[Jurisprudence] Représentativité prouvée : la Cour de cassation revoit ses critères d'appréciation...

par Charlotte d'Artigue, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

La Cour de cassation a rendu un arrêt d'une haute importance, quelques jours avant les élections prud'homales du 11 décembre 2002. Elle précise ce qu'il faut entendre par "représentativité prouvée" permettant de conférer la représentativité à un syndicat qui ne dispose pas de la présomption irréfragable, exclusivement accordée aux cinq grandes confédérations syndicales, c'est-à-dire CGT, CFDT, CFTC, CFE-CGC, et FO et tous les syndicats qui y sont affiliés.

En l'espèce, la Caisse d'épargne et de prévoyance d'Alsace faisait grief à un jugement d'avoir déclaré qu'un syndicat était représentatif, et d'avoir en conséquence rejeté la contestation de la désignation d'un délégué syndical. La Cour de cassation ne tient cependant pas compte des arguments avancés par la caisse et rejette le pourvoi formé par celle-ci. Elle pose pour principe que, "dès lors qu'il constate l'indépendance et caractérise l'influence du syndicat au regard des critères énumérés par l'article L. 133-2 du Code du travail, le tribunal d'instance apprécie souverainement la représentativité". Deux points majeurs ressortent de cette décision ; d'une part, la Cour confirme l'importance du critère de l'influence dans l'appréciation de la représentativité syndicale, d'autre part, elle fait de ce critère ainsi que de celui de l'indépendance du syndicat des critères indispensables dans l'appréciation de la représentativité syndicale.

1- L'influence du syndicat : un critère jurisprudentiel dans la preuve de la représentativité

La Cour de cassation pose le principe selon lequel l'influence du syndicat doit être "caractérisée" pour que sa représentativité soit reconnue. Cette solution présente un intérêt majeur puisqu'en effet, elle confirme une tendance déjà amorcée par la Haute cour, consistant à utiliser le critère de l'influence d'un syndicat pour apprécier sa représentativité (Cass. soc., 5 mai 1998, n° 97-60.003 N° Lexbase : A2979ACC). Ainsi, la Cour fait référence à un critère qui ne figure pas à l'article L.133-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5695ACW), article qui se borne à énoncer les critères suivants : effectifs, indépendance, cotisations, expérience et ancienneté et enfin attitude patriotique pendant l'occupation (ce dernier critère étant en pratique totalement dépourvu de portée). Pourtant, la Cour de cassation, dans l'arrêt aujourd'hui commenté, met ce critère purement jurisprudentiel sur le devant de la scène, en lui conférant une importance pratique et une force probante supérieures à celles reconnues aux critères légaux.

Reste désormais à savoir ce qu'il faut entendre par "influence". La Cour a pu, notamment, dans une décision antérieure du 18 décembre 2000, donner des indications sur le sens à donner à cette notion d'"influence". Dans cet arrêt du 18 décembre 2000 (N° Lexbase : A9727ATG), elle précisait que l'influence pouvait se manifester par la "diffusion de tracts, la demande de négociations et une instance en annulation d'élections professionnelles".

Sous cette appellation d'"influence", de manière plus générale, on peut penser que la Cour vise en fait la conjonction des critères des effectifs, de l'ancienneté et de l'expérience, qui sont des critères légaux, ainsi que du critère prétorien de l'audience électorale. Dès lors, le critère de l'influence ne constituerait pas un critère supplémentaire mais simplement une synthèse didactique des critères existants.

2- Influence et indépendance du syndicat : des critères nécessaires à la caractérisation de la représentativité syndicale

La Cour de cassation est catégorique : dès lors que l'indépendance du syndicat est constatée et que son influence est caractérisée, le tribunal d'instance apprécie souverainement sa représentativité.

La Cour fait donc de ces deux critères des critères nécessaires, voire indispensables à la preuve de la représentativité d'un syndicat ne bénéficiant pas de la présomption irréfragable, uniquement accordée aux cinq grandes confédérations syndicales et aux syndicats affiliés. Une fois ces deux critères remplis, la Haute cour renvoie à l'appréciation souveraine des juges du tribunal d'instance.

