[A la une] Licenciement d'un salarié protégé et conclusion d'une transaction : de l'importance de la chronologie des faits et du respect de la procédure spéciale de licenciement

par Gilles Auzero, Maître de conférences à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV




La transaction conclue par un salarié protégé antérieurement à la notification de son licenciement est atteinte d'une nullité absolue d'ordre public. Cette solution, aujourd'hui solidement ancrée dans notre droit positif, doit cependant être strictement entendue à deux points de vue. Tout d'abord, et cela relève de l'évidence, il convient de constater que le salarié bénéficie bien du statut protecteur contre le licenciement. Ensuite, la notification du licenciement n'est pas une simple exigence formelle mais doit être conforme aux prescriptions légales, ce qui implique, d'une part, qu'elle soit faite par lettre recommandée avec accusé de réception et, d'autre part, qu'elle ne peut avoir lieu qu'après obtention de l'autorisation administrative. C'est sur l'ensemble de ces points qu'invite à revenir la riche décision rendue par la Chambre sociale de la Cour de cassation, le 16 mars 2005.


Décision

Cass. soc., 16 mars 2005, n° 02-45.293, Société Home location services SARL et autres c/ M. Daniel X et autres (N° Lexbase : A2742DHZ)

Rejet de CA Rouen, 11 juin 2002

Textes concernés : articles L. 122-14-4 (N° Lexbase : L8990G74) et L. 412-18 (N° Lexbase : L6338ACQ) du Code du travail, article 2044 du Code civil (N° Lexbase : L2289ABE).

Mots-clés : représentants du personnel ; protection contre le licenciement ; point de départ ; imminence de la candidature ; transaction ; conclusion avant la notification du licenciement ; nullité absolue.

Liens base :




Faits

1. M. Daniel X..., salarié de la société Home location services, a demandé l'organisation des élections de délégués du personnel le 22 mars 1999. Le syndicat CFDT a alors présenté sa candidature par lettre datée du 29 mars 1999, postée le 31 mars suivant. Par courrier du 29 mars 1999, reçu le 30 mars, le salarié a été convoqué à un entretien préalable au licenciement pour le 7 avril suivant. Ayant quitté l'entreprise le 15 avril, jour convenu pour son départ en exécution d'une transaction, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en réintégration et en paiement de diverses sommes.

2. L'employeur fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir décidé que le salarié bénéficiait du statut de salarié protégé et, en conséquence, de l'avoir condamné à lui payer diverses sommes au titre de dommages-intérêts, d'indemnité de préavis, de congés payés et de commissions.




Problème juridique

A partir de quand un salarié bénéficie-t-il de la protection instituée par la Code du travail en faveur des représentants du personnel ?

Solution

1. Rejet de CA Rouen, 11 juin 2002

2."la protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun des salariés investis de fonctions représentatives a été instituée non dans leur seul intérêt, mais dans l'intérêt de l'ensemble des salariés ; [...] il en résulte qu'est atteinte d'une nullité absolue d'ordre public la transaction conclue avec l'employeur avant la notification du licenciement, lequel ne peut avoir lieu qu'après obtention de l'autorisation administrative"

3. "la cour d'appel, qui a constaté que l'employeur avait connaissance de l'imminence de la candidature du salarié à la date du 29 mars 1999, a exactement décidé que la transaction était nulle".




Commentaire

1. Nullité de la transaction conclue antérieurement à la notification du licenciement

  • Date de conclusion de la transaction

Il y a plus de dix ans de cela, la Cour de cassation décidait, dans un important arrêt, que "la transaction ayant pour objet de mettre fin au litige résultant d'un licenciement, ne peut valablement être conclue qu'une fois la rupture intervenue et définitive" (Cass. soc., 29 mai 1996, n° 92-45.115, M. Purier c./ Sté Seduca et autre, publié N° Lexbase : A3966AA7 ; Dr. soc. 1996, p. 687, obs. J. Savatier). Cette solution de principe allait, par la suiten être précisée par la Chambre sociale qui décidait que la rupture devient définitive "par la réception, par le salarié, de la lettre de licenciement dans les conditions requises par l'article L. 122-14-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9577GQR)" (Cass. soc., 21 mars 2000, M. Ernest Dang Van Nhan c/ Société La précision plastique, publié N° Lexbase : A0613CYD ; RJS 5/00, n° 528)

