Résumé
Le rappel à la loi auquel procède le procureur de la République, en application de l'article 41-1 du Code de procédure pénale, est dépourvu de l'autorité de la chose jugée et n'emporte pas, par lui-même, preuve du fait imputé à un auteur de sa culpabilité. Cette mesure ne peut, par conséquent, suffire à démontrer l'existence d'une faute grave du salarié ayant fait l'objet d'un tel rappel. |
Commentaire
I - Les interférences entre procédure pénale et procédure disciplinaire
Contrairement aux règles de preuve gouvernant la démonstration de l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement (2), l'employeur, qui entend licencier un salarié sur le fondement d'une faute grave, assume la charge de la preuve de l'existence de cette faute (3). En cas de contestation du licenciement, il lui appartient, en effet, de démontrer, devant le juge, l'existence de la faute et son caractère d'une gravité suffisante pour s'opposer au maintien du salarié dans l'entreprise.
Conformément, d'abord, au principe selon lequel celui qui assume la charge de la preuve en subit, également, le risque et, ensuite, à la règle édictée par l'article L. 1235-1, alinéa 2, du Code du travail , le doute demeurant à l'issue de l'administration de la preuve bénéficie au salarié.
La preuve de la faute grave par l'employeur peut, parfois, se trouver facilitée par la tenue d'un procès pénal antérieur au licenciement. Faisant application de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le procès civil, la Chambre sociale de la Cour de cassation décide, ainsi, que la décision de condamnation prononcée par le juge pénal s'impose pour ce qui concerne la réalité des faits et leur imputabilité au salarié (4). A l'inverse, une décision de relaxe et, a fortiori, de non-lieu, ne privent pas toujours le juge prud'homal de la possibilité d'apprécier les faits fautifs (5).
Si les règles d'incidence de la procédure pénale sur la procédure disciplinaire dans la relation de travail paraissent donc bien établies, il demeure encore quelques points d'ombre s'agissant de mesures de la procédure pénale pouvant, par exemple, accompagner un non-lieu.
Cela est, notamment, le cas des mesures envisagées par l'article 41-1 du Code de procédure pénale. Ce texte prévoit la possibilité pour le procureur de la République, "s'il lui apparaît qu'une telle mesure est susceptible d'assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l'infraction ou de contribuer au reclassement de l'auteur des faits", de prendre diverses mesures alternatives aux poursuites, parmi lesquelles figure le "rappel auprès de l'auteur des faits des obligations résultant de la loi".
En l'espèce, une plainte pénale pour menaces avait été déposée par une salarié d'un magasin à l'encontre de son directeur, lui aussi salarié. Le directeur s'est vu notifier par le délégué du procureur de la République un rappel à la loi à la suite de ces faits. De son côté, l'employeur décidait d'une mise à pied à titre conservatoire du directeur, laquelle aboutissait à un licenciement pour faute grave. La cour d'appel saisie décidait que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, estimant que les faits rapportés par l'employeur étaient insuffisamment probant pour caractériser une faute grave. Elle refusait, notamment, de se fonder sur la décision de rappel à la loi prise par le procureur de la République pour caractériser l'existence des faits allégués.
La Chambre sociale de la Cour de cassation confirme cette analyse et rejette le pourvoi formé par l'employeur. Elle estime, dans un premier temps, que la décision de rappel à la loi de l'article 41-1 du Code de procédure pénale "est dépourvue de l'autorité de la chose jugée et n'emporte pas par elle-même preuve du fait imputé à un auteur et de sa culpabilité". Puis, dans un second temps, elle constate l'insuffisance des éléments de preuve apportés par l'employeur pour caractériser une faute grave.
II - La primauté de la présomption d'innocence
Deux apports peuvent être tirés de cette décision : celui de l'absence d'autorité de la chose jugée de la décision de rappel à la loi de l'article 41-1 du Code de procédure pénale et celui des effets d'une telle décision sur une procédure disciplinaire dans l'entreprise.
Il semble que ce soit la première fois que la Cour de cassation ait l'opportunité de se prononcer sur l'autorité de la décision du procureur de la République de renoncer aux poursuites et de se contenter d'un simple rappel à la loi. Seule la justice administrative avait eu l'occasion de décider que "l'autorité de la chose jugée en matière pénale ne s'attache qu'aux décisions des juridictions qui statuent sur le fond de l'action publique" et non à un simple rappel à la loi (6). Cette solution peut emporter deux types d'appréciation.
La première amène à contester la décision par l'analyse du mécanisme de rappel à la loi. En effet, celui-ci constitue une alternative aux poursuites, si bien que l'on peut entendre par là que le Parquet, malgré l'existence des faits, renonce à poursuivre l'auteur de faits avérés, soit en raison du faible préjudice en ayant résulté, soit parce que l'auteur des faits est déjà parfaitement reclassé. Dans cette optique, l'existence des faits aurait dû pouvoir être retenue par le juge prud'homal.
