Résumé
La régularité de la désignation d'un représentant de section syndicale ne nécessite pas que le syndicat à l'origine de la désignation remplisse les critères fixés par les articles L. 2121-1 (N° Lexbase : L3727IBN) et L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9) du Code du travail relatifs à la représentativité. Il suffit qu'il réunisse, à la date de la désignation, les conditions fixées par les articles L. 2142-1 (N° Lexbase : L3761IBW) et L. 2142-1-1 (N° Lexbase : L3765IB3) dudit code. L'article L. 2142-1 du Code du travail exige, pour la constitution de la section syndicale, la présence d'au moins deux adhérents dans l'entreprise. |
Commentaire
I - La nécessaire constitution d'une section syndicale
Parce qu'elle est dénuée de la personnalité juridique, la section syndicale ne saurait être "représentée", du moins au sens juridique du terme. Cela étant, et à l'évidence, la désignation d'un représentant de la section syndicale suppose la constitution d'une telle section (2). L'article L. 2142-1-1 ne dit pas autre chose lorsqu'il dispose que "chaque syndicat qui constitue [...] une section syndicale au sein de l'entreprise ou de l'établissement de cinquante salariés ou plus peut, s'il n'est pas représentatif dans l'entreprise ou l'établissement, désigner un représentant de la section pour le représenter au sein de l'entreprise ou de l'établissement".
Jusqu'à l'adoption de la loi du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, la constitution d'une section syndicale était une prérogative réservée aux seuls syndicats représentatifs. Désormais, cette faculté est, non seulement ouverte au syndicat représentatif dans l'entreprise ou l'établissement, mais également à chaque syndicat affilié à une organisation syndicale représentative au niveau national et interprofessionnel, ainsi qu'à chaque organisation syndicale qui satisfait aux critères de respect des valeurs républicaines et d'indépendance et est légalement constituée depuis au moins deux ans et dont le champ professionnel et géographique couvre l'entreprise concernée (C. trav., art. L. 2142-1).
Pour pouvoir constituer une section syndicale au sein de l'entreprise ou de l'établissement les syndicats habilités doivent, ainsi que l'exige l'article L. 2142-1 du Code du travail, y avoir "plusieurs adhérents". Cette exigence, qui ne figurait pas dans les textes antérieurs, participe de la volonté de légitimation des organisations syndicales qui irrigue toute la loi du 20 août 2008. Elle posait un certain nombre de difficultés relativement à sa mise en oeuvre que vient régler l'arrêt sous examen.
En l'espèce, la société Véolia transport Bordeaux avait saisi le tribunal d'instance d'une requête aux fins d'annulation de la désignation, en date du 18 octobre 2008, de M. P. en qualité de représentant de la section syndicale par la fédération autonome des transports FAT-UNSA au sein de l'entreprise. Déboutée de sa demande, la société employeur avait formé un pourvoi en cassation à l'appui duquel elle arguait que la mise en oeuvre de l'article L. 2142-1 du Code du travail suppose que le syndicat en cause ait "plusieurs adhérents dans l'entreprise", ce qui implique au minimum plus de deux adhérents.
Renouant avec une jurisprudence ancienne selon laquelle une section suppose qu'au moins deux salariés aient manifesté l'intention de se grouper dans l'entreprise pour exercer une action syndicale commune (3), la Cour de cassation écarte l'argumentation de la société en se bornant à relever que "l'article L. 2142-1 du Code du travail exige, pour la constitution d'une section syndicale, la présence d'au moins deux adhérents dans l'entreprise". Cette solution ne peut qu'être approuvée, dans la mesure où, ainsi que nous l'indique le Petit Robert, l'adjectif "plusieurs" signifie "plus d'un" (4). Cette interprétation de la formule "plusieurs adhérents", qui était, à notre sens, la seule envisageable, faute, pour la loi, d'être plus précise, relativise, cependant, l'objectif précité de légitimation des syndicats dans l'entreprise.
