[Jurisprudence] Précisions sur la notion de syndicat catégoriel dans le contexte de la réforme de la démocratie sociale

par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

La réforme de la démocratie sociale intervenue en 2008 (loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail N° Lexbase : L7392IAZ) a placé les syndicats catégoriels sur le devant de la scène judiciaire en raison du régime dérogatoire qui leur a été accordé notamment pour mesurer leur audience électorale. Alors qu'aucune véritable définition du syndicat catégoriel n'avait été jusqu'à présent livrée (II), la Chambre sociale de la Cour de cassation apporte les premiers éléments de définition en se fondant sur le critères des collèges électoraux dans un arrêt en date du 14 décembre 2011 (II).

Résumé

Le Syndicat national du personnel commercial navigant, qui a vocation à présenter des candidats dans tous les collèges électoraux, ne se trouve pas dans la même situation que les organisations syndicales catégorielles dont les règles statutaires ne donnent vocation qu'à présenter des candidats dans certains collèges électoraux déterminés.

Dès lors, sans violer le principe de liberté syndicale, la prise en compte de la différence de champ statutaire d'intervention des syndicats catégoriels de cadres affiliés à une confédération catégorielle nationale et des syndicats catégoriels nationaux des personnels pilotes de ligne pour leur permettre de participer à la négociation collective pour les catégories qu'ils ont vocation à représenter constitue une justification objective et raisonnable à la différence de traitement instituée par le législateur.

I - La notion de syndicat catégoriel en débat

Réforme de la démocratie sociale. La loi du 20 août 2008 a accordé aux syndicats catégoriels d'entreprise affiliés à la CFE-CGC le droit de faire mesurer leur audience électorale dans les seuls collèges où leurs statuts leur donnent vocation à présenter des candidats (1).

Ces deux critères (être un syndicat catégoriel et être affilié à la CFE-CGC) sont cumulatifs ; si l'un des deux fait défaut alors le syndicat concerné se retrouve soumis aux règles de mesure commune de la représentativité syndicale et devra établir son audience de 10 % dans tous les collèges, et ce alors qu'il n'aura présenté des candidats que dans un seul collège.

Cette double exigence pose deux séries de difficultés qui tiennent à la notion même de syndicat catégoriel et à la licéité de la différence de traitement introduite entre les syndicats.

C'est dans le secteur de l'avion civile, où des règles particulières ont été introduites fin 2009 pour conforter les syndicats de pilotes de ligne dans leur légitimité particulière (2), que le litige était né.

Les faits. La société B. avait, en effet, contesté, le 21 janvier 2010, la désignation par le Syndicat national du personnel navigant commercial (SNPNC) d'un délégué syndical au motif que le SNPNC n'avait pas obtenu, lors des dernières élections, un score électoral de 10 % tous collèges confondus.

Le tribunal d'instance avait fait droit à cette demande et annulé la désignation de la déléguée syndicale, la juridiction ayant donc refusé au SNPNC le bénéfice du régime dérogatoire accordé aux syndicats catégoriels.

Le SNPNC et la déléguée syndicale avaient formé un pourvoi en cassation et posé une question prioritaire de constitutionnalité relative aux articles L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9), L. 2122-2 et L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD) du Code du travail. Cette question fut transmise le 20 septembre 2010 par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel qui a validé ces dispositions et dit qu'elles ne portaient atteinte ni au principe de liberté syndicale, ni au principe d'égalité devant la loi (3).

La QPC ayant été écartée, l'instance avait repris son cours et le pourvoi contre le jugement pouvait être examiné.

Pour obtenir la cassation du jugement, les demandeurs faisaient valoir toute une série d'arguments d'inconventionnalité mettant en cause la conformité de l'exigence même d'audience de 10 % (points 2 à 6 du pourvoi), au regard du principe de liberté syndicale (articles 3, 8 et 11 de la Convention n° 87 de l'OIT ; article 4 de la Convention n° 98 ; article 11 de la CESDH N° Lexbase : L4786AQC; article 5 de la Charte sociale européenne ; article 12 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne N° Lexbase : L8117ANX), et la conformité du régime dérogatoire dont bénéficient les syndicats catégoriels (points 7 à 10) au regard du principe d'égalité (CESDH, art. 11 et 14 N° Lexbase : L4744AQR N° Lexbase : L4747AQU).

