p. 59, rapp. Ph. Waquet
N° Lexbase : A4875AB8). Cette dernière décision manquait cependant de clarté, dans la mesure où une double distinction y était opérée entre, d'une part, le caractère normatif et la caractère obligatoire des dispositions d'un accord collectif et, d'autre part, les institutions légales ou les organismes créés conventionnellement.
Semblables distinctions ne se retrouvent pas dans l'arrêt du 29 mai 2001, donnant par là même à la solution retenue une portée considérable (F. Petit, note préc., p. 35). Elle n'en demeure pas moins critiquable tant en en droit qu'en fait.
En droit tout d'abord. On admettra bien volontiers que les dispositions conventionnelles en faveur des institutions représentatives du personnel doivent bénéficier à tous, dans la mesure où ces institutions existent en dehors des organisations syndicales et n'en sont pas l'émanation directe (B. Boubli, op. cit., p. 12). En d'autres termes, ces dispositions doivent sans aucun doute être rattachées à la partie normative de l'acte collectif. Cela étant, il ne nous paraît pas en aller de même des droits syndicaux, qui relèvent des organisations syndicales et peuvent être, à ce titre, rattachés à la partie obligatoire de la convention collective.
Plus précisément, lorsqu'un employeur envisage de négocier un accord comportant de telles dispositions, il lui appartient, bien évidemment, de convoquer l'ensemble des syndicats représentatifs dans l'entreprise, en application du principe d'égalité. Mais après, seules deux voies peuvent être empruntées : ou bien un syndicat signe l'accord et il a vocation à en bénéficier en tant que partie, ou bien il ne signe pas, et devient un tiers à cet accord. Il ne peut dès lors revendiquer l'application des avantages conventionnels, conformément au principe posé par l'article 1165 du Code civil. Décider le contraire conduit à rattacher les dispositions en cause à la partie normative de l'acte collectif et à faire passer le syndicat non signataire du statut de tiers à l'acte juridique en cause, à celui de sujet de ce même acte, au même titre que les salariés. En d'autres termes, la notion de représentativité, qui fonde l'application erga omnes de la convention ou de l'accord collectif de travail, aurait également pour effet de rendre les dispositions conventionnelles applicables à tous les syndicats.
En fait ensuite. La solution retenue par la Cour de cassation paraît de nature à conduire à une certaine déresponsabilisation des syndicats. Les accords relatifs au droit syndical constituent à tout le moins un sujet sensible : l'employeur vient donner aux syndicats des moyens supplémentaires, allant parfois jusqu'à financer ceux-ci. On peut donc comprendre que certains syndicats dénoncent de tels accords et refusent de les signer. Mais quelle cohérence y-a-t -il alors à accepter que ces mêmes syndicats demandent ensuite à bénéficier d'un tel accord. On pourrait arguer qu'il est toujours possible de changer d'avis. Certes, mais le Code du travail envisage une telle possibilité en donnant à tout syndicat la possibilité d'adhérer à une convention ou un accord collectif (C. trav., art. L . 132-9
N° Lexbase : L5689ACP, L. 132-15 et s.
N° Lexbase : L5669ACX). Il est d'ailleurs intéressant de remarquer, à ce propos que, dans une décision relativement ancienne du 15 janvier 1981 (Cass. soc., 15 janv. 1981 : Bull. civ. V, n° 40 ; Dr. ouvrier 1981, p. 358
N° Lexbase : A3698AG3), la Cour de cassation avait admis qu'une organisation syndicale non signataire d'un accord pouvait en invoquer le bénéfice, mais par ce fait elle considérait que celle-ci avait adhéré à l'accord et était donc tenu d'en respecter les conditions .
Car la décision de la Cour de cassation du 29 mai 2001 laisse une question importante dans l'ombre : qu'en est-il des éventuelles obligations qui pourraient être mises à la charge des syndicats en contrepartie des avantages consentis par l'employeur ? De telles obligations sont inopposables au syndicat non signataire puisque, précisément, il n'est pas partie à l'accord. Faut-il alors décider, sur le fondement du principe d'égalité de traitement entre les syndicats, qu'il convient d'imposer à tous les bénéficiaires de l'accord, quels qu'ils soient, les obligations qui ont été stipulées en contrepartie des avantages (F. Petit, note préc.) ? Ce serait sans doute le moins que l'on puisse attendre, car l'on ne voit pas pourquoi les droits conventionnels seraient rattachés à la partie normative, tandis que les obligations resteraient dans la partie obligatoire. Mais quelle différence en ce cas avec l'adhésion ?
En définitive, la solution retenue par la Cour de cassation dans son arrêt du 29 mai 2001 peut être approuvée si l'on admet qu'elle permet au final de renforcer les droits collectifs du personnel. Pour autant, on peut considérer qu'elle porte un coup sensible au jeu de la négociation dans l'entreprise, en enlevant à celle -ci une partie de son intérêt par le déplacement du rapport de force, vers le terrain strictement juridique.
Il convient de noter, pour finir, que la Cour de cassation a confirmé, dans un arrêt postérieur, sa volonté de renforcer la partie normative des accords collectifs, dans un autre domaine de la négociation collective. En effet, dans une décision du 12 juin 2001, la Chambre sociale a affirmé qu' "
indépendamment des actions réservées aux syndicats par les articles L. 135-4 et L. 135-5 du Code du travail, en cas d'extension d'une convention ou d'un accord collectif qui a pour effet de rendre les dispositions étendues applicables à tous les salariés et employeurs compris dans leur champ d'application, les syndicats professionnels sont recevables à en demander l'exécution sur le fondement de l'article L. 411-1 du Code du travail , leur non-respect étant de nature à causer nécessairement un préjudice à l'intérêt collectif de l'ensemble de la profession" (Cass. soc., 12 juin 2001 : JCP éd . G. 2002, II, 10049, p. 560, note F. Petit ; D. 2002, p. 361, note H. Nasom-Tissandier et P. Rémy
N° Lexbase : A5948ATH). Cette décision suscite cependant beaucoup moins la critique que la précédente en ce qu'elle vise surtout à assurer son plein effet à la partie normative des conventions et accords collectifs de travail.