Le syndicat pourra, ainsi, se contenter de démontrer qu'il a deux adhérents dans l'établissement ou l'entreprise pour que la constitution de la section syndicale soit jugée valable (5). Mais, et on l'aura compris, en cas de contestation, la preuve de l'existence de ces deux adhérents pèse sur le syndicat. C'est ce que souligne la Cour de cassation dans l'arrêt commenté en relevant que le syndicat FAT-UNSA "justifiait de la présence dans l'entreprise, à la date de la désignation, d'au moins deux adhérents".
Comme l'avait relevé nombre de commentateurs après l'adoption de la loi du 20 août 2008, se trouve, ainsi, condamnée la jurisprudence conciliante de la Cour de cassation selon laquelle "lorsqu'un syndicat représentatif désigne un délégué syndical dans une entreprise qui emploie au moins cinquante salariés, l'existence d'une section syndicale est établie par cette seule désignation" (6). Mais encore fallait-il que le syndicat ne soit pas tenu de communiquer à l'employeur l'identité de ses adhérents pour d'évidentes raisons. L'arrêt rendu sur les pourvois joints n° 09-60.031, 09-60.932 et 09-60.011 offre, de ce point de vue, toutes les garanties requises (7).
La société demanderesse soutenait encore, à l'appui de son pourvoi, que les adhésions au syndicat doivent être antérieures à la désignation du représentant de la section syndicale. Cela revenait à considérer que la constitution d'une section syndicale doit précéder la désignation du représentant.
Là encore, la Cour de cassation écarte l'argumentation en affirmant qu'il suffit que le syndicat réunisse, "à la date de la désignation, les conditions fixées par les articles L. 2142-1 et L. 2142-1-1" du Code du travail. Ainsi que l'indique très clairement le communiqué qui accompagne les arrêts du 8 juillet 2009 (8), il faut, ainsi, comprendre que "la constitution d'une section syndicale peut s'effectuer concomitamment à la désignation du représentant ou du délégué syndical". Cette solution doit à nouveau être approuvée ne serait-ce qu'en raison d'un simple argument de texte, le législateur ayant, à l'article L. 2142-1-1, employé le présent de l'indicatif et non le passé (9).
II - Les exigences relatives au syndicat auteur de la désignation du représentant de la section syndicale
La société reprochait au jugement attaqué d'avoir dit régulière la désignation du salarié en qualité de représentant de la section syndicale sans avoir caractérisé que le syndicat mandant était représentatif dans l'entreprise. Cette argumentation est balayée par la Cour de cassation, qui souligne que "la régularité de la désignation d'un représentant de section syndicale ne nécessite pas que le syndicat à l'origine de la désignation remplisse les critères fixés par les articles L. 2121-1 et L. 2122-1 du Code du travail relatifs à la représentativité ; qu'il suffit qu'il réunisse, à la date de la désignation, les conditions fixées par les articles L. 2142-1 et L. 2142-1-1 dudit code".
Cette solution s'imposait au regard des textes applicables. Ainsi que nous l'avons vu précédemment, pour pouvoir valablement désigner un représentant de la section syndicale, le syndicat doit, en application de l'article L. 2142-1, avoir constitué une section. Si une telle faculté est ouverte aux syndicats représentatifs dans l'entreprise ou l'établissement, elle ne leur est nullement réservée. En revanche, et l'article L. 2142-1-1 est, de ce point de vue, très clair, la possibilité de désigner un représentant est réservée aux syndicats qui ne sont pas représentatifs dans l'entreprise ou l'établissement. On s'accordera donc, avec la Chambre sociale, pour considérer que la régularité de cette désignation ne nécessite pas que le syndicat mandant soit représentatif. Il nous semble, cependant, qu'il est plus conforme aux exigences légales d'affirmer que la régularité de la désignation nécessite que le syndicat ne soit pas représentatif dans l'entreprise ou l'établissement (10).
On ne saurait, pour autant, considérer que la faculté de désigner un représentant de section syndicale est ouverte à n'importe quel syndicat, dès lors qu'il n'est pas représentatif. Conformément aux prescriptions de l'article L. 2142-1, auquel renvoi l'article L. 2142-1-1, va pouvoir désigner un représentant de la section, "chaque syndicat affilié à une organisation représentative au niveau national et interprofessionnel (11) ou chaque organisation syndicale qui satisfait aux critères de respect des valeurs républicaines et d'indépendance et est légalement constitué depuis au moins deux ans et dont le champ professionnel et géographique couvre l'entreprise concernée".
