Décision
Cass. soc., 14 décembre 2005, n° 03-44.380, Association de gestion du lycée professionnel Sainte-Marguerite Marie c/ M. Christian Mfouara, F-P+B+R (N° Lexbase : A9864DLW) Cassation (cour d'appel de Dijon, 29 avril 2003) Texte visé : C. trav., art. L. 321-1 (N° Lexbase : L8921G7K) Mots-clefs : licenciement pour motif économique ; cause réelle et sérieuse ; faute de gestion de l'employeur. Lien bases : |
Résumé
L'erreur du chef d'entreprise dans l'appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne caractérise pas à elle seule la légèreté blâmable susceptible de priver de cause réelle et sérieuse le licenciement économique d'un salarié par ailleurs justifié. |
Faits
1. M. X, engagé le 1er septembre 1999 par l'Association de gestion du lycée professionnel Sainte-Marguerite Marie où il exerçait en dernier lieu les fonctions de responsable de la formation continue, a été licencié pour motif économique le 5 février 2001. 2. Pour décider que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que les difficultés économiques de l'association sont imputables à la légèreté blâmable de l'employeur qui a créé de nouveaux emplois sans s'être assuré qu'il pourrait les financer. |
Solution
1. "Vu l'article L. 321-1 du Code du travail" "En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté les difficultés économiques de l'entreprise et que l'erreur du chef d'entreprise dans l'appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne caractérise pas à elle seule la légèreté blâmable, la cour d'appel a violé le texte susvisé". 2. "Casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 avril 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon". |
Commentaire
1. La faute de l'employeur ou la légèreté blâmable interdisant de considérer comme justifié le licenciement économique
Tout licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse que les juges du fond apprécient souverainement, que le licenciement soit prononcé pour un motif personnel ou économique. L'appréciation de la cause réelle du licenciement économique impose au juge de vérifier que les difficultés économiques invoquées sont de nature à justifier le licenciement, sans que le juge ne doive s'immiscer dans les choix de gestion de l'employeur (Ass. plén., 8 décembre 2000, n° 97-44.219, Société anonyme de télécommunications (SAT) c/ M. Coudière et autres, publié N° Lexbase : A0328AUP, Dr. soc. 2001, p. 126, concl. P. de Caigny, note A. Cristau, p. 417, chron. A. Jeammaud et M. le Friant ; D. 2001, jur. p. 1125, note J. Pélissier ; "Dès lors qu'une réorganisation de l'entreprise est nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, il n'appartient pas au juge d'apprécier le choix opéré par l'employeur entre les différentes solutions de réorganisation possibles"). En d'autres termes, il suffit que l'entreprise soit confrontée à des difficultés sérieuses pour que le licenciement soit justifié et le juge n'a pas à s'interroger sur l'opportunité d'autres mesures que l'employeur aurait pu prendre pour faire face à ces difficultés.
La jurisprudence considère, toutefois, classiquement que l'employeur ne saurait invoquer des difficultés économiques avérées lorsque celles-ci sont la conséquence directe de fautes ou de sa légèreté blâmable, faisant ici une application des plus classiques de la théorie de l'abus de droit. Lorsque l'employeur a intentionnellement recruté un salarié alors qu'il connaissait la situation économique de l'entreprise, sa condamnation pour absence de cause réelle et sérieuse ne souffre d'aucune contestation ; une même solution est admise pour l'employeur qui organise sa propre insolvabilité (Cass. soc., 9 octobre 1991, n° 89-41.705, Association départementale du tourisme du Territoire de Belfort c/ M. Schuller, publié N° Lexbase : A9692AA9 ; Cass. soc., 12 janvier 1994, n° 92-43.191, Société commerciale des produits résineux c/ Mme Joëlle Gomez, inédit N° Lexbase : A1990AAX), procède à des prélèvements dans la trésorerie de l'entreprise (Cass. soc., 5 octobre 1999, n° 97-42.057, M. Daumas c/ Mme Ponsonnaille, publié N° Lexbase : A6343AGZ), ou a volontairement entraîné l'entreprise dans une procédure de liquidation judiciaire (Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-41.491, Banque d'arbitrage et de crédit (BAC) c/ M. Michel Robert, FS-D N° Lexbase : A1722AZS), ou encore qui a privé un établissement de toute activité dans l'optique d'une délocalisation de la production (CA Aix-en-Provence, 29 octobre 1991 : D. 1992, p. 130, note F. Derrida). Mais qu'en est-il lorsque le salarié reproche à son employeur non pas une intention malveillante, mais une simple légèreté blâmable ?
