Cass. soc., 09-04-2002, n° 99-45.155, FS-P, Cassation partielle.



SOC.

PRUD'HOMMESC.B.

COUR DE CASSATION

Audience publique du 9 avril 2002

Cassation partielle

M. CANIVET, premier président

Pourvoi n° B 99-45.155

Arrêt n° 1340 FS P sur le quatrième moyen

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant

Sur le pourvoi formé par M. Antoine Z, demeurant Sauvagnon,

en cassation d'un arrêt rendu le 1er juillet 1999 par la cour d'appel de Pau (Chambre sociale), au profit de la société GMA, société à responsabilité limitée dont le siège social est Pau,

défenderesse à la cassation ;

Vu la communication faite au Procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 26 février 2002, composée conformément à l'article L. 131-6-1 du Code de l'organisation judiciaire, où étaient présents M. Canivet, premier président, M. Sargos, président, Mme Lemoine Jeanjean, conseiller rapporteur, MM. Merlin, Le Roux-Cocheril, Brissier, Finance, Texier, Mme Quenson, conseillers, M. Poisot, Mme Bourgeot, MM. Soury, Liffran, Besson, Mmes Maunand, Nicolétis, Auroy, conseillers référendaires, M. Bruntz, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Lemoine Jeanjean, conseiller, les observations de la SCP Bouzidi, avocat de M. Z, les conclusions de M. Bruntz, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu que M. Z a été engagé, le 1er novembre 1977, par M. ..., auquel a succédé la société GMA, en qualité de coupeur de vêtements de cuir, peaux et alcantara ; qu'il a été licencié pour faute grave le 1er octobre 1996 en raison de son refus d'accepter un changement de l'horaire quotidien, passant de 9 hà 18 h au lieu de 7 hà 16 h, et un changement des tâches demandées, consistant, en plus de ses tâches habituelles, à prendre des mesures sur les clients et à participer occasionnellement à la vente ; que le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande tendant au paiement d'indemnités de préavis, de licenciement et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Sur les deux premiers moyens

Attendu que M. Z reproche à l'arrêt attaqué de rejeter sa demande, alors, selon les moyens

1°/ qu'en l'état des termes clairs et précis de l'attestation de M. ... selon lesquels il "certifie avoir embauché le 1er novembre 1977 M. Capella Z, né le..., au sein de la société Adam'..., ... en tant que coupeur de vêtements de cuir, peaux et alcantara. D'un commun accord et pour des raisons d'organisation du travail de l'atelier M. Z devait se soumettre aux horaires de travail suivants du lundi au vendredi inclus matin de 7 hà 12 h 30 - après-midi de 13 h 30 à 16 h 30", la cour d'appel qui en déduit que ce document établit que la définition de l'horaire du travail n'avait aucun caractère essentiel pour le salarié a dénaturé les termes clairs et précis de cette attestation en violation de l'article 1134 du Code civil ;

2°/ qu'un bouleversement des horaires de travail au sein de l'entreprise constitue une modification du contrat de travail à laquelle le salarié peut légitimement s'opposer ; que, sollicitant expressément la confirmation du jugement entrepris, il faisait valoir que la décision unilatérale de l'employeur constituait un "remaniement sérieux" des horaires de travail, ceux-ci étant désormais fixés de 9 hà 12 h et de 13 hà 18 h, cependant que le salarié travaillait depuis près de vingt ans le matin de 7 hà 12 h 30 et l'après-midi de 13 h 30 à 16 h et partant qu'il était en droit de refuser cette modification de son contrat de travail ; que pour apprécier le bien-fondé du licenciement s'agissant de la modification des horaires de travail, la cour d'appel qui se borne à énoncer que l'employeur était fondé à exiger du salarié un changement de son horaire de travail et ce au regard de l'évolution de la clientèle et du mode d'activité nécessitant sa présence à l'heure de fréquentation de celle-ci, s'attachant ainsi exclusivement à l'intérêt de l'entreprise, sans nullement rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si la fixation unilatérale de nouveaux horaires de travail par l'employeur ne constituait pas un bouleversement des horaires de travail à ce titre constitutif d'une modification du contrat de travail et non une simple réorganisation des conditions d'exécution de celui-ci, 1°) a délaissé le moyen pertinent des conclusions dont elle était saisie en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 2°) a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 121-1 et suivants et L. 122-14-3 du Code du travail, ensemble l'article 1134 du Code civil ;

3°/ que le salarié ne commet pas de faute en refusant d'exécuter une tâche ne relevant pas de l'emploi pour lequel il a été embauché ; qu'ayant expressément constaté que M. Z avait été embauché en qualité de "coupeur de vêtements de cuir, peaux et alcantara", puis que la décision unilatérale litigieuse de l'employeur avait pour objet de l'affecter désormais partiellement à une activité de "vente" ; que rien ne démontre que la vente soit devenue prépondérante dans son activité au sein de l'entreprise ni que son exercice occasionnel, ait pu constituer une modification des conditions essentielles du contrat de travail, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations d'où il résultait que le refus du salarié d'exécuter cette nouvelle tâche, laquelle ne relevait pas de son emploi et ne résultait pas de son contrat, ne constituait pas une faute justifiant une mesure de licenciement et a violé les dispositions des articles L. 122-14-3 et L. 122-6 du Code du travail ensemble l'article 1134 du Code civil ;

