Résumé
La lettre de désignation fixe les limites du litige et le juge ne peut apprécier la validité de la désignation d'un délégué ou représentant syndical en dehors du cadre défini par cette lettre. Si c'est à tort que le tribunal d'instance a décidé que le syndicat Sud banques devait, pour pouvoir désigner un représentant de la section syndicale au sein du nouvel établissement GPAC APAV, créé par décision du directeur départemental du travail du 30 septembre 2008, rapporter la preuve de son implantation dans l'ensemble des sites composant cet établissement, le jugement se trouve légalement justifié en son dispositif dès lors qu'il résulte de ses constatations que l'établissement GPAC Nord, dans le cadre duquel le salarié avait été désigné par le syndicat Sud le 15 octobre 2008, n'existait plus depuis le 30 septembre 2008. |
Commentaire
I - Les difficultés liées à la mise en place du représentant de la section syndicale
La loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, a crée le représentant de la section syndicale pour permettre aux syndicats non représentatifs d'être représentés dans l'entreprise ou l'établissement, soit lorsque leur champ professionnel et géographique couvre l'entreprise ou l'établissement concerné et lorsqu'ils ont une ancienneté de deux ans, sont indépendants de l'employeur et respectent les valeurs républicaines, soit lorsqu'ils sont affiliés à une organisation syndicale représentative au niveau national et interprofessionnel (3).
Cette possibilité doit permettre à ces syndicats d'exercer une activité dans l'entreprise ou l'établissement dans la perspective des prochaines élections professionnelles qui s'y dérouleront ; à l'occasion de celles-ci, si le syndicat atteint la barre fatidique des 10 % des suffrages exprimés au premier tour des représentants élus au comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, il pourra alors devenir représentatif et désigner un délégué syndical ; s'il n'atteint pas ce seuil, le mandat du représentant de la section syndicale en place devient caduc ; le syndicat pourra désigner un nouveau RSS. Le salarié qui aura perdu son mandat ne pourra être redésigné en cette qualité que dans les six mois précédant les prochaines élections professionnelles.
Les conditions de désignation du RSS sont calquées sur celles du délégué syndical, qu'il s'agisse du seuil d'effectif (50, avec possibilité de désigner un délégué du personnel en dessous) ou du cadre de mise en place. L'article L. 2142-1-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3765IB3) dispose, en effet, que le RSS est mis en place "dans l'établissement ou l'entreprise", tout comme l'article L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD), relatif au délégué syndical, désigne, également, "l'entreprise ou l'établissement". Dans la mesure où la désignation du délégué syndical est subordonnée à la représentativité du syndicat désignant, il est acquis, depuis la création du délégué syndical en 1968, que le syndicat doit être représentatif au niveau où il désigne son représentant. Mais, s'agissant du RSS, qui s'adresse à des syndicats non représentatifs, comment traduire cette exigence ? C'est tout l'intérêt de cet arrêt en date du 8 juillet 2009.
Cette affaire concernait la désignation d'un RSS par le syndicat Sud dans l'un des établissements de la société BNP Paribas. A la suite d'un accord collectif conclu pour l'élection des institutions représentatives du personnel, un découpage avait été arrêté par les partenaires sociaux ayant conduit à la désignation d'un établissement dénommé GPAC Nord, né du regroupement, en 2007, de deux établissements situés l'un à Lille et l'autre à Rouen. Le mandat du délégué syndical désigné par le syndicat Sud banques solidaires dans l'établissement de Rouen étant devenu caduc à la suite de ce regroupement, et, à défaut d'accord en vue des prochaines élections des comités d'établissement, l'autorité administrative avait procédé à un nouveau découpage pour l'élection des comités d'établissement et retenu l'existence de trois établissements dont un établissement national pour les services GPAC.
Par lettre du 15 octobre 2008, le syndicat Sud banques solidaires avait désigné un salarié comme représentant de la section syndicale de l'établissement GPAC Nord. La société avait contesté cette désignation en alléguant que cet établissement avait disparu et que le syndicat qui n'était implanté que dans l'ancien établissement de Rouen n'avait pas d'adhérents répartis dans l'ensemble des sites du nouvel établissement. Le tribunal d'instance de Lille avait annulé cette désignation et c'est ce jugement dont Sud banques solidaires espérait la cassation.
Le syndicat prétendait, en effet, que la décision de l'autorité administrative définissant les établissements distincts pour l'élection des comités d'établissement étant sans incidence sur le périmètre de l'établissement dans lequel pouvait être désigné un représentant syndical, et qu'en retenant que la condition selon laquelle seul un syndicat ayant un champ géographique et professionnel couvrant l'entreprise implique que le syndicat ait des adhérents répartis dans l'ensemble des sites composant le nouvel établissement national GPAC APAV, le tribunal aurait rajouté une condition qu'ils ne comportent pas aux articles L. 2142-1 et L. 2142-1-1 du Code du travail.