Les questions déjà tranchées. Toutes les questions de conformité de la réforme de la démocratie sociale, singulièrement celles qui concernent les syndicats catégoriels, ont été tranchées par la Cour de cassation, dans le cadre de son contrôle de conventionnalité, ou par le Conseil constitutionnel à l'occasion des QPC qui lui ont été transmises (4).

Certaines questions, qui touchent aux conséquences de la consécration de la notion de syndicat catégoriel, demeurent toutefois en suspens, qu'il s'agisse de la capacité des syndicats catégoriels à présenter des candidats dans le premier collège qui n'a pas été expressément écartée (5), ou celle de leur droit à conclure seuls des accords intercatégoriels dès lors que le nombre des suffrages exprimés sur leur nom dans le second collège représenterait au moins 30 % des suffrages exprimés dans tous les collèges.

Mais une interrogation première demeure : qu'est-ce qu'un syndicat catégoriel au sens où l'entend notamment l'article L. 2122-2 du Code du travail ? C'est tout l'intérêt de cet arrêt en date du 14 décembre 2011.

II - La notion de syndicat catégoriel clarifiée

Difficultés de la qualification de syndicat catégoriel. Pour bénéficier de la règle de mesure particulière voulue par les partenaires sociaux en 2008 et mise en place par la loi du 20 août, un syndicat doit démontrer outre son affiliation à une "confédération syndicale catégorielle interprofessionnelle nationale", qu'il est lui-même une "organisation syndicale catégorielle" (6).

Le Code du travail ne donne pas à proprement parler de définition du syndicat catégoriel et se contente de viser les "organisations syndicales qui, selon leurs statuts, ont vocation à représenter certaines catégories de travailleurs" s'agissant de leur représentativité "à l'égard des personnels relevant des collèges électoraux". Cette définition, qui figure dans les dispositions générales du Code du travail, a d'ailleurs été reprise lorsqu'il s'est agi de reconnaître aux syndicats de journalistes (7) ou de personnels navigants techniques (8) leur représentativité dans les collèges qui sont réservés à ces catégories de salariés.

La Cour de cassation a eu l'occasion de préciser que c'est l'examen des statuts du syndicat qui doit conduire à lui reconnaître la qualité de syndicat catégoriel, et ce indépendamment de son affiliation à un syndicat catégoriel représentatif sur le plan national et interprofessionnel (9), ce qui fait qu'un syndicat d'entreprise non catégoriel peut parfaitement être affilié à la CFE-CGC et présenter alors des candidats dans tous les collèges (10), et logiquement négocier des accords intercatégoriels.

Mais malgré cette précision méthodologique, la Cour de cassation n'avait pas, jusqu'à cette nouvelle décision, livré de véritable définition du syndicat "catégoriel", au regard de la loi.

Possibilités d'interprétation. L'examen du Code du travail montre la fréquence et la variété de la référence aux catégories professionnelles (11). Face à cette prolifération, deux attitudes étaient possibles.

La première, laxiste, consistait à considérer comme catégoriel tout syndicat dont la vocation statutaire n'est pas générale et se propose de défendre et représenter les intérêts de tel ou tel groupe de salariés.

La seconde consistait à retenir une conception téléologique et fonctionnelle de la notion de syndicat catégoriel, c'est-à-dire de l'interpréter selon le régime juridique dont on recherche l'application. Or, les textes concernés lient très clairement la représentativité des syndicats catégoriels aux collèges électoraux, de telle sorte qu'une définition "électorale" du syndicat catégoriel, dans une optique fonctionnelle, semblait logique (12).

