Les développements de la jurisprudence de la Cour de cassation depuis l'arrêt Raquin rendu en 1987 (Cass. soc., 8 oct. 1987 ; Raquin : Dr. soc. 1988, p. 140, note J. Savatier N° Lexbase : A1981ABY) présentent toutefois pour l'entreprise un inconvénient majeur. Une fois contractualisé, le lieu de travail risque de devenir totalement intangible et ce, même si les changements envisagés par l'employeur sont minimes. C'est pourquoi la Cour de cassation a assoupli sa jurisprudence et admis la mobilité du salarié au sein d'un même secteur géographique (I). Mais l'entreprise peut se ménager une plus grande marge de souplesse encore en insérant dans le contrat de travail une clause de mobilité. Sous réserve de respecter certaines conditions, ces clauses sont valables et le salarié sera tenu de s'exécuter. Mais qu'advient-il lorsque le salarié refuse la mutation, et ce, indépendamment des hypothèses où l'employeur a commis un abus dans sa mise en oeuvre ? Sur ce point, et comme le démontre un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 4 février 2003, la jurisprudence fait preuve de plus de clémence avec les salariés. Selon les circonstances, le refus opposé constituera soit une faute grave, soit une simple faute sérieuse (II).
I - L'employeur peut sanctionner le refus d'une mutation au sein d'un même secteur géographique
En l'absence de toute clause de mobilité régulièrement insérée par les parties dans le contrat de travail, le salarié est en droit de refuser toute mutation géographique.
Deux tempéraments doivent toutefois être apportés à cette règle.
Le premier tempérament concerne la notion de "lieu de travail". Afin d'éviter une paralysie complète de l'entreprise qui voudrait simplement se déplacer de quelques mètres pour s'agrandir ou mieux se situer, la jurisprudence a dégagé la notion de "secteur géographique". Il s'agit d'une zone au sein de laquelle l'employeur peut en principe librement fixer le lieu précis d'exécution du contrat de travail. L'appréciation de cette aire relève naturellement du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond. La Cour de cassation a toutefois donné quelques directives d'interprétation.
La jurisprudence est sur ce point extrêmement fournie. Constituent ainsi une modification du contrat de travail la mutation à 58 kilomètres (Cass. soc., 4 janv. 2000 ; SA Volailles coeur de France : RJS 2000, n° 152 N° Lexbase : A3150AGR), à plus de 20 kilomètres (Cass. soc., 18 nov. 1998 ; SA Breilly c/ Callas et a. : Dr. soc. 1999, p. 580, chron. P. Waquet) ou le déplacement du lieu de travail de Lyon à Paris (Cass. soc., 27 mai 1998 ; Mizon : Dr. soc. 1999, p. 573, chron. P. Waquet N° Lexbase : A2877ACK). En revanche ne constituent pas une modification du contrat de travail mais un simple changement des conditions de travail le changement de bureau au sein de la même entreprise (Cass . soc., 17 févr. 1999 ; Monages : Dr. soc. 1999, p. 578, chron. P. Waquet N° Lexbase : A3068AGQ), la mutation dans un village voisin (Cass. Soc., 21 mars 2000 ; Bergeron : D. 2000, IR p. 114 N° Lexbase : A4971AG9) ou à l'intérieur de la région parisienne (Cass. soc., 20 oct. 1998 ; Boghossian : RJS 1999, n° 8 N° Lexbase : A3412ABY).
A l'intérieur de ce secteur, l'employeur peut donc exercer son pouvoir de direction et le salarié ne pourra s'opposer au changement de localisation de l'entreprise, sauf à s'exposer à des poursuites disciplinaires pouvant aller jusqu'au licenciement pour faute. Il s'agira en effet d'un acte d'insubordination justifiant la plupart du temps un licenciement pour faute grave, parfois pour faute sérieuse. A l'extérieur de ce secteur, en revanche, le changement s'analysera comme une modification du contrat de travail et le salarié pourra valablement s'y opposer. Si l'employeur décide de passer outre ce refus, il s'agira d'un motif de rupture permettant au salarié de lui réclamer en justice des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Précisons toutefois que cette distinction ne vaut que pour les salariés "ordinaires". Les salariés protégés sont en effet en droit de s'opposer non seulement aux modifications de leur contrat de travail, mais également à tout changement dans leurs conditions de travail (Cass. soc., 16 déc. 1998 ; Pasteyer c/ SA Cie Air-France : RJS 1999, n ° 235 N° Lexbase : A3131AG3), ce qui implique le droit de refuser une mutation même au sein d'un même secteur géographique. Dans cette hypothèse, toutefois, l'employeur pourra saisir l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement fondée précisément sur ce refus d'accepter un simple changement dans les conditions de travail.