4°/ que si l'employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction, peut changer les conditions de travail d'un salarié, il ne peut en revanche sans l'accord de ce dernier, lui assigner unilatéralement une tâche nouvelle différente de celle qu'il effectuait antérieurement dès lors que cette tâche ne correspond pas à sa qualification telle qu'elle résulte du contrat ; que le salarié faisait expressément valoir que la décision unilatérale de l'employeur avait pour objet d'orienter ses fonctions dans un domaine commercial, ne correspondant pas à sa qualification telle qu'elle résultait de son contrat de travail d'origine, celle-ci étant uniquement une qualification de "coupeur de vêtements de cuir, peaux et alcantara" exclusive de toute fonction commerciale ; que le salarié en déduisait que l'employeur avait modifié son contrat, modification qu'il était en droit de refuser sans encourir une mesure de licenciement ; qu'après avoir expressément constaté que le salarié serait désormais partiellement affecté à une activité de "vente", qu'il devait prendre les mesures sur les clients, la cour d'appel qui décide que rien ne démontre que la vente soit devenue prépondérante dans son activité ni que son exercice occasionnel ait pu constituer une modification, conditions essentielles du contrat de travail, sans préciser si cette nouvelle activité imposée au salarié correspondait à sa qualification de "coupeur de vêtements de cuir, peaux et alcantara", et ce pour apprécier l'ampleur de la modification du contrat de travail, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ;

5°/ que la modification des tâches ou de l'activité confiées à un salarié constitue une modification du contrat de travail, à ce titre soumise à l'accord du salarié, dès l'instant où elle ne correspond pas à ses qualifications, peu important l'importance de cette nouvelle activité au regard de l'ensemble des fonctions du salarié ; qu'après avoir expressément constaté que le salarié, dont la qualification non contestée était celle de "coupeur de vêtements de cuir, peaux et alcantara", serait partiellement affecté à "la vente", la cour d'appel qui, pour retenir que cette nouvelle affectation ne constituait pas une modification du contrat de travail du salarié, énonce que rien ne démontre que la vente soit devenue prépondérante dans son activité au sein de l'entreprise, s'est prononcée par un motif inopérant et n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu, d'abord, que le changement d'horaire consistant dans une nouvelle répartition de l'horaire au sein de la journée, alors que la durée de travail et la rémunération restent identiques, constitue un simple changement des conditions de travail relevant du pouvoir de direction du chef d'entreprise et non une modification du contrat de travail ;

Et attendu, ensuite, que l'employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction, peut changer les conditions de travail d'un salarié ; que la circonstance que la tâche donnée à un salarié soit différente de celle qu'il effectuait antérieurement, dès l'instant où elle correspond à sa qualification, ne caractérise pas une modification du contrat de travail ;

Que ces moyens ne sauraient être accueillis ;

Sur le troisième moyen

Attendu que M. Z reproche à l'arrêt de rejeter sa demande, alors, selon le moyen, qu'il incombe au juge de rechercher, au-delà des énonciations de la lettre de licenciement, la véritable cause du licenciement telle qu'invoquée par le salarié ; que celui-ci faisait expressément valoir qu'en réalité son licenciement n'avait pas été guidé par un souci de gestion mais par la volonté délibérée de son employeur de le sanctionner, le salarié ayant refusé de signer une attestation au bénéfice de son employeur dans le procès l'opposant à M. ..., cette attestation devant porter sur des faits que le salarié savait inexacts ; qu'en se bornant à apprécier le bien-fondé du licenciement du salarié au seul regard des motifs expressément invoqués par l'employeur dans la lettre de licenciement, sans rechercher si, au-delà de des énonciations, la véritable cause du licenciement ne résidait pas dans le refus du salarié de signer une fausse attestation contre son ancien employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-14-3 et L. 122-1 et suivants du Code du travail ;

Mais attendu que la cour d'appel, à qui il appartenait d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l'employeur, a formé sa conviction au vu des éléments fournis par les parties ; que le moyen ne saurait être accueilli ;

Mais sur le quatrième moyen

Vu les articles L. 122-6, L. 122-8 et L. 122-9 du Code du travail ;

Attendu que pour rejeter la demande d'indemnités de préavis et de licenciement, la cour d'appel a énoncé que le refus du salarié constituait un acte d'insubordination grave rendant impossible le maintien de l'emploi pendant le préavis ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le refus par le salarié d'un changement des conditions de travail, qui portait à la fois sur l'horaire quotidien et sur les tâches demandées, lesquels n'avaient pas varié pendant 20 années, n'était pas de nature à rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis et ne constituait pas une faute grave, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions rejetant la demande d'indemnité de préavis et de congés payés afférents et d'indemnité légale de licenciement, l'arrêt rendu le 1er juillet 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;

Laisse à chaque partie la charge respective de ses dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société GMA à payer à M. Z la somme de 1 825 euros ; rejette la demande de la société GMA ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf avril deux mille deux.