Le choix d'un critère téléologique et fonctionnel. C'est bien cette seconde définition qui se trouve ici retenue. La Chambre sociale de la Cour de cassation affirme, en effet, que "le Syndicat national du personnel commercial navigant, qui a vocation à présenter des candidats dans tous les collèges électoraux, ne se trouve pas dans la même situation que les organisations syndicales catégorielles dont les règles statutaires ne donnent vocation qu'à présenter des candidats dans certains collèges électoraux déterminés".

Le principe de qualification est donc clair : le SNPNC n'est pas un syndicat catégoriel, au sens où l'entend l'article L. 2122-2 du Code du travail, parce que sa vocation statutaire n'est pas limitée à la représentation des intérêts de salariés appelés à voter dans un collège spécifique. En d'autres termes, et sauf pour ce qui concerne les journalistes et les pilotes de ligne qui bénéficient d'un régime légal spécial (13), ne peut-être considéré comme catégoriel qu'un syndicat de cadres, ou d'ingénieurs pour ce qui concerne les entreprises qui se sont dotées d'un troisième collège, ce qui exclut des syndicats qui représenteraient des professions déterminées dès lors que le critère distinctif ne recouvre pas celui des collèges électoraux.

Cette interprétation nous semble bienvenue car elle évite une application extensive du régime de mesure dérogatoire de l'audience électorale, en réservant cette seule possibilité aux syndicats de cadres (14), conformément d'ailleurs aux voeux des partenaires sociaux (15), prévenant ainsi un éparpillement du syndicalisme en autant de syndicats que de professions.

L'inégalité de traitement entre syndicats. En permettant aux syndicats catégoriels affiliés à la CFE-CGC de mesurer leur audience dans le ou les seuls collèges des cadres, la loi du 20 août 2008 a mis en place un régime dérogatoire qui défavorise les syndicats intercatégoriels (ainsi que les syndicats catégoriels non affiliés à la CFE-CGC).

La Cour de cassation n'avait pas, à l'occasion de sa première décision du 14 avril 2010 (16), statué sur la conventionnalité de ces dispositions au regard du principe d'égalité ou de liberté syndicale.

Le Conseil constitutionnel avait, en revanche, été saisi dans le cadre de la procédure de QPC et a écarté le grief tiré d'une atteinte au principe d'égalité, après avoir relevé que les syndicats catégoriels ne se trouvent pas dans la même situation que les syndicats intercatégoriels, compte tenu de leur vocation statutaire (17).

Le 28 septembre 2011, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait eu à statuer sur la différence de traitement entre syndicats catégoriels résultant de leur affiliation, ou non-affiliation, à la CGC-CFE, et considéré que "selon qu'elles sont ou non affiliées à une confédération catégorielle nationale, les organisations syndicales catégorielles ne se trouvent pas dans la même situation" (18).

Même si on pouvait déduire, a fortiori, que la différence entre syndicats catégoriels et non catégoriels l'était également, une confirmation explicite s'imposait, ce qui est donc désormais le cas : "constitue une justification objective et raisonnable à la différence de traitement instituée par le législateur, la prise en compte de la différence de champ statutaire d'intervention des syndicats catégoriels de cadres affiliés à une confédération catégorielle nationale et des syndicats catégoriels nationaux des personnels pilotes de ligne pour leur permettre de participer à la négociation collective pour les catégories qu'ils ont vocation à représenter".

On observera d'ailleurs que la Cour n'écarte pas le grief en se fondant sur la différence de situation entre syndicats, selon qu'ils ont une vocation statutairement limitée ou non, mais sur l'existence d'une justification "objective et raisonnable", contrairement à l'analyse qui avait prévalu dernièrement.

Tout comme nous n'avions pas été convaincu par le raisonnement mené à propos de l'affiliation syndicale, qui nous semblait relever d'une logique de justification des atteintes plutôt que d'une différence de situation, il nous semble cette fois-ci que la distinction entre syndicats catégoriels et non catégoriels traduit bien une différence de situation, puisque leur vocation statutaire n'est pas la même et que leurs compétences ne sont pas aussi étendues.