Le second tempérament au droit affirmé par la jurisprudence de refuser toute mutation géographique tient au caractère durable ou provisoire de cette mutation. Pour qu'il y ait modification du contrat de travail, il est en effet nécessaire de constater que la mutation substitue au lieu contractuellement défini par les parties un nouveau lieu de travail, entraînant, sur ce point, novation du contrat. Si la mutation n'est que provisoire, alors il ne s'agira pas d'une modification du contrat puisque le lieu fixé par les parties demeurera. Si cette mutation provisoire entre dans les missions du salarié, telles qu'elles ont été définies lors de son embauche ou ultérieurement par les deux contractants, alors il devra se plier à la décision de l'employeur s'il ne veut pas s'exposer à des sanctions disciplinaires. C'est ainsi qu'a été sanctionné le salarié qui avait refusé d'effectuer un séjour de deux mois en Allemagne alors qu'il parlait allemand couramment (Cass. soc., 21 mars 2000 ; Mme Marchand : Dr. soc. 2000, p. 651, obs. J. Mouly N° Lexbase : A6364AGS).
II- L'employeur peut sanctionner le salarié qui refuse la mise en oeuvre d'une clause de mobilité
Afin de puiser dans le contrat de travail la souplesse que la jurisprudence lui refuse en l'absence de toute clause, les partenaires sociaux peuvent prévoir dans une convention collective que certaines catégories de salariés seront soumis à une obligation de mobilité. Cette clause est valable mais ne sera opposable au salarié que s'il a été mis effectivement en mesure d'en prendre connaissance lors de son embauche, ce qui interdit de lui opposer une clause si la convention qui l'a introduite dans le statut collectif est postérieure à son embauche (Cass. soc., 27 juin 2002 : RJS 2002, n° 1074 N° Lexbase : A0076AZT).
A défaut de disposition conventionnelle, le contrat de travail peut contenir une clause de mobilité. Cette dernière sera valable si elle respecte les droits et libertés fondamentaux du salarié, conformément aux exigences de l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI principe de nécessité et de proportionnalité), notamment le droit de fixer librement le lieu de son domicile (Cass. soc., 12 janv. 1999 ; Spileers c/ SARL Omni Pac : Dr. soc. 1999, p. 287, obs. J.-E. Ray ; RJS 1999, pp. 9497, chron. J. Richard de la Tour ; D. 1999, p. 645, note J. Marguénaud et J. Mouly N° Lexbase : A4618AG7). Le salarié devra également avoir signé le contrat dans lequel la clause a été inscrite, sinon cette dernière ne lui sera pas opposable (Cass. soc., 2 avr. 1998 ; ARL Safeti C/ Fassier : RJS 1998, n° 564. N° Lexbase : A2550ACG - Cass. soc., 7 mars 2000 ; Galinet : RJS 2000, n° 369 N° Lexbase : A0397AZQ).
Une fois signée, la clause doit être exécutée par le salarié.
La jurisprudence retient toutefois de cette clause une interprétation stricte et refuse, sous couvert d'interprétation, d'en faire une application extensive (ainsi le salarié ne peut être muté dans un établissement qui n'existait pas à la date de signature : CA Montpellier, 22 janv. 2002). L'employeur pourra donc se voir reprocher de n'avoir pas respecté ses propres obligations contractuelles lui imposant, par exemple, de laisser au salarié un délai de réflexion avant de répondre à la proposition qui lui est faite (Cass. soc., 18 sept. 2002 ; Sté Go sport c/ Mme Josette Petit : Dr. soc. 2002, p. 997, obs. R. Vatinet N° Lexbase : A4510AZ3) ou d'imposer au salarié une mutation alors que la clause ne prévoyait que des "missions ponctuelles" (CA Bourges, 19 janv. 2001).
Depuis 2002, la jurisprudence a d'ailleurs franchi un pas supplémentaire dans le contrôle de l'exécution de la clause et exige de l'employeur qu'il motive la mise en oeuvre de la clause par référence à l'intérêt de l'entreprise (Cass. soc., 23 janv. 2002 ; Sté SAS Telf N° Lexbase : A8169AXT - Cass. soc., 2 juill. 2002 ; M. Robert Saucier : Dr. soc. 2002, p. 998 N° Lexbase : A0669AZS - Cass. soc., 18 sept. 2002 ; sté Go sport c/ Mme Josette Petit : Dr. soc. 2002, p. 997, obs. R. Vatinet).