Il résulte de cela que la transaction ne peut être valablement conclue qu'après réception par le salarié de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception notifiant le licenciement (Cass. soc., 25 avril 2001, n° 99-41.499, Société Neopost France c/ Monique David, inédit N° Lexbase : A5021AG3, RJS 7/01, n° 859). Bien plus, n'est pas valable la transaction conclue après la notification d'un licenciement par lettre remise en mains propres ou par lettre simple (Cass. soc., 18 février 2003, n° 00-44.847, Société Gestad intermarché c/ Mme Fernandes Alves, inédit N° Lexbase : A1842A7D et Cass. soc., 18 février 2003, n° 00-42.948, FS-P+B+I N° Lexbase : A1795A7M ; sur ces arrêts, v. aussi notre chronique, "La transaction : un régime juridique stabilisé" : Lexbase Hebdo - édition sociale, N° Lexbase : X3756ABQ).

Cette jurisprudence, qui ne résulte pas des règles posées par le Code civil dans les articles 2044 et suivants (N° Lexbase : L2289ABE), trouve son fondement dans l'article L. 122-14-7 du Code du travail (N° Lexbase : L5572ACD) qui dispose, dans son dernier alinéa, que les parties au contrat de travail ne peuvent pas renoncer par avance au droit de se prévaloir des règles légales en matière de licenciement (v. en ce sens, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Dalloz, 22e éd., 2004, § 521). Par conséquent, le salarié ne peut transiger et renoncer à une partie de ses droits consécutifs au licenciement que lorsque ceux-ci sont nés, c'est-à-dire postérieurement à la notification du licenciement. A défaut, compte tenu du caractère d'ordre public des règles en cause, la transaction est nulle. Le régime de cette nullité varie cependant selon que le salarié bénéficie ou pas du statut protecteur contre le licenciement.

  • Régime de la nullité de la transaction conclue antérieurement à la notification du licenciement

Le régime de la nullité de la transaction conclue antérieurement à la notification du licenciement a été précisé par la Cour de cassation en deux étapes. Tout d'abord, dans une décision en date du 28 mai 2002, celle-ci décidait que "la nullité d'une transaction conclue avant la notification du licenciement est une nullité relative instituée dans l'intérêt du salarié" (Cass. soc., 28 mai 2002, n° 99-43.852, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A7919AYX ; Dr. soc. 2002, p. 783, obs. G. Couturier, D. 2002, somm. comm., p. 3116, obs. A Pousson). Parfaitement justifiée en son principe, cette solution a pour conséquence première d'interdire à toute autre personne que le salarié intéressé, et notamment à l'employeur, de se prévaloir de la nullité de la transaction. Dans un arrêt postérieur, la Chambre sociale allait, de manière tout aussi justifiée, limiter la portée de cette décision.

En effet, le 10 juillet 2002, elle décidait que "la protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun des salariés investis de fonctions représentatives a été instituée, non dans le seul intérêt de ces derniers, mais dans celui de l'ensemble des salariés ; qu'il en résulte qu'est atteinte d'une nullité absolue d'ordre public toute transaction conclue entre l'employeur et le salarié protégé avant la notification de son licenciement prononcé après autorisation de l'autorisation administrative" (Cass. soc., 10 juill. 2002, n° 00-40.301, FS-P+B+R+I, N° Lexbase : A1150AZM ; RJS 11/02, n° 1255). Cette solution, qui est à situer dans le droit fil des fameux arrêts "Perrier" de 1974, conduit ainsi la Cour de cassation à réaffirmer que le statut protecteur des représentants du personnel est institué non dans leur seul intérêt, mais également dans celui de l'ensemble des salariés qu'ils représentent. Il s'en déduit, par suite, logiquement, que les représentants du personnel ne sauraient renoncer à cette protection en négociant la rupture de leur contrat. En conséquence, la nullité affectant la transaction conclue avant la notification du licenciement est une nullité absolue, soumise à une prescription trentenaire, insusceptible de confirmation et qui peut être invoquée par tout intéressé.

L'arrêt commenté vient confirmer cette solution et ne constitue dès lors pas, de ce point de vue, une surprise (1). On doit toutefois relever, qu'en l'espèce, l'employeur arguait, dans son pourvoi, du fait que la transaction avait cependant été conclue postérieurement à la notification du licenciement. Cet argument est balayé, à juste titre, par la Cour de cassation qui souligne que la transaction est nulle lorsqu'elle est conclue avec l'employeur avant la notification du licenciement, "lequel ne peut avoir lieu qu'après obtention de l'autorité administrative". La Cour de cassation confirme, ce faisant, qu'il n'y a de notification véritable que lorsqu'elle est faite conformément aux prescriptions légales, c'est-à-dire par lettre recommandée avec accusé de réception ainsi qu'il a été vu, mais aussi, s'agissant des salariés protégés, postérieurement à l'autorisation de l'inspecteur du travail. Tel est, sans doute, l'apport principal de l'arrêt commenté. Mais celui-ci est également intéressant en ce qu'il vient rappeler le point de départ du statut protecteur.