Ce pourvoi est rejeté. Selon la Haute juridiction, en effet, le tribunal a eu tort de décider que le syndicat Sud banques devait, pour pouvoir désigner un représentant de la section syndicale au sein du nouvel établissement GPAC APAV, créé par décision du directeur départemental du travail du 30 septembre 2008, rapporter la preuve de son implantation dans l'ensemble des sites composant cet établissement, le jugement se trouve légalement justifié en son dispositif dès lors qu'il résulte de ses constatations que l'établissement GPAC Nord dans le cadre duquel le salarié avait été désigné par le syndicat Sud banques solidaires le 15 octobre 2008 n'existait plus depuis le 30 septembre 2008, date du découpage opéré par l'autorité administrative.
Cet arrêt est particulièrement intéressant, car il contient deux enseignements, l'un positif, et l'autre négatif.
II - L'identité logique des cadres de mise en place du RSS et des représentants élus du personnel
La Haute juridiction considère, a contrario, dans cette décision que la seule condition exigée pour que le syndicat qui crée une section syndicale puisse désigner un RSS est qu'il dispose d'au moins deux adhérents au niveau de l'établissement, peu important qu'il n'ait aucun adhérent dans certains sites de l'établissement.
En premier lieu, la loi n'impose qu'une condition d'adhérents au niveau de l'entreprise ou de l'établissement et nullement la présence d'adhérents à des niveaux inférieurs à celui où s'exerce la désignation ; ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus.
En second lieu, il ne s'agit pas, ici, de vérifier la représentativité du représentant sur l'ensemble du territoire couvert, mais simplement la présence d'adhérents au niveau concerné. La loi du 20 août 2008 n'a pas souhaité encadrer de manière plus étroite les conditions de désignation du RSS précisément pour permettre à de nouveaux syndicats de s'implanter dans l'entreprise et de pouvoir tenter leurs chances aux prochaines élections, et, grâce à un bon résultat au premier tour (10 %), de devenir représentatifs ; l'esprit de la loi commande, par conséquent, également de faciliter la désignation d'un RSS.
En second lieu, l'arrêt est intéressant en ce qu'il fait le lien entre une décision administrative intervenue à l'occasion des dernières élections professionnelles et le cadre de mise en place du représentant de la section syndicale. Sud banques solidaires espérait, en effet, opérer une véritable dissociation entre les deux et permettre la désignation d'un RSS dans un "établissement" dont la réalité aurait pu être établie contre la décision prise par l'autorité administrative lors de la mise en place des dernières élections professionnelles.
Juridiquement, Sud banques solidaires avait raison, mais pareille autonomisation du cadre de mise en place du RSS aurait été un non sens dans la mesure où le RSS existe précisément pour permettre au syndicat non représentatif qui a procédé à sa désignation de préparer les prochaines élections professionnelles, dont on peut penser qu'elles auront certainement lieu dans le même cadre que les précédentes, c'est-à-dire conformément au découpage opéré par l'autorité administrative. Dans ces conditions, le cadre de mise en place du RSS et le cadre de l'élection des représentants élus du personnel doivent logiquement coïncider, sauf à déconnecter le RSS de son rôle dans le processus électoral, ce qui serait contraire aux voeux du législateur et à la fonction même du RSS.
III - La lettre de désignation fixant le cadre du litige
La solution est, également, intéressante en ce qu'elle affirme, pour la première foi à notre connaissance, que "la lettre de désignation fixe les limites du litige et que le juge ne peut apprécier la validité de la désignation d'un délégué ou représentant syndical en dehors du cadre défini par cette lettre".
La formule n'est, bien entendu, pas sans rappeler celle qui prévaut en matière de licenciement (5) ou de contrats de travail à durée déterminée (6), et dont on sait qu'elle est destinée à limiter le contentieux devant les juges du fond ; une fois rédigée la lettre, son auteur n'est, en effet, plus autorisé à alléguer contre celle-ci, ou en complément de celle-ci, pour tenter d'en assurer la survie devant le tribunal.
Nous avons eu, à de nombreuses reprises, l'occasion de contester la rigueur extrême de cette jurisprudence en matière de licenciement. On sait, par ailleurs, que les partenaires sociaux en avaient demandé l'assouplissement dans l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008, de modernisation du marché du travail, sans succès, puisque ces dispositions n'avaient pas été reprises dans la loi éponyme du 25 juin 2008 (7).
Compte tenu des difficultés provoquées par l'entrée en vigueur de la loi du 20 août 2008, cette rigueur affirmée très tôt par la Haute juridiction devrait protéger les tribunaux d'instance d'une marée de contentieux, à tout le moins enlever des arguments aux syndicats, ce qui est, sans doute, de bonne politique dans les premiers mois de l'application d'une loi nouvelle. Espérons, tout de même, que des organisations syndicales qui se seraient trompées de bonne foi n'auront pas à faire les frais de cette politique jurisprudentielle, et que les juges du fond sauront discerner le bon grain, de l'ivraie...
Décision
Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.048, Syndicat Sud banques solidaires, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7071EIQ) Rejet TI Lille, contentieux des élections professionnelles, 21 janvier 2009 Textes concernés : C. trav., art. L. 2142-1-1 (N° Lexbase : L3765IB3) Mots clef : représentant de la section syndicale ; mise en place ; cadre Lien base : |