[Le point sur...] La mobilité avec clause : l'article 1134 du Code du civil sur le devant de la scène

par Charlotte d'Artigue, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

La mobilité géographique des salariés continue de susciter des interrogations, que le contrat de travail comporte ou non une clause de mobilité. La Cour de cassation, dans un arrêt du 22 janvier dernier, apporte à nouveau des précisions sur ces clauses, qu'il s'agisse de leurs conditions de validité ou de leur mise en oeuvre. Dans cet arrêt, la Haute cour met plus particulièrement en avant le célèbre article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), en lui faisant jouer un rôle primordial pour décider de la mise en oeuvre d'une clause de mobilité.

Les faits de l'espèce sont les suivants : un salarié est embauché par une société,  sous contrat de travail à durée indéterminée prévoyant une clause de mobilité assez originale. En effet, le contrat comportait à la fois une clause manuscrite, stipulant que le lieu de travail serait fixé à Toulouse, et une clause dactylographiée, prévoyant qu'il entre "dans les attributions normales du salarié de participer à des travaux d'assistance technique chez différents clients de la compagnie, tant en France qu'à l'étranger". L'employeur licencie le salarié pour faute grave, au motif que celui-ci a refusé de remplir une mission qui lui a été assignée à Paris, pour une durée de 33 jours répartis sur 2 mois. La cour d'appel donne raison au salarié. Elle estime que la clause de mobilité rajoutée de façon manuscrite et prévoyant que le lieu de travail serait fixé à Toulouse constitue une clause contractuelle claire et précise et que, dès lors, la clause dactylographiée ne peut pas produire effet. Ainsi, l'employeur n'aurait pas respecté ses obligations contractuelles en imposant au salarié un déplacement à Paris.

La Cour de cassation n'approuve cependant pas la cour d'appel et censure cette décision en cassant l'arrêt. C'est au visa de l'article 1134 du Code civil, selon lequel "les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites", que la Cour de cassation rend son attendu, aux termes duquel "la clause fixant le lieu de travail du salarié à Toulouse ne prive pas d'effet la clause qui, conformément à la nature même des fonctions exercées par le salarié, prévoyait sa participation à des travaux d'assistance technique chez différents clients tant en France qu'à l'étranger".

Cet arrêt présente donc une excellente occasion de faire le point sur les conditions de validité de la clause de mobilité ainsi que sur les effets qu'elle emporte.

La première condition à respecter tient à l'insertion de la clause dans le contrat de travail. En effet, dès lors que la clause ne figure pas expressément dans le contrat ou dans un avenant, elle est, en toute logique, inopposable au salarié (Cass. soc., 13 octobre 1993, n° 92-41.847 N° Lexbase : A6847AH3). En l'espèce, cette condition ne posait pas problème, puisqu'au contraire deux clauses étaient inscrites au contrat. De plus, le contrat de travail doit être signé par le salarié (Cass. soc., 2 avril 1998, n° 95-43.541 N° Lexbase : A2550ACG). Précisons aussi que le fait d'apposer sa signature lors de l'embauche sur un règlement intérieur contenant une clause de mobilité ne vaut pas acceptation claire et non-équivoque, de la part du salarié, d'une telle clause dans son contrat de travail (Cass. soc., 19 novembre 1997, n° 95-41.260 N° Lexbase : A2090ACE).

Il convient de rappeler les effets de la convention collective sur la clause de mobilité. La jurisprudence considère que le fait qu'une convention collective prévoit les conditions de mise en oeuvre de la clause de mobilité n'a pas pour effet de rendre obligatoire l'insertion d'une telle clause dans les contrats de travail (Cass. soc., 5 mars 1998, n° 95-45.289 N° Lexbase : A2581ACL). Cependant, si la convention collective prévoit les conditions de mise en oeuvre d'une clause de mobilité et que le contrat de travail en comporte une, la clause contenue au contrat devra respecter les modalités de mutation (Cass. soc., 5 mai 1998, n° 95-42.545 N° Lexbase : A2534ACT).

Surtout, il faut que la clause soit rédigée en des termes clairs et non équivoques. Dès lors que cette condition fait défaut, il en résulte souvent une interprétation favorable pour le salarié (Cass. soc., 27 mai 1998, n° 96-40.929 N° Lexbase : A2877ACK). En l'espèce, on peut considérer que les deux clauses étaient rédigées de manière claire et non équivoque. En conséquence, elles devaient recevoir application et, aux yeux de la Cour de cassation, il n'y avait pas de raison de faire prévaloir la disposition selon laquelle le lieu de travail était fixé à Toulouse. C'est une solution qui parait fondée au regard du droit contractuel et de l'article 1134 du Code civil. Le seul moyen de faire échec à la clause dactylographiée aurait été de la supprimer du contrat de travail. Cependant, à partir du moment où les deux clauses figurent au contrat, il est logique qu'elles reçoivent toutes deux application. La cour d'appel, en statuant ainsi, a donc violé le dispositions de l'article 1134 du Code civil.

