Décision
Cass. soc., 3 novembre 2005, n° 03-46.839, Association Agence de développement, de formation, d'information et de coordination (ADFIC), FS-P+B (N° Lexbase : A3361DL3) Cassation (CA Aix-en-Provence, 9ème chambre C, 4 septembre 2003) Textes visés : C. pén., art. 222-33 (N° Lexbase : L2404AMY) ; C. trav., art. L. 122-46 (N° Lexbase : L5584ACS). Mots-clefs : autorité de la chose jugée au pénal ; relaxe du délit de harcèlement sexuel ; matérialité des faits non établie. Lien bases : |
Faits
Mlle Tassy, employée depuis le 21 octobre 1998 en qualité de technicienne par l'agence de développement, de formation, d'information et de coordination (ADFIC), a saisi le conseil de prud'hommes de demandes liées à la rupture du contrat de travail ainsi que d'une demande de dommages-intérêts, en indemnisation de faits de harcèlement sexuel dont elle affirmait avoir été victime de la part de son supérieur hiérarchique, lors d'un déplacement professionnel. A la suite de la plainte qu'elle a déposée à son encontre pour harcèlement sexuel, le tribunal correctionnel, par jugement définitif du 28 septembre 2001, a relaxé l'intéressé des fins de poursuite. La cour d'appel d'Aix-en Provence, dans un arrêt du 4 septembre 2003, a accueilli sa demande d'indemnisation en estimant que la qualification correspondant au délit pénalement sanctionné était différente du comportement fautif de harcèlement sexuel dans les relations de travail et que l'appréciation du juge prud'homal était nécessairement différente de celle du juge pénal. |
Solution
1. Cassation 2. "Vu le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur l'action portée devant la juridiction civile". "Pour condamner l'employeur au paiement de dommages-intérêts pour harcèlement sexuel, l'arrêt retient qu'il est établi que le supérieur hiérarchique s'est livré à des manoeuvres de séduction et à des pressions diverses sur la salariée et qu'il n'importe que le tribunal correctionnel ait prononcé sa relaxe du chef de harcèlement sexuel, la qualification correspondant au délit pénalement sanctionné étant différente du comportement fautif de harcèlement sexuel dans des relations de travail et l'appréciation du juge prud'homal étant nécessairement différente de celle du juge pénal". "En statuant ainsi, alors qu'il résulte des motifs du jugement correctionnel du 28 septembre 2001 que la matérialité des faits de harcèlement sexuel et la culpabilité de celui auquel ils étaient imputés n'étaient pas établies, la cour d'appel a violé le principe susvisé". |
Commentaire
1. Le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal et la matérialité des faits En application du "principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur l'action portée devant la juridiction civile", lorsqu'une décision pénale est rendue, elle s'impose en principe au juge civil et donc au juge prud'homal. L'autorité de la chose jugée au pénal s'applique sans aucun doute aux questions de fait qui commandent la solution du litige. La juridiction prud'homale ne peut se former une conviction différente sur la réalité de ces faits et leur imputabilité au salarié. Ainsi, si un salarié est relaxé parce que le juge pénal a estimé que les faits n'étaient pas établis, le juge prud'homal ne pourra pas retenir ces mêmes faits pour admettre qu'un licenciement a une cause réelle et sérieuse (la règle s'applique même si la relaxe est prononcée au bénéfice du doute, Cass. soc., 20 mars 1997, n° 94-41.918, M. Colas c/ Régie nationale des usines Renault, publié N° Lexbase : A3963AAZ ; Cass. soc., 6 novembre 1991, n° 89-45.026, Mme Amdouni c/ Société Boulogne Distribution, inédit N° Lexbase : A7593CNK). En revanche, lorsque la décision du juge répressif ne concerne pas la réalité des faits et leur imputabilité au salarié, le principe de l'autorité de la chose jugée n'a pas vocation à s'appliquer. Il convient, d'abord, d'observer que l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'attache qu'aux décisions définitives des juridictions qui statuent sur le fond de l'action publique. Il en résulte qu'une décision de non-lieu rendue après la plainte de l'employeur n'a pas l'autorité de la chose jugée et ne lie pas le juge prud'homal chargé de contrôler la cause réelle et sérieuse de licenciement (Cass. soc., 30 mai 1996, n° 92-44.783, M. Thierry Idenn, boulanger c/ Mme Maria Monteiro, inédit N° Lexbase : A9922ATN). Le juge prud'homal n'est pas non plus lié par une décision de relaxe lorsque celle-ci résulte de l'absence d'intention frauduleuse et non d'une matérialité des faits non établie (Cass. soc., 18 octobre 1995, n° 94-40.735, M. Blanchard et autres c/ Société Poujoulat, publié N° Lexbase : A4073AA4). En l'espèce, le juge pénal, dans une décision du 28 septembre 2001, avait considéré qu'il était établi que le supérieur