La Cour de cassation avait, dans un arrêt rendu le 13 avril 1999, déjà constaté que dès lors qu'étaient constatés "la faiblesse des effectifs du syndicat et son absence d'influence dans l'établissement", celui-ci ne pouvait se voir conférer le caractère de représentativité (N° Lexbase : A2208A4K). Autrement dit, dès 1999, la Cour suprême attachait une certaine importance à ce critère de l'influence, en commençant doucement à y faire référence, mais sans lui conférer pour autant un caractère indispensable. Dans cette espèce en effet, la Cour s'était prononcée en faisant une appréciation du critère de l'influence par rapport à celui des effectifs, sans donc lui reconnaître un quelconque caractère d'autonomie.

Ce mouvement tendant à mettre en avant le critère de l'influence du syndicat se trouve aujourd'hui consacré par l'arrêt du 3 décembre 2002, la Haute cour en faisant un critère déterminant dans l'appréciation de la représentativité.

La Cour de cassation confirme aussi, dans cette décision, l'importance du critère de l'indépendance du syndicat -critère légal, contrairement à celui de l'influence qui revêt un caractère prétorien-, le hissant au même niveau que celui de l'influence. Contrairement au critère de l'influence cependant, la Cour avait depuis longtemps considéré le critère de l'indépendance comme indispensable à la preuve de la représentativité. Un véritable syndicat représentatif se doit d'être indépendant vis-à-vis de son chef d'entreprise, sans quoi il ne pourra jamais rapporter la preuve d'une quelconque représentativité. Ainsi, par exemple, ne jouira pas d'une indépendance suffisante le syndicat dont le montant des cotisations est dérisoire, où l'employeur exerce des pressions sur le choix des candidats, et où l'employeur prend en charge les frais d'avocat du syndicat (Cass. soc., 10 octobre 1990, n° 89-61.346 N° Lexbase : A3679AAI). L'indépendance du syndicat suppose la perception de cotisations suffisantes pour pourvoir aux besoins du syndicat (Cass. soc., 27 octobre 1984, n° 82-60.174).

Pour en revenir à l'affaire ici commentée, la Cour de cassation ne tient aucunement compte des arguments avancés par la caisse pour combattre la représentativité du syndicat en cause. Dans son pourvoi, la caisse estimait que ne présentant pas les critères d'ancienneté et d'expérience, la représentativité ne devait pas être accordée au syndicat. La Cour rejette cette argumentation, et cela ne nous surprendra pas, le caractère récent d'un syndicat ne suffisant pas à exclure sa représentativité dans l'entreprise. Peu importe aussi que le syndicat litigieux ne comporte qu'un faible effectif, dont les cotisations des membres ne rapportent par conséquent qu'un montant relativement peu élevé.

Finalement, c'est le tribunal d'instance qui reste juge de l'appréciation de la représentativité d'un syndicat, après qu'aient été reconnus les critères d'influence et d'indépendance. Cette responsabilité est lourde de conséquences ; en effet, un syndicat représentatif peut notamment désigner un délégué syndical (comme c'était en l'espèce le cas), ou encore présenter des listes de candidats au premier tour des élections des représentants du personnel (monopole des syndicats représentatifs).

Que reste-il de l'article L. 133-2 du Code du travail après l'arrêt du 3 décembre 2002 ? Quand bien même on constate un affaiblissement indéniable de la portée des critères classiques énoncés dans cet article, ce n'est pas pour autant que la Cour de cassation procède à leur abandon. Cette dernière y fait d'ailleurs référence dans son attendu, indépendance et influence du syndicat devant être appréciés "au regard" de ces critères. Cet arrêt tombe pour ainsi dire à pic, puisqu'il a été rendu très peu de temps avant les élections prud'homales, pendant lesquelles de nombreux syndicats vont être appelés à mesurer leur représentativité. Cet arrêt ne constitue donc pas une simple coïncidence !