2. Le point de départ du statut protecteur

  • Une protection instituée à différents titres

Ainsi qu'il l'a été vu, le régime de la nullité de la transaction conclue avant la notification du licenciement est dicté par le fait de savoir si le salarié en cause bénéficie ou pas du statut protecteur contre le licenciement.

Il n'y a évidemment aucun problème lorsque le salarié est titulaire d'un mandat représentatif, que celui-ci soit la conséquence d'une élection ou d'une désignation. On sait; toutefois; que la loi elle-même ne réserve pas le bénéfice de ce statut aux seuls représentants du personnel en place. En effet, pour ne prendre que le cas des délégués du personnel, qui étaient concernés en l'espèce, l'article L. 425-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6387ACK) octroie cette protection aux anciens délégués du personnel, aux salariés ayant demandé l'organisation des élections ainsi qu'aux candidats aux élections. S'agissant de ce dernier cas, le texte précise en outre que la procédure spéciale de licenciement "s'applique lorsque la lettre du syndicat notifiant à l'employeur la candidature aux fonctions de délégué du personnel a été reçue par l'employeur ou lorsque le salarié fait la preuve que l'employeur a eu connaissance de l'imminence de sa candidature avant que le candidat n'ait été convoqué à l'entretien préalable au licenciement [...]".

Or précisément, en l'espèce, les juges d'appel et, après eux, la Cour de cassation ont retenu que l'employeur avait connaissance de l'imminence de la candidature du salarié à la date de sa convocation à l'entretien préalable à son licenciement. Une telle conclusion exige, pour le moins, certaines précisions en lien avec la chronologie des faits de l'espèce.

  • Une solution justifiée par la chronologie des faits de l'espèce

Faisons un bref retour sur cette chronologie : le 22 mars 1999, le salarié demande l'organisation des élections des délégués du personnel. Le syndicat présente sa candidature par lettre datée du 29 mars 1999, postée le 31 mars suivant. Par courrier du 29 mars 1999, reçu le 30 mars, le salarié est convoqué à un entretien préalable en vue de son licenciement.

Au vu de cette chronologie, il peut, de prime abord, paraître surprenant que la Cour de cassation se réfère à la connaissance par l'employeur de l'imminence de la candidature du salarié. En effet, celui-ci ayant demandé l'organisation des élections le 22 mars 1999, il bénéficiait a priori du statut protecteur pendant six mois à compter de cette date en application de l'article L. 425-1 (N° Lexbase : L6387ACK). Mais ce serait oublier qu'il résulte de ce même texte que le salarié peut être protégé successivement à différents titres : d'abord en tant qu'il a demandé l'organisation des élections, ensuite en raison du fait que l'employeur a eu connaissance de l'imminence de sa candidature, puis en tant que candidat (2) et enfin une fois qu'il est éventuellement élu, en qualité de représentant du personnel.

En l'espèce, le salarié ne pouvait être protégé qu'au titre de la connaissance de l'imminence de sa candidature par l'employeur et non en tant que candidat, compte tenu de la chronologie rappelée précédemment. La lettre de candidature avait été postée le 31 mars, tandis que la convocation à l'entretien préalable avait été reçue le 30 mars. Conformément aux textes, il appartenait alors au salarié de démontrer cette connaissance par l'employeur, ce que les juges d'appel ont constaté, en l'espèce, sans que l'on sache très bien comment.


(1) Rappelons que la Cour de cassation affirme, dans le présent arrêt que "la protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun des salariés investis de fonctions représentatives a été instituée non dans leur seul intérêt, mais dans celui de l'ensemble des salariés ; qu'il en résulte qu'est atteinte d'une nullité absolue d 'ordre public la transaction conclue avec l'employeur avant la notification du licenciement [...]".

(2) Pour la Cour de cassation en effet, le bénéfice de la protection au titre d'une candidature ne peut être acquis qu'après signature du protocole d'accord préélectoral (v. aussi, Cass. soc., 18 nov. 1997 : RJS 2/98, n° 182 "le fait qu'un salarié ait pu initialement bénéficier de la protection due aux salariés qui ont pris l'initiative de demander l'organisation des élections ne saurait le priver de la protection prévue à compter de sa candidature aux élections").