(1) C. trav., art. L. 2122-2 (N° Lexbase : L3804IBI). Sur cette question notre chron., Les syndicats catégoriels et la réforme de la démocratie sociale, Dr. soc., 2010, pp. 821-825.
(2) Loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009, relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports (N° Lexbase : L0264IGU), notamment article 46.
(3) Cons. const., 12 novembre 2010, n° 2010-63/64/65 QPC (N° Lexbase : A4181GGX), v. nos obs. Le Conseil constitutionnel valide la réforme de la démocratie sociale, Lexbase Hebdo n°418 du 24 novembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N6879BQT).
(4) Notre chron., L'exercice du droit syndical après la loi du 20 août 2008 : Liberté, égalité, représentativité, ou la nouvelle devise de la démocratie sociale, Dr. soc., 2011, p. 1229.
(5) Mais elle l'a certainement été a contrario dans Cass. soc., 28 septembre 2011, n° 10-19.017, FS-P+B (N° Lexbase : A9598HXR), A propos du droit d'affichage et de diffusion des communications syndicales à l'intérieur de l'entreprise : question d'égalité ou de légalité ?, Lexbase Hebdo n° 457 du 13 octobre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N7962BSP) ; SSL n° 1508 du 10 octobre 2011, p. 4, note F. Favennec-Héry.
(6) C. trav., art. L. 2122-2, s'agissant de la représentativité dans l'entreprise.
(7) C. trav., art. L. 7111-8 (N° Lexbase : L1879INW).
(8) C. de l'aviation civile, art. L. 423-9 (N° Lexbase : L1874INQ) et L. 423-10 (N° Lexbase : L1873INP). Dans cette affaire, c'est bien la représentativité d'un syndicat des personnels navigant commercial qui était discutée, et non des syndicats des personnels navigants techniques (des pilotes donc).
(9) Cass. soc., 11 février 2009, n° 08-60.440, F-P+B (N° Lexbase : A1384EDM), Bull. civ. V, n° 46 : JCP éd. S, 2010, p. 1242, note J.-Y. Kerbouc'h (à propos de la vocation territorial du syndicat).
(10) Cass. soc., 28 septembre 2011, n° 10-26.693, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1307HY3) et v. nos obs., L'affiliation des syndicats de cadres à la CGC-CFE en questions, Lexbase hebdo n° 457 du 13 octobre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N8127BSS) ; SSL n° 1508 du 10 octobre 2011, p. 4, note F. Favennec-Héry.
(11) Une recherche en plein texte dans le Code du travail réalisée avec le mot "catégorie" fait apparaître 229 réponses !
(12) C. trav., art. L. 2314-8 (N° Lexbase : L3813IBT) pour les délégués du personnel ; L. 2324-11 ([LXB=2324-11]) pour le comité d'entreprise.
(13) S'agissant des pilotes de lignes, tous sont d'ailleurs cadres au sens des critères applicables aux collèges électoraux.
(14) A s'en tenir au critère dégagé, un syndicat d'ouvrier et d'employé, excluant les cadres et ingénieurs, pourrait donc être qualifié de syndicat catégoriel. Reste qu'à défaut d'affiliation interprofessionnelle ils ne pourraient pas revendiquer la règle de mesure dérogatoire.
(15) Position commune du 9 avril 2008.
(16) Cass. soc., 14 avril 2010, n° 09-60.426, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9981EU9), Dr. soc., 2010, p. 647, chron. L. Pécaut-Rivolier.
(17) Cons. const., 7 octobre 2010, préc..
(18) Cass. soc., 28 septembre 2011, n° 10-19.113, FS-P+B (N° Lexbase : A1309HY7), L'affiliation des syndicats de cadres à la CGC-CFE en questions, Lexbase Hebdo n°457 du 12 octobre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N8127BSS).

Décision

Cass. soc., 14 décembre 2011, n° 10-18.699, F-P+B (N° Lexbase : A4889H8L)

Rejet, tribunal d'instance de Morlaix, contentieux des élections professionnelles, 25 mai 2010)

Textes concernés : C. trav., art. L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9), L. 2122-2 (N° Lexbase : L3804IBI) et L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD)

Mots-clés : représentativité, syndicats catégoriels

Liens base : (N° Lexbase : E4056ETE)