La seconde, pourtant, permet de penser que la solution rendue est adéquate. Quoique ayant le statut de magistrats, les membres du Parquet ne font que requérir dans les affaires pénales et, en aucun cas, l'autorité d'une décision de non-lieu ou de rappel à la loi n'équivaut à une décision des juges chargés d'examiner le fond de l'affaire. En outre, une telle solution est parfaitement respectueuse du principe de la présomption d'innocence protégé par l'article 9-1 du Code civil (N° Lexbase : L3305ABZ) et, surtout, par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1373A9Q) (7).
A ce compte, la décision de rappel à la loi étant logiquement dépourvue d'autorité de la chose jugée, il est parfaitement logique qu'elle ne s'impose pas au juge civil dans le cadre de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil. Les faits n'étant pas établis par une juridiction pénale, ils ne peuvent être retenus sans l'apport d'éléments de preuve supplémentaires.
Cette solution est en parfaite adéquation avec la règle selon laquelle le doute doit bénéficier au salarié (8). Lorsqu'elle est invoquée dans le cadre d'une procédure de licenciement disciplinaire, cette règle ne semble être que l'avatar, en droit du travail, de la présomption d'innocence et du principe selon lequel le doute doit bénéficier à l'accusé (9). En conclusion, il faudra donc retenir que seules les décisions rendues par les juges du fond en matière pénale peuvent imposer au juge prud'homal l'existence ou, au contraire, l'inexistence de faits invoqués par l'employeur au soutien de son licenciement.
(1) Sur la quasi-immunité civile du salarié, v. les arrêts "Costedoat" et "Cousin" (Ass. plén., 25 février 2000, n° 97-17.378, M. Costedoat c/ M. Girard et autres N° Lexbase : A8154AG4, Bull. civ., 2000, n° 2 ; BICC n° 15, avril 2000, concl. Kessous, note Ponroy ; JCP éd. G, 2000, II, 10295, concl. Kessous, note Billiau ; D., 2000, p. 673, note Brun ; RCA, 2000, chron. 11 par H. Groutel et chron. 22 par Ch. Radé ; et Ass. plén., 14 décembre 2001, n° 00-82.066, M. Patrick Cousin N° Lexbase : A7314AX8, Bull. civ., 2001, n° 17 ; RCA, 2002, ss. chron. 4, H. Groutel ; JCP éd. G, 2002, II, 10026, note M. Billiau ; JCPéd. G, 2002, I, 124, n° 7, obs. G. Viney ; RTD Civ., 2002, p. 109, obs. P. Jourdain).
(2) En vertu de l'article L. 1235-1 du Code du travail , aux termes duquel "en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles".
(3) Cass. soc., 5 mars 1981, n° 78-41.806, Société Sommer c/ Dzuiba (N° Lexbase : A3330ABX) ; Cass. soc., 9 octobre 2001, n° 99-42.204, M. Gilbert Floch c/ Société CMER (N° Lexbase : A5726AG8), Bull. civ. V, n° 306.
(4) Cass. soc., 6 juillet 1999, n° 96-40.882, Société GMA Cora c/ Mme X et autre ([LXB=A8045AG]).
(5) En cas de relaxe, l'employeur ne peut, cependant, s'appuyer sur des faits dont le juge pénal a estimé qu'ils n'étaient pas établis. V. Cass. soc., 12 mars 1991, n° 88-43.051, M. Picquart c/ La Maison du logement, publié (N° Lexbase : A9300AAP) ; Cass. soc., 20 mars 1997, n° 94-41.918, M. Colas c/ Régie nationale des usines Renault (N° Lexbase : A3963AAZ) et les obs. de N. Mingant, Harcèlement sexuel : le juge du contrat de travail et l'autorité de la chose jugée au pénal, Lexbase Hebdo n° 190 du 17 novembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N0928AKL).
En cas de non-lieu, v. Cass. soc., 30 mai 1996, n° 92-44.783, M. Thierry Idenn, boulanger c/ Mme Maria Monteiro (N° Lexbase : A9922ATN).
(6) CAA Versailles, 1èr ch., 26 mai 2005, n° 03VE01296, Département de l'Essonne (N° Lexbase : A6806DIW).
(7) Le respect de la présomption d'innocence est, également, prévu par l'article 6-2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR).
(8) Sur cette question, v. R. Pautrat, La charge de la preuve et le poids du doute dans l'appréciation de la cause réelle et sérieuse du licenciement, D., 1994, p. 337.
(9) CEDH, 6 décembre 1988, Req. 24/1986/122/171, Barberà, Messegué et Jabardo (N° Lexbase : A6469AWI).
Décision
Cass. soc., 21 mai 2008, n° 06-44.948, Société Frigoccasion, FS-P+B (N° Lexbase : A7034D8Z) Rejet, CA Paris, 18ème ch., sect. E, 30 juin 2006 Textes cités : C. pr. pén., art. 41-1 (N° Lexbase : L8616HWZ) Mots-clés : licenciement ; absence de cause réelle et sérieuse ; preuve de la faute grave ; procédure pénale ; rappel à la loi ; preuve insuffisante. Liens base : et |