Résumé
L'article 11 IV de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, qui dispose que, "jusqu'aux résultats des premières élections professionnelles dans l'entreprise ou l'établissement, pour lesquelles la date fixée pour la première réunion de la négociation du protocole d'accord préélectoral est postérieure à la publication de la présente loi, est présumé représentatif à ce niveau tout syndicat affilié à l'une des organisations syndicales de salariés présumées représentatives au niveau national et interprofessionnel à la date de publication de la présente loi", n'a pas prévu qu'il puisse être rapporté une preuve contraire. Il en résulte que la représentativité de la fédération CGT commerce distribution services, affiliée à l'une des confédérations reconnues représentatives au plan national antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi, ne peut être contestée pendant la période transitoire prévue par la loi. L'article L. 2143-3 du Code du travail (N° Lexbase : L3719IBD), dans sa rédaction applicable antérieurement à la loi du 20 août 2008, autorisait la désignation d'un délégué syndical par un syndicat représentatif qui constitue une section syndicale. L'article L. 2142-1 (N° Lexbase : L3761IBW), dans sa rédaction issue de la loi du 20 août 2008 et applicable immédiatement, conditionne, désormais, la création d'une section syndicale à la présence de plusieurs adhérents dans l'entreprise ou l'établissement. Il en résulte que le tribunal, qui n'a pas statué par des motifs dubitatifs, a exactement décidé que le syndicat devait, pour établir la preuve de l'existence ou de la constitution d'une section syndicale, démontrer la présence de plusieurs adhérents dans l'entreprise. L'adhésion du salarié à un syndicat relève de sa vie personnelle et ne peut être divulguée sans son accord. A défaut d'un tel accord, le syndicat qui entend créer ou démontrer l'existence d'une section syndicale dans une entreprise, alors que sa présence y est contestée, ne peut produire ou être contraint de produire une liste nominative de ses adhérents. L'article L. 2142-1 du Code du travail exige, pour la constitution d'une section syndicale, la présence d'au moins deux adhérents dans l'entreprise. Il en résulte qu'en cas de contestation sur l'existence d'une section syndicale, le syndicat doit apporter les éléments de preuve utiles à établir la présence d'au moins deux adhérents dans l'entreprise, dans le respect du contradictoire, à l'exclusion des éléments susceptibles de permettre l'identification des adhérents du syndicat, dont seul le juge peut prendre connaissance. |
Commentaire
I - La représentativité syndicale dans la période transitoire
La loi du 20 août 2008, dans son volet "démocratie sociale", a profondément réformé les règles de la représentativité syndicale en supprimant la présomption de représentativité qui s'attachait à l'affiliation à l'une des cinq confédérations syndicales de salariés réputées représentatives sur le plan national et interprofessionnel (3), et en la remplaçant par l'obligation de remplir sept nouveaux critères légaux, dont un critère d'audience électorale, dont le niveau d'exigence varie selon les niveaux de représentation et qui doit toujours être mesurée par référence au nombre des suffrages exprimés sur les titulaires lors du premier tour des dernières élections professionnelles (4).
Comme cela a été souligné à de nombreuses reprises, le principal critère de la "nouvelle" représentativité syndicale est l'audience électorale mesurée lors du premier tour des dernières élections professionnelles.
Cette exigence nouvelle est, toutefois, problématique dans la période qui suit immédiatement l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, car il semble difficile de prendre en compte les résultats des élections intervenues avant la loi du 20 août 2008, dans la mesure où les enjeux nouveaux s'attachant aux élections professionnelles ne pouvaient pas, par hypothèse, avoir été pris en compte par les électeurs dans leurs choix électoraux.
Sauf pour ce qui concerne l'exigence des 30 % des suffrages exprimés pour valider les accords collectifs signés dans l'entreprise et qui s'applique depuis le 1er janvier 2009 (5), la loi du 20 août 2008 a prudemment différé l'entrée en vigueur des nouveaux dispositifs de représentativité syndicale et de validité des accords conclus aux autres niveaux à la date de la prochaine mesure de l'audience électorale réalisée postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi nouvelle. Il faudra donc attendre les nouvelles élections dans les entreprises, qui interviendront de manière échelonnée jusqu'en 2012, pour que puissent s'appliquer les nouvelles règles relatives à la représentativité des syndicats dans l'entreprise, dans la branche ou au niveau interprofessionnel.
