[Jurisprudence] La désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise par des organisations non représentatives

par Sébastien Tournaux, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Circonstance tout à fait exceptionnelle et tenant principalement à la rapidité de la procédure en matière de contestation de la désignation des représentants syndicaux dans les entreprises, la Cour de cassation se penche pour la première fois, moins d'un an après l'adoption de la loi du 20 août 2008 (1), sur les conséquences des nouvelles règles posées en matière de représentativité et de démocratie sociale (2). Parmi les quatre décisions rendues le 8 juillet 2009 (3) figure un arrêt "Syndicat Solidaires", qui précise les conditions de désignation du représentant syndical au comité d'entreprise. La Cour de cassation énonce que, dans les entreprises de plus de 300 salariés, l'organisation syndicale qui désigne un représentant n'est pas tenue d'être représentative (I), seule la condition d'audience étant nécessaire. Si la Cour de cassation ne pouvait pas rendre une autre solution, celle-ci démontre les problèmes de cohérence de la loi du 20 août 2008 (II), tout en mettant mieux à jour la volonté du législateur de développer le rôle joué par les organisations syndicales non représentatives.


Résumé

Les nouvelles dispositions de l'article L. 2324-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3724IBK), applicables à compter du 22 août 2008, donnent le droit à chaque organisation syndicale ayant des élus, sans autre condition, de désigner un représentant syndical au comité d'entreprise ou d'établissement.

Commentaire

I - Le rejet de la condition de représentativité pour la désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise

Les règles de désignation des représentants syndicaux au comité d'entreprise ont sensiblement été modifiées par la loi du 20 août 2008.

Avant l'adoption de ce texte, le représentant syndical était désigné par un syndicat représentatif dans l'entreprise. Bien entendu, le représentant choisi devait être membre du personnel et remplir les conditions d'éligibilité au comité d'entreprise. Déjà, sous l'empire de la loi ancienne, les syndicats voyaient leur faculté de choix du représentant restreintes lorsque l'entreprise disposait d'un effectif inférieur à 300 salariés. Dans ces circonstances en effet, le syndicat représentatif était tenu de désigner un délégué syndical en qualité de représentant syndical au comité (4).

Deux modifications fondamentales ont été apportées à ces dispositions par la loi du 20 août 2008.

La première tient au changement de logique du paysage syndical français induit par cette loi, laquelle transforme peu ou prou le syndicalisme d'adhésion en un syndicalisme d'électeurs. La majeure partie des pouvoirs syndicaux étant désormais liée à l'audience du syndicat au niveau auquel il entend les exercer, il n'y avait pas de raison que le représentant syndical au comité d'entreprise échappe à cette évolution. Les règles ont donc été adaptées et ce ne sont, désormais, que les organisations syndicales ayant des élus au comité d'entreprise qui peuvent y nommer un représentant. Si l'entreprise compte un effectif inférieur à 300 salariés, c'est le délégué syndical qui demeure de droit le représentant syndical au comité d'entreprise. Cependant, les règles de désignation des délégués syndicaux ayant elles aussi été revisitées, le même critère d'audience électorale intervient, quoique sous une forme quelque peu différente puisqu'il n'est pas techniquement nécessaire que le syndicat ait obtenu des élus au comité d'entreprise, mais seulement que le salarié désigné comme délégué syndical ait obtenu au moins 10 % des voix aux dernières élections professionnelle dans l'entreprise.

La seconde modification, bien que majeur, est intervenue plus insidieusement. En effet, alors même que l'ancien article L. 2324-2 du Code du travail (N° Lexbase : L2966H9Q) exigeait expressément que le syndicat désignant un représentant au comité d'entreprise soit représentatif, la nouvelle rédaction ne fait plus référence à la représentativité et se contente de la condition relative à l'audience du syndicat (5). Fallait-il, pour autant, considérer que la représentativité n'était plus une condition nécessaire à la désignation d'un représentant syndical dans l'entreprise ? La question était permise, notamment, parce que la condition de représentativité persiste indirectement lorsqu'il s'agit d'une entreprise de moins de 300 salariés pour laquelle le délégué syndical désigné comme représentant au comité d'entreprise émane nécessairement d'un syndicat représentatif (6). C'est donc sur ce point que la Cour de cassation était invitée à se pencher dans l'arrêt commenté.