A partir du moment où la clause de mobilité est valable et conforme aux exigences posées par la Cour de cassation, le salarié est tenu de s'y soumettre. En effet, à partir du moment où la mobilité est contractuellement prévue, le fait de ne pas la respecter est constitutif d'une faute, qui peut même revêtir le caractère de faute grave. Il s'agit en effet d'un simple changement des conditions de travail, que le salarié est tenu d'accepter, à défaut de quoi l'employeur pourrait se positionner sur le terrain disciplinaire pour le sanctionner.

Le seul moyen de faire échec à cette règle est de démontrer un abus dans la mise en oeuvre de la clause, qui se caractérise par plusieurs éléments. La première condition tient à ce que la mise en application de la clause doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise. La Cour de cassation a posé cette condition depuis quelques années déjà, et n'est jamais revenue dessus (Cass. soc., 12 janvier 1999, n° 96-40.755 N° Lexbase : A4618AG7, Cass. soc., 23 janvier 2002, n° 99-44.845 N° Lexbase : A8169AXT ). De plus, le respect d'un délai de prévenance s'impose. La Cour prend également en considération le fait que le poste aurait pu être occupé par un autre salarié que celui auquel la mutation est demandée. Elle utilise ce critère pour qualifier l'abus de droit dans la mise en application de la clause (Cass. soc., 18 mai 1999, n° 96-44.315 N° Lexbase : A4654AGH). Enfin, la situation familiale du salarié ou les moyens de transport utilisables pour se rendre sur le nouveau lieu de travail constituent aussi des éléments entrant dans l'appréciation de l'abus de droit par la Cour de cassation (Cass. soc., 6 février 2001, n° 98-44.190 N° Lexbase : A3619ARH ; Cass. soc., 10 janvier 2001, n° 98-46.226 N° Lexbase : A2030AIZ).

Au vu de cette jurisprudence, on peut se demander si la Haute cour ne protège pas davantage les salariés ayant contractualisé la mobilité que ceux dont le contrat de travail ne prévoit rien en la matière. En effet, lorsque le contrat ne comporte pas de clause, on sait que les juges se réfèrent à la notion de secteur géographique, et que le changement de lieu de travail s'apprécie de manière objective, peu important les intérêts privés des salariés (Cass. soc., 4 mai 1999, n° 97-40.576 N° Lexbase : A4696AGZ ). Ne peut-on pas voir dans cette jurisprudence quelques incohérences ? Il convient de se poser la question.

On peut cependant se demander si la Cour de cassation ne serait pas en train de changer doucement la donne en durcissant quelque peu sa jurisprudence en matière de clauses de mobilité, redonnant par là-même plus de force à la volonté des parties et moins d'importance à la situation personnelle des salariés.

Dans un arrêt rendu récemment, elle a considéré qu'un employeur n'avait pas commis d'abus dans la mise en oeuvre de la clause de mobilité, alors même qu'elle entraînait des contraintes de trajet et des frais supplémentaires pour la salariée (Cass. soc., 22 janvier 2003, n° 00-41.935 N° Lexbase : A7382A48). L'arrêt commenté aujourd'hui va aussi dans ce sens, privilégiant le contenu du contrat de travail aux intérêts privés du salarié. Il est à noter que la mutation demandée en l'espèce consistait en une simple "mission" de 33 jours, répartis sur deux mois. En conséquence, ne faudrait-il pas voir ici la volonté de la Cour de cassation d'empêcher des salariés d'un certain niveau de qualification de refuser des missions ponctuelles, ne modifiant pas de manière substantielle leur contrat de travail ? Il semble, au vu de la jurisprudence récente de la Cour relative à la mobilité, que celle-ci s'oriente dans cette direction. En effet, dans un arrêt rendu le 22 janvier dernier, elle a estimé, dans une affaire où le contrat ne comportait pas de clause, que "le déplacement occasionnel (une mission de deux mois) imposé à un salarié en dehors du secteur géographique où il travaille habituellement ne constitue pas une modification de son contrat de travail dès lors que la mission est justifiée par l'intérêt de l'entreprise et que la spécificité des fonctions exercées par le salarié implique de sa part une certaine mobilité géographique" (N° Lexbase : A7010A4E). Même si le contexte des deux affaires n'est pas le même, du fait de la présence ou non d'une clause, il semble que l'on puisse tirer quelques enseignements de ces arrêts.

La Cour devient plus sévère dès lors que la mobilité se résume à une simple mission ponctuelle, et accorde plus d'importance au contenu du contrat de travail.