En attendant cette prochaine mesure de l'audience, la loi du 20 août 2008 a mis en place un régime transitoire. Celui-ci repose, pour l'essentiel, sur la survie du régime antérieur. L'article 11-V de la loi dispose, ainsi, pour s'en tenir aux solutions applicables dans l'entreprise, que "jusqu'aux résultats des premières élections professionnelles dans l'entreprise ou l'établissement, pour lesquelles la date fixée pour la première réunion de la négociation du protocole d'accord préélectoral est postérieure à la publication de la présente loi, est présumé représentatif à ce niveau tout syndicat affilié à l'une des organisations syndicales de salariés présumées représentatives au niveau national et interprofessionnel à la date de publication de la présente loi, ainsi que tout syndicat représentatif à ce niveau à la date de cette publication. Est également présumé représentatif dans les mêmes conditions tout syndicat constitué à partir du regroupement de plusieurs syndicats dont l'un au moins est affilié à une organisation syndicale de salariés représentative au niveau national et interprofessionnel à la date de publication de la présente loi". En d'autres termes, et pour simplifier, l'affiliation à une confédération présumée représentative avant la réforme continue de produire effet jusqu'aux prochaines élections dans l'entreprise, et les syndicats non affiliés qui avaient fait établir leur représentativité positive dans l'entreprise avant le 22 août 2008 en conservent, également, le bénéfice.
Reste à déterminer la force de cette présomption légale : simple ou irréfragable ?
C'est tout l'intérêt de cet arrêt en date du 8 juillet 2009, qui tranche en faveur du caractère irréfragable de la présomption, ce qui est parfaitement légitime.
Certes, la loi ne le précise pas, mais cela va de soi, même si la comparaison des textes pouvait laisser planer un doute. L'ancien article L. 2122-1 du Code du travail disposait, en effet, que "tout syndicat professionnel affilié à une organisation représentative au niveau national est considéré comme représentatif dans l'entreprise", alors que le V de l'article 11 de la loi du 20 août 2008 disposait, pour sa part, que "est présumé représentatif à ce niveau tout syndicat affilié à l'une des organisations syndicales de salariés présumées représentatives au niveau national et interprofessionnel à la date de publication de la présente loi" ; le passage de "considéré" à "présumé" pouvait, sans doute, laisser imaginer un changement d'intensité de la "présomption", même s'il n'en était rien.
La loi du 20 août 2008 a, en effet, à titre transitoire, assuré la survie des règles antérieures (6), en attendant la prochaine mesure de l'audience ; la présomption liée à l'affiliation à une confédération présumée représentative sur le plan national et interprofessionnel ayant été irréfragable, il était donc parfaitement logique qu'elle le demeure dans la phase transitoire.
On ajoutera que, lorsque le législateur a souhaité rendre réfragable une présomption légale, il l'a clairement indiqué. C'est ainsi que le nouvel article L. 2122-6 du Code du travail (N° Lexbase : L3796IB9) dispose que, "dans les branches dans lesquelles plus de la moitié des salariés sont employés dans des entreprises où, en raison de leur taille, ne sont pas organisées d'élections professionnelles permettant d'y mesurer l'audience des organisations syndicales, et jusqu'à l'intervention d'une loi suivant les résultats d'une négociation nationale interprofessionnelle, aboutissant au plus tard le 30 juin 2009, sur les moyens de renforcer l'effectivité de la représentation collective du personnel dans les petites entreprises et d'y mesurer l'audience des organisations syndicales, sont présumées, sans préjudice de la preuve du contraire, représentatives les organisations syndicales de salariés affiliées à des organisations syndicales représentatives au niveau national et interprofessionnel". On peut donc raisonnablement penser qu'en l'absence d'une telle mention, la référence par la loi à une présomption, même exprimée sous la forme d'une "considération", vaut présomption irréfragable.
II - Les nouvelles règles de mise en place de la section syndicale
La loi du 20 août 2008 n'a pas différé l'application de toutes ses dispositions, mais simplement de celles qui dépendaient des élections professionnelles. C'est pourquoi les nouvelles règles relatives aux élections professionnelles elles-mêmes, mais aussi celles qui concernent la section syndicale, sont d'application immédiate.
S'agissant de cette dernière, outre la possibilité offerte de désigner, dans le cadre de la section, le nouveau "représentant de la section syndicale", la loi du 20 août 2008 a assoupli les conditions de mise en place de la section. Ce droit n'est plus réservé aux seuls syndicats représentatifs, mais il est, également, reconnu aux syndicats non représentatifs, soit lorsque leur champ professionnel et géographique couvrent l'entreprise ou l'établissement concerné et qu'ils ont une ancienneté de deux ans, sont indépendants de l'employeur et respectent les valeurs républicaines, soit lorsqu'ils sont affiliés à une organisation syndicale représentative au niveau national et interprofessionnel (7).