Le syndicat Solidaires Group 4 Sécuricor avait notifié à quatre sociétés, constitutives d'une unité économique et sociale regroupant plus de 300 salariés, la désignation d'un représentant syndical dans un comité d'établissement. Contestant cette désignation, les sociétés saisirent le juge d'instance qui l'annula au motif que le syndicat Solidaires n'était pas représentatif au sein de l'établissement concerné au sens des critères fixés par l'article L. 2121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3727IBN).

Cette décision est cassée par la Chambre sociale au visa de l'article 1er du Code civil (N° Lexbase : L3088DYZ) et de l'article L. 2324-2, dans sa rédaction issue de la loi du 20 août 2008. La Cour commence par rappeler que, "selon ce premier texte, les lois entrent en vigueur à la date qu'elles fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication au Journal officiel de la République française" et "qu'en vertu du second, chaque organisation syndicale ayant des élus au comité d'entreprise peut y nommer un représentant". De l'application de ces règles, elle déduit "que les nouvelles dispositions de l'article L. 2324-2 du Code du travail, applicables à compter du 22 août 2008, donnent le droit à chaque organisation syndicale ayant des élus, sans autre condition, de désigner un représentant syndical au comité d'entreprise ou d'établissement".

L'arrêt est de première importance, ce que révèlent plusieurs indices.

Il est d'abord paré des atours des grandes décisions, puisqu'il fait l'objet d'une publicité P+B+R+I, le site internet de la Cour de cassation lui consacre un communiqué de presse (7) et, enfin, il comporte un chapeau de tête destiné à appuyer sur les principes posés.

Il faut relever, ensuite, que la décision a été prise avec une exceptionnelle célérité, puisque le jugement d'instance contesté avait été rendu le 3 décembre 2008, soit à peine six mois plus tôt. L'explication de cette rapidité trouve en partie sa cause dans la procédure de contestation de la désignation des représentants syndicaux au comité d'entreprise, puisque le contentieux est porté devant le tribunal d'instance en premier et dernier ressort (8). Il est, également, lié à une volonté des Hauts magistrats de donner des réponses rapides (9) sur des questions qui posent déjà de très nombreuses difficultés sur le terrain (10).

II - Une solution justifiée face à une loi peu cohérente

Il n'est, à vrai dire, pas très difficile d'avaliser la solution rendue par la Chambre sociale.

S'agissant de l'application de la loi dans le temps, la Cour de cassation met en oeuvre des principes courants selon lesquels la loi nouvelle est d'application immédiate, sauf lorsque les dispositions transitoires du texte en disposent autrement (11). Dans ces conditions, il est naturel de ne plus exiger l'ancienne condition de représentativité du syndicat qui procède à la désignation (12).

S'agissant de la condition de représentativité stricto sensu, il n'y a pas là, non plus, de quoi être étonné. Le texte modifié ne prévoit plus la condition de représentativité. La règle la plus élémentaire d'interprétation de la loi réside dans le principe selon lequel il n'y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas. Dans ces conditions, continuer d'exiger une condition de représentativité aurait pu s'apparenter à ajouter au texte une condition qu'il n'avait pas prévu. Le communiqué de la Cour de cassation démontre, pourtant, que les juges sont allés plus loin dans l'interprétation et ont cherché, notamment, à connaître l'intention du législateur, l'analyse des travaux parlementaires se révélant finalement stérile (13).

Si la solution est donc parfaitement justifiée, elle consolide cependant un système qui ne manque pas d'être insatisfaisant.

