[A la une] Inaptitude médicale et autolicenciement : un employeur averti en vaut deux !

par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale




Mettant fin à plusieurs mois de doutes, la Chambre sociale de la Cour de cassation a énoncé, par deux arrêts en date du 25 juin 2003, les règles qui doivent désormais s'appliquer lorsqu'un salarié quitte l'entreprise sans qu'aucun licenciement ni démission ne soit formellement intervenu (Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679, FP+P+B+R+I N° Lexbase : A8977C8Y et Cass. soc., n° 01-43.578, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8978C8Z Ch. Radé, "Autolicenciement" : enfin le retour à la raison ! Lexbase Hebdo n° 78 du jeudi 3 juillet 2003 - Edition sociale N° Lexbase : N8027AAK). On attendait d'autres décisions pour mieux cerner comment les nouvelles règles dégagées allaient s'appliquer face à l'infinie variété des situations rencontrées dans les entreprises. Un arrêt rendu le 15 octobre 2003 par la Chambre sociale de la Cour de cassation nous en fournit une excellente illustration. Dans cette affaire, un employeur avait méconnu ses obligations en matière de reclassement d'un salarié physiquement inapte à reprendre son poste (1). La sanction a été immédiate car ce dernier avait pris acte de la rupture aux torts de son employeur (2).

1. La faute

Dans cette affaire exemplaire, un VRP avait été victime d'un accident de la circulation qui l'avait éloigné de l'entreprise pendant près de trois années. Il fut alors classé en invalidité deuxième catégorie par la Sécurité sociale. Il avait demandé à son employeur de lui faire passer la visite de reprise, mais ce dernier avait refusé. Il saisit alors la juridiction prud'homale pour faire constater son licenciement sans cause réelle et sérieuse, et obtint gain de cause, tout comme devant la cour de Montpellier. Pour obtenir la cassation de cette décision, l'employeur faisait notamment valoir qu'il ne lui appartenait pas de provoquer une visite médicale de pré-reprise dès lors que le salarié n'avait pas manifesté clairement son intention de reprendre son travail.

Le pourvoi est ici rejeté, la Cour de cassation rappelant à l'occasion les obligations incombant à l'employeur dans ce cas de figure.

En premier lieu, la Cour rappelle l'indépendance des procédures prévues par le Code du travail, d'une part (en l'occurrence celle de l'article R. 241-51 N° Lexbase : L9928ACP), et le Code de la Sécurité sociale d'autre part (en l'occurrence celle des articles L. 341-1 et s. N° Lexbase : L4440ADS). En d'autres termes, ce n'est pas parce que le salarié bénéficie d'une pension d'invalidité, fut-ce comme "invalide absolument incapable d'exercer une profession quelconque" (CSS, art. L. 341-4, 2° N° Lexbase : L5080ADI) que l'employeur se trouve dispensé de ses obligations en matière de reclassement et de consultation du médecin du travail (en ce sens : Cass. soc., 13 mars 1991, n° 87-43.793, SCP Cadoret et Kervadec c/ Mme Paul, inédit N° Lexbase : A2784AAD ; Cass. soc., 10 février 1998, n° 95-45.210, Société SICA Ouest élevage c/ M Calvez N° Lexbase : A2578ACH ; Cass. soc., 4 mai 1999, n° 96-44.924, Association hospitalière Sainte-Marie c/ Mme Fuentes, publié N° Lexbase : A4658AGM).

En second lieu, la Cour rappelle que c'est l'employeur qui doit normalement prendre l'initiative de la procédure pouvant conduire à un avis d'inaptitude et, notamment, provoquer la saisine du médecin du travail. Lorsqu'il ne le fait pas, l'article R. 241-51, alinéa 4, du Code du travail (N° Lexbase : L9928ACP), dispose que "cependant, à l'initiative du salarié (...), lorsqu'une modification de l'aptitude au travail est prévisible, un examen peut être sollicité préalablement à la reprise du travail, en vue de faciliter la recherche de mesures nécessaires".

Dans cette affaire, le salarié en avait fait la demande à son employeur mais ce dernier l'avait refusée, certainement parce qu'il avait "pris acte" depuis longtemps déjà de la rupture du contrat de travail, à tout le moins depuis que le salarié s'était vu attribuer par la Sécurité sociale une pension d'invalidité.

La cour d'appel de Montpellier lui avait donné tort, tout comme la Cour de cassation. La procédure réglementaire conduisant le médecin du travail à rendre un avis, le cas échéant d'inaptitude, est en principe la seule voie envisageable pour licencier le salarié en raison de son inaptitude. Hormis les hypothèses où le Code du travail admet d'autres possibilités de mettre un terme au contrat de travail, l'employeur devra impérativement respecter cette procédure et faire droit à la demande du salarié qui souhaite provoquer la visite médicale de reprise.

2. La sanction

Restait à trancher la question de l'imputabilité de la rupture. On sait depuis longtemps que la volonté de démissionner du salarié ne se présume pas. Dans l'hypothèse précise qui nous intéresse ici, la Cour de cassation avait déjà eu l'occasion de statuer sur le cas de figure identique d'un salarié qui s'était heurté à un refus de visite de reprise. La Chambre sociale de la Cour de cassation avait alors considéré que le salarié pouvait s'estimer valablement licencié (Cass. soc., 12 octobre 1999, n° 97-40835, M. Bellama c/ Société Outillage Forézien, publié N° Lexbase : A2192CHN). Cette solution n'a pas, très logiquement, été remise en cause par les arrêts rendus le 25 juin 2003 (préc.). On se rappellera que la Cour de cassation avait alors affirmé que "lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission". Or, ici, la Cour avait pris la peine de relever que l'employeur avait commis un manquement à ses propres obligations en prenant acte de la prétendue démission du salarié et en lui refusant le droit à la visite de reprise. Il avait donc commis une faute, autorisant le salarié à prendre acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur et à réclamer devant le juge prud'homal des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La solution pourrait paraître sévère pour l'entreprise, et ce pour au moins deux raisons. La première tient à la situation du salarié qui bénéficiait, depuis quelques mois déjà, d'une pension d'invalidité après avoir été classé en deuxième catégorie ; il ne faisait alors plus guère de doute que son reclassement serait impossible et que le médecin du travail ne pourrait que conclure à son inaptitude totale. Par ailleurs, le comportement du salarié pouvait effectivement laisser croire à son employeur qu'il avait définitivement renoncé à reprendre son emploi, et que la demande portant sur la visite de reprise était uniquement destinée à obtenir des dommages-intérêts dans le cadre de la procédure de licenciement qui s'en suivrait nécessairement.

Ces arguments n'ont pourtant pas pesé ici. La Cour de cassation considère, en effet, et on peut la comprendre, que l'employeur n'a pas à substituer son appréciation à celle du législateur. Même si l'issue de la procédure auprès du médecin du travail ne fait pas de doute, en raison de l'état de santé du salarié, il est bon qu'une vérification soit réalisée d'une manière systématique par le médecin du travail et que la procédure de licenciement soit mise en oeuvre pour accorder au salarié le bénéfice des indemnités auxquelles il aura droit et lui permettre, le cas échéant, de faire valoir ses droits auprès de l'assurance chômage.