L'ancien article L. 2142-1 du Code du travail, qui réservait la possibilité d'avoir une section syndicale aux syndicats représentatifs, n'exigeait aucune condition d'effectif syndical ; un syndicat représentatif pouvait donc théoriquement s'implanter dans une entreprise avec uniquement un militant non adhérent, même si, dans la pratique, il s'agissait d'un cas d'école.
Le nouvel article L. 2142-1 du Code du travail, issu de la loi du 20 août 2008, exige l'existence de "plusieurs adhérents", dont on pouvait déduire l'existence d'au moins deux adhérents.
C'est ce que confirme en premier lieu cet arrêt en date du 8 juillet 2009.
Cette modification des conditions de mise en place de la section syndicale a des répercussions sur la désignation du délégué syndical. Dans l'ancien dispositif, l'article L. 2143-3 du Code du travail (N° Lexbase : L2181H9N) disposait bien que "chaque syndicat représentatif qui constitue une section syndicale" peut désigner un délégué syndical, mais il n'exigeait plus, depuis quelques années, la constitution préalable de la section, la désignation du délégué valant création de la section syndicale (8).
Cette assimilation n'était pas problématique dans la mesure où la création de la section syndicale n'était soumise à aucune condition particulière, si ce n'est la représentativité syndicale également exigée pour désigner un délégué syndical.
Désormais, les conditions de mise en place de la section syndicale et du délégué syndical sont bien distinctes ; la section syndicale peut être mise en place par un syndicat non représentatif, alors que le délégué syndical reste l'apanage des syndicats représentatifs, et le délégué syndical est, désormais, soumis à une condition d'audience électorale personnelle (9).
Dans ces conditions, il ne semble plus possible de considérer que la désignation d'un délégué syndical établit à elle-seule l'existence de la section syndicale ; encore faut-il prouver que le syndicat, quoi que représentatif, dispose bien de "plusieurs adhérents" dans l'entreprise pour pouvoir disposer, également, d'une section syndicale.
Sur ce point, l'affirmation contenue dans cet arrêt en date du 8 juillet 2009 est parfaitement justifiée.
III - Preuve du nombre d'adhérents et préservations des droits des salariés
Restait à régler la question pratique de la charge de la preuve et des modalités de cette preuve devant le juge.
La question n'est pas, à proprement parler, nouvelle, dans la mesure où l'effectif syndical constituait déjà, dans l'ancien régime, un critère de la représentativité syndicale pour les syndicats non affiliés. Mais, c'est à notre connaissance la première fois que la Cour de cassation devait statuer de manière aussi explicite sur les liens entre la preuve de l'effectif syndical, le respect de la liberté syndicale qui implique une certaine discrétion sur l'appartenance des salariés à telle ou telle organisation et le principe du contradictoire qui impose que tous les éléments soumis au juge soient débattus par les parties.
La solution de compromis trouvée par la Haute juridiction dans cet arrêt semble satisfaisante : seul le juge aura, en effet, accès à la liste nominative des adhérents et pourra, s'il le souhaite, procéder aux investigations nécessaires pour en vérifier la véracité. Les autres parties à l'instance n'auront en revanche pas accès au nom des salariés concernés et ce, afin de préserver la liberté syndicale des salariés concernés.
La solution semble bien équilibrée, car le syndicat ne doit pas pouvoir se retrancher derrière les libertés professionnelles des salariés pour échapper à ses propres obligations probatoires, et les employeurs ne doivent pas disposer des moyens de "traquer" les adhérents pour faire pression sur eux et porter ainsi atteinte aux droits des syndicats ; certes, ce dernier schéma relève, a priori, de la simple précaution, mais sait-on jamais ?
Décision
Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.011, Société Okaidi, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7069EIN) Rejet et cassation partielle TI Roubaix, contentieux des élections professionnelles, 2 janvier 2009 Textes applicables : loi n° 2008-789 du 20 août 2008, art. 11 IV (N° Lexbase : L7392IAZ) ; C. trav., art. L. 2143-3, dans sa rédaction applicable antérieurement à la loi du 20 août 2008 (N° Lexbase : L2181H9N) ; art. L. 2142-1, dans sa rédaction issue de la loi du 20 août 2008 (N° Lexbase : L3761IBW) ; art. L. 2141-4 (N° Lexbase : L2149H9H) ; art. L. 2141-5 (N° Lexbase : L3769IB9) ; art. L. 2142-1 (N° Lexbase : L3761IBW) ; Constitution du 27 octobre 1946, alinéa 6 du préambule (N° Lexbase : L6821BH4) ; CESDH, art. 11 (N° Lexbase : L4744AQR) ; C. civ., art. 9 (N° Lexbase : L3304ABY) Mots clef ; syndicats ; section syndicale Lien base : |