La reconnaissance d'une faculté pour les syndicats non-représentatifs de désigner un représentant au comité d'entreprise n'a en elle-même rien de dérangeant puisqu'une telle idée s'inscrit relativement bien dans l'esprit global de la loi du 20 août 2008. Cette loi, par le renforcement du critère de l'audience électorale devait, au moins en théorie, rendre plus difficile l'accès au sésame de la représentativité. En contrepartie, les pouvoirs des syndicats non-représentatifs ont été sensiblement étendus. Ainsi, ils peuvent désormais constituer une section syndicale ; de la même manière, ils bénéficient d'un représentant de la section syndicale dans l'entreprise dont les pouvoirs sont comparables à ceux du délégué syndical -réservé aux syndicats représentatifs-, à l'exception notable de la faculté de négocier des accords collectifs (14). Il n'est, dès lors, pas infondé de leur donner la possibilité d'être représentés au comité d'entreprise.

Pour autant, cette logique est fortement contrariée par un problème de cohérence auquel, convenons-en, la Cour de cassation ne pouvait rien. En effet, comme nous l'avons déjà rappelé, le représentant syndical au comité d'entreprise dans les entreprises de moins de 300 salariés est obligatoirement un délégué syndical, lequel émane nécessairement d'un syndicat représentatif. Il y a, dès lors, un hiatus entre les entreprises selon leur taille, la condition de représentativité n'étant exigée que pour les plus petites.

Dès lors, pour préserver la cohérence, deux autres solutions auraient pu être adoptées par le législateur. La première, la plus évidente, aurait été de conserver comme dans l'ancien régime la condition de représentativité dans les entreprises de plus de 300 salariés. La seconde aurait pu être de permettre au représentant de la section syndicale d'être désigné en qualité de représentant syndical au comité d'entreprise dans les entreprises de moins de 300 salariés. Aucune de ces deux voies n'ayant été choisie par le législateur, la Cour de cassation ne peut que constater ces contradictions et se ranger derrière la clarté limpide du texte.

Le prononcé de cette décision a, pourtant, certainement demandé un effort conséquent aux magistrats de la Cour de cassation. Pour le comprendre, il suffit de relire un arrêt rendu le 29 octobre 2008, par lequel la Chambre sociale refusait aux syndicats non-représentatifs la faculté de désigner des représentants au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Alors même que l'article 23 de l'accord-cadre interprofessionnel du 17 mars 1975, sur l'amélioration des conditions de travail, ne précisait pas si les syndicats devaient être, ou non, représentatifs pour pouvoir désigner un représentant au CHSCT, la Cour jugeait que "les organisations syndicales ne peuvent procéder aux désignations de délégués syndicaux ou représentants syndicaux légalement ou conventionnellement prévues que si elles sont représentatives dans l'entreprise ou l'établissement dans lesquels ces désignations doivent prendre effet" (15). Il y a fort à croire que cette question, si elle devait se représenter pour le CHSCT, ne pourrait plus être réglée de la même manière par la Chambre sociale.

Les temps sont incontestablement en train de changer. La réforme de la loi du 20 août 2008 est certainement essentielle en ce qu'elle vise à renforcer la légitimité des organisations syndicales représentatives et, ainsi, d'asseoir la force des négociations qu'elles porteront. Mais, il est également certain qu'une ère nouvelle s'annonce pour les syndicats non représentatifs qui disposeront, désormais, de moyens pour agir et, ainsi, se faire connaître des salariés de l'entreprise, avec comme point de visée les prochaines échéances électorales. Le paysage syndical ne sera pas seulement chamboulé en France par la disparition de syndicats qui étaient jusqu'alors toujours représentatifs. Il pourra l'être également par l'apparition de nouveaux mouvements syndicaux.