Si le salarié s'oppose à la mise en oeuvre de sa clause, en l'absence de tout abus de l'employeur, il se met en faute et s'expose à des sanctions disciplinaires (Cass. soc. 5 janv. 1977 : Bull. civ. V, n° 2. - Cass. soc., 10 juin 1997 : Dr. soc. 1999, p. 573, chron. P. Waquet. N° Lexbase : A1648ACZ - Cass. soc., 25 nov. 1997 : Dr. soc. 1999, p. 573, chron. P. Waquet N° Lexbase : A2138AC8).
Jusqu'en 1998, la Cour de cassation assimilait le refus du salarié à une faute grave. Depuis, elle n'assimile plus nécessairement les deux et exige des juges du fond qu'ils caractérisent le degré de gravité de la faute en fonction des données de l'affaire (Cass. soc., 15 juill. 1998 ; Mme Michelle Pagano : Dr. Soc. 1998, p. 889, note G. Couturier N° Lexbase : A5687ACM). Mais comment articuler l'abus du droit d'invoquer le bénéfice de la clause et le refus du salarié de l'exécuter ?
C'est à cette question que l'arrêt rendu le 4 février 2003 apporte une réponse qui présente un grand intérêt.
Dans cette affaire, une salariée, recrutée comme agent de nettoyage, avait "accepté" une clause de mobilité géographique lors de son embauche aux termes de laquelle elle consentait à toute mutation au sein de l'entreprise correspondant à ses aptitudes et à ses compétences et qui serait motivée par les nécessités de service. La salariée avait refusé une mutation et fait l'objet d'un licenciement pour faute grave. Le conseil de prud'hommes avait donné raison à son employeur après avoir relevé que les nouveaux horaires proposés ne provoquaient pas, même si le lieu de travail était plus éloigné du domicile, un bouleversement des habitudes de la salariée au point de rendre abusive l'application de la clause de mobilité. Ce jugement est cassé au motif que "la seule circonstance que l'employeur n'ait pas commis d'abus dans la mise en oeuvre de la clause de mobilité ne caractérise pas la faute grave du salarié qui a refusé de s'y soumettre".
Cet arrêt permet donc de bien distinguer deux hypothèses. Lorsque l'employeur abuse de son droit d'invoquer la clause de mobilité, alors cet abus prive le recours à la clause de toute légitimité. En d'autres termes, c'est comme si l'employeur agissait sans droit et le salarié ne commet donc pas de faute en refusant la mutation. Le licenciement prononcé sera alors dépourvu de cause réelle et sérieuse.
En revanche, ce n'est pas parce que la mise en oeuvre de la clause n'est pas abusive que le refus opposé par le salarié équivaut nécessairement à une faute grave. Il convient en effet d'analyser les motifs de son refus pour déterminer le degré de gravité de l'insubordination. S'il n'oppose aucun motif valable, alors la faute grave sera caractérisée. Mais s'il dispose de raisons valables, tenant notamment à sa situation de famille, alors son refus, quoique que constituant une faute disciplinaire, ne constituera pas une faute "grave" mais seulement une faute "sérieuse" non privative du droit au préavis ni du droit à l'indemnité de licenciement. La jurisprudence nous fournit quelques exemples de licenciements pour faute sérieuse. Il en ira ainsi si le salarié doit prendre les transports en commun pour se rendre à 10 kilomètres (CA Metz, 20 mars 2001) ou lorsque le salarié refuse sa cinquième mutation en 16 mois pour demeurer proche de son fiancé (CA Bordeaux, 11 déc. 2000).
Dans le premier cas (abus), les magistrats doivent se livrer à une analyse du comportement de l'employeur pour savoir s'il sera déchu du droit d'invoquer le bénéfice de la clause ; dans le second (refus) c'est l'analyse du comportement du salarié qui permettra de qualifier la faute de grave ou sérieuse. On retrouve ici une distinction chère au droit pénal. Si le juge répressif ne s'intéresse en effet pas aux motifs de l'agent pour déterminer sa culpabilité, il en tiendra en revanche compte au moment de fixer le quantum de la peine.
Cette précision de bon sens méritait d'être rappelée.