hiérarchique s'était livré à des manoeuvres de séduction et à des pressions diverses sur la salariée, mais avait tout de même prononcé sa relaxe du chef de harcèlement sexuel. La Cour de cassation refuse de suivre le raisonnement de la cour d'appel d'Aix-en Provence qui, dans son arrêt du 4 septembre 2003, avait considéré que la décision pénale ne concernait pas l'existence des faits mais leur qualification et, qu'en conséquence, elle n'était pas liée par le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal. La Haute juridiction casse cette décision en retenant qu'il résulte des motifs du jugement correctionnel du 28 septembre 2001 que "la matérialité des faits de harcèlement sexuel et la culpabilité de celui auquel ils étaient imputés n'étaient pas établies". La Cour de cassation semble donc se placer sur le terrain de la matérialité des faits pour appliquer le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal. Mais, la formule retenue ("matérialité des faits de harcèlement sexuel") est ambiguë, car elle mêle matérialité des faits et qualification des faits. 2. Le principe de l'autorité de la chose jugée et la qualification juridique des faits En l'espèce, le tribunal correctionnel, dans sa décision du 28 septembre 2001, avait considéré que certains faits étaient établis ("des manoeuvres de séduction" et "des pressions diverses sur la salariée") mais ces faits n'étaient pas suffisants pour être constitutifs du délit de harcèlement sexuel prévu à l'article 222-33 du Code pénal. La cour d'appel d'Aix-en Provence, dans son arrêt du 4 septembre 2003, avait estimé que la décision du juge pénal ne portait pas sur la matérialité des faits mais sur leur qualification et qu'elle n'était donc pas liée par le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal. Elle a, en effet, considéré que les faits (que le juge pénal n'avait pas déclaré non établis), bien que non constitutifs du délit pénal de harcèlement sexuel, pouvaient être constitutifs d'un comportement fautif de harcèlement sexuel dans les relations de travail. Il est vrai qu'en principe, l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'étend pas à la qualification juridique des faits par le juge prud'homal. En vertu du principe de l'autonomie du droit disciplinaire, il est normalement possible pour le juge prud'homal de retenir une faute civile différente de l'infraction pénale écartée par le juge répressif (Cass. soc., 12 mars 1991, n° 88-43.051, M. Picquart c/ La Maison du logement, publié N° Lexbase : A9300AAP). Mais, en matière disciplinaire, ce principe est souvent atténué par le fait que le juge prud'homal est lié par les motifs de la lettre de licenciement, cette dernière fixant les limites du débat. Si la lettre de licenciement a pour motif une infraction pénale non retenue par le juge répressif, les faits reconnus par le juge répressif, mais insusceptibles de qualification pénale, ne peuvent être utilisés par le juge prud'homal sur le terrain de la faute contractuelle (Cass. soc., 17 novembre 1998, n° 96-44364, M. X c/ Association d'intervention judiciaire de la Haute-Savoie, publié N° Lexbase : A9237CHL). Même si, en théorie, il peut y avoir faute civile alors même que le juge répressif a écarté l'existence d'une faute pénale, les employeurs sont "piégés" par le contenu même de ce qu'ils ont invoqué en rédigeant la lettre de licenciement. Lorsqu'ils s'"enferment" eux-mêmes dans une qualification pénale dans la lettre de licenciement, ils prennent le risque que cette qualification soit écartée et que les faits (bien qu'établis et intrinsèquement constitutifs d'une cause réelle et sérieuse) ne puissent pas justifier le licenciement. En l'espèce, le litige n'était pas relatif à un employeur procédant à un licenciement disciplinaire. Les principes régissant le licenciement disciplinaire n'étaient donc évidemment pas applicables. Le juge répressif n'ayant pas écarté l'intégralité des faits invoqués par le salarié, il était donc, en principe, possible pour ce dernier, qui n'avait pu faire condamner pénalement l'employeur pour les faits de harcèlement sexuel, de saisir la juridiction prud'homale en invoquant une faute civile (de harcèlement) différente de l'infraction écartée par le juge répressif. Mais, l'action ne pouvait naturellement aboutir qu'à condition que la juridiction prud'homale admette que la faute civile de harcèlement était différente de la faute pénale de harcèlement. En affirmant "qu'il résulte des motifs du jugement correctionnel du 28 septembre 2001 que la matérialité des faits de harcèlement sexuel et la culpabilité de celui auquel ils étaient imputés n'étaient pas établies", il nous semble que la Cour de cassation reconnaît implicitement que la qualification civile de harcèlement est la même que la qualification pénale. |