(1) Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ) et voir notre numéro spécial, Lexbase Hebdo n° 317 du 10 septembre 2008 - édition sociale.
(2) Sur la question de la désignation des représentants syndicaux au comité d'entreprise, v. nos obs., Articles 5, 6 et 7 de la loi du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail : démocratisation de la désignation du DS, RSS et renforcement du statut protecteur des salariés titulaires d'un mandat syndical, Lexbase Hebdo n° 317 du 10 septembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N9810BGG). Adde B. Gauriau, Les représentants des syndicats dans l'entreprise, Dr. soc., 2009, p. 641 ; G. Borenfreund, Le nouveau régime de la représentativité syndicale, RDT, 2008, p. 712.
(3) Outre la décision commentée, voir Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.011, Société Okaidi, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7069EIN) et les obs. de Ch. Radé, Loi du 20 août 2008 et réforme de la démocratie sociale : premières précisions sur le droit transitoire et les règles applicables à la section syndicale, Lexbase Hebdo n° 360 du 22 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1143BLW) ; Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 08-60.599, Société Véolia transport Bordeaux c/ M. Christian Picoche et a., FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7068EIM) et les obs. de G. Auzero, Les conditions de désignation du représentant de la section syndicale, Lexbase Hebdo n° 360 du 22 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1139BLR) ; Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.048, Syndicat Sud banques solidaires, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7071EIQ) et les obs. de Ch. Radé, Le représentant de la section syndicale doit être mis en place au même niveau que les représentants élus du personnel, Lexbase Hebdo n° 360 du 22 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1131BLH).
(4) C. trav., art. L. 2143-22 (N° Lexbase : L2216H9X). Rappelons, à titre indicatif, que c'est cette disposition qui, combinée aux règles relatives à la délégation unique du personnel, institue l'une des seules incompatibilité de mandat dans l'entreprise, le délégué unique du personnel ne pouvant être également délégué syndical, sous peine de cumuler les rôles de représentant élu et désigné au comité d'entreprise.
(5) V. l'ancienne rédaction de l'article L. 2324-2 du Code du travail (N° Lexbase : L2966H9Q).
(6) On pourra, d'ailleurs, relever que certains auteurs semblaient estimer que la condition de représentativité était toujours exigée malgré la modification de la rédaction du texte. V., par ex., E. Dockès, Droit du travail, Dalloz, 3ème éd., 2008, pp. 611-612.
(7) V. le communiqué sur le site de la Cour de cassation.
(8) C. trav., art. L. 2324-23 (N° Lexbase : L9776H8L).
(9) V. L. Pécaut-Rivolier, Les premiers arrêts de la Cour de cassation relatifs à la loi du 20 août 2008, SSL, 13 juillet 2009, pp. 6 et s..
(10) V. SSL, 30 mars 2009, pp. 3 et s..
(11) On pourrait, bien entendu, ajouter à cette hypothèse celle des contrats en cours puisque, si le principe est bien l'application immédiate de la loi nouvelle, une exception demeure toujours réservée à l'application de la loi nouvelle aux contrats en cours pour lesquels on estime qu'il doit y avoir survie de la loi ancienne. Cependant, dans cette espèce, les contrats de travail ou les conventions collectives ne sont pas directement impliquées, si bien que la solution de l'application immédiate est tout à fait logique.
(12) Des questions relatives au droit transitoire en matière de désignation d'un représentant au comité d'entreprise avaient déjà été posées devant les tribunaux d'instance. V., par ex., TI Longjumeau, 28 novembre 2008, SSL, 30 mars 2009, p. 4.
(13) V. le communiqué de la Cour de cassation, préc..
(14) Encore que cette affirmation mérite d'être nuancée puisque, par exception, le représentant de la section syndicale peut être amené à négocier des accords d'entreprise. Sur cette question, v. Y. Pagnerre, Le représentant de la section syndicale, JCP éd. S, 2009, 1156, spéc. n° 21 et s. ; M.- A. Souriac, Les réformes de la négociation collective, RDT, 2009, p. 14.
(15) Cass. soc., 29 octobre 2008, n° 07-43.578, Société Dalkia France, venant aux droits de la société Auxiliaire de chauffage, F-P+B (N° Lexbase : A0722EBD), JCP éd. S, 2009, 1046, note J.-B. Cottin.


Décision

Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.015, Syndicat Solidaires G4S, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7070EIP)

Cassation, TI Lille, contentieux des élections professionnelles, 3 décembre 2008

Textes visés : C. civ., art. 1er (N° Lexbase : L3088DYZ), art. L. 2324-2 (N° Lexbase : L3724IBK)

Mots-clés : représentativité ; représentant syndical ; comité d'entreprise

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