Dans cette affaire, les juges du fond avaient considéré que l'employeur s'était montré imprudent en créant de nouveaux emplois sans être assuré qu'il pourrait les financer. Or, cet argument n'a pas été retenu par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui casse cet arrêt, au motif que "l'erreur du chef d'entreprise dans l'appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne caractérise pas à elle seule la légèreté blâmable". Cet arrêt opère donc une distinction entre la "faute" de gestion, qui serait sanctionnable et la simple "erreur" qui ne permet pas de considérer que le licenciement doit être privé de cause réelle et sérieuse, reprenant ici une distinction bien connue en droit de la responsabilité civile, singulièrement s'agissant de la responsabilité médicale. 2. Une conception stricte de la légèreté blâmable bienvenue
Dans certaines affaires antérieures, les juges avaient pu sanctionner des comportements non intentionnels mais traduisant une gestion imprudente, comme lorsqu'un projet industriel "pêchait par une impréparation ou une insuffisance de préparation" (Cass. soc., 7 juillet 1998, n° 95-43.281, Société Schweppes France c/ Union locale des syndicats CGT de Trappes et autres, publié N° Lexbase : A5363ACM), lorsque l'employeur a négligé de tenir compte de la situation économique de l'entreprise au moment de recruter un salarié (Cass. soc., 1er mars 1994, n° 92-42.124, Association Gedhif c/ Fourneaux, inédit N° Lexbase : A3930AAS ; Cass. soc., 26 mars 2003, n° 01-42.333, F-D N° Lexbase : A5783A7C), a réalisé un mauvais choix dans la désignation d'un dirigeant social (Cass. soc., 26 janvier 1994, n° 92-43.616, M. Albert et autres c/ Mme Cauzette-Rey, ès qualités de liquidateur à la liquidation, publié N° Lexbase : A2002AAE), procède au licenciement d'une salariée en raison d'une cessation d'activité ne présentant qu'un caractère provisoire (Cass. soc., 9 mars 2004, n° 01-46.780, F-D N° Lexbase : A4843DBY) ou sans attendre que les salariés ne puissent bénéficier effectivement du régime de la préretraite (Cass. soc., 10 juillet 2001, n° 99-43.024, Société Setec bâtiment c/ M. Gérard Vanneuville, publié N° Lexbase : A1743AU4).
L'examen des faits de l'espèce et des solutions précédemment admises suggère que la Cour de cassation ne souhaite pas permettre aux juges du fond d'utiliser le contrôle de la légèreté blâmable de l'employeur pour exercer, fût-ce de manière indirecte, un contrôle sur la qualité de la gestion de l'emploi dans l'entreprise. Sans revenir à la théorie de l'employeur seul juge, la Cour de cassation, qui prononce ici une cassation, souhaite manifestement réserver la théorie de l'abus de droit à des situations de négligence présentant une certaine gravité. La modestie du contrôle ainsi redéfini nous semble bienvenue. Tout d'abord, elle assure une certaine homogénéité de traitement sur le territoire national, car on peut craindre qu'il y ait autant d'appréciations de ce que doit être une "bonne" gestion que de conseils de prud'hommes saisis. Ensuite, le degré de gravité tient compte des difficultés inhérentes à la gestion des entreprises, singulièrement lorsqu'il s'agit de déterminer si une embauche est ou non opportune. Se montrer trop exigeant avec les entreprises lorsque est en cause l'embauche d'un salarié pourrait d'ailleurs avoir un effet pervers en incitant l'employeur à s'abstenir, de crainte d'être condamné ultérieurement pour avoir imprudemment recruté. |