Depuis la réforme opérée par la loi du 20 août 2008, un syndicat ne peut être déclaré représentatif que s'il remplit les sept critères cumulatifs énumérés par l'article L. 2121-1, nouveau, du Code du travail. Certaines prérogatives sont, toutefois, réservées ou ouvertes (12) à des syndicats qui peuvent se prévaloir d'une "quasi-représentativité", c'est-à-dire les syndicats qui satisfont à certains des critères précités, à savoir : le respect des valeurs républicaines, l'indépendance et une ancienneté de deux ans. Critères auxquels il faut ajouter la condition selon laquelle le champ professionnel et géographique du syndicat doit couvrir l'entreprise concernée. Si cette dernière exigence est précisée par l'arrêt rendu sur le pourvoi n° 09-60.048 (13), la décision commentée donne de précieuses indications sur le critère de respect des valeurs républicaines.
Plus exactement, si la Cour de cassation ne nous précise pas ce que recouvre cette notion (14), elle affirme clairement qu'il appartient à l'employeur, s'il conteste le respect par un syndicat de ce critère, d'établir en quoi le syndicat n'y répond pas. Ce faisant, la Chambre sociale érige en quelque sorte une présomption, certes simple, de respect des valeurs républicaines par le syndicat. Cette solution doit être pleinement approuvée. Dans la mesure où le respect des valeurs républicaines intéresse moins la représentativité du groupement que son existence même en tant que syndicat, on doit présumer que ce critère est respecté.
La solution retenue peut, toutefois, apparaître en contradiction avec la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation qui, à plusieurs reprises, a décidé qu'il incombe au syndicat défendeur de rapporter la preuve de sa représentativité (15). Il convient, toutefois, de remarquer que, dans l'affaire qui nous intéresse, ce n'était pas la représentativité du syndicat qui était contestée, mais uniquement le respect par ce dernier des valeurs républicaines. Par voie de conséquence, la décision rapportée ne saurait être considérée comme un revirement de jurisprudence. En outre, on peut penser que la solution retenue devrait également valoir pour l'indépendance du syndicat et la transparence financière qui concernent moins sa représentativité que sa qualité de syndicat.
Bien qu'elle ne constitue sans doute pas l'apport majeur de l'arrêt commenté, une dernière question mérite d'être évoquée. La société employeur reprochait au jugement attaqué d'avoir dit régulière la désignation du salarié par le syndicat, alors qu'en vertu de l'article 5 des statuts de la FAT-UNSA du 19 juin 2001, la désignation d'un représentant de section syndicale ne peut être faite que par la commission exécutive de la fédération, le secrétaire général n'ayant qualité, au titre de l'article 6 de ces statuts, que pour représenter la fédération, mais non pour prendre les décisions de désignation.
Cette argumentation est écartée par la Cour de cassation qui se borne à relever que les statuts du syndicat conféraient, dans leur article 6, au secrétaire général, le pouvoir de représenter le syndicat dans tous les actes de la vie civile ; ce qui lui donnait le pouvoir de désigner un représentant de section syndicale.
Si cette solution ne saurait être discutée, elle invite les syndicats à être attentifs, d'une part, à la personne qui, au nom du syndicat, procède à la désignation (16), et, d'autre part, à la rédaction de leurs statuts. Cette remarque vaut pour la désignation des mandataires du syndicat, mais, également, pour d'autres aspects et notamment l'exigence selon laquelle le syndicat doit avoir un champ géographique et professionnel couvrant l'entreprise concernée (C. trav., art. L. 2142-1-1). La vérification du respect de cette condition passera nécessairement par la lecture des statuts.
Il convient, à ce titre, de remarquer qu'en application du 4° de l'article L. 2121-1, un syndicat ne peut être représentatif que s'il a une ancienneté minimale de deux ans, "dans le champ professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation". Quoiqu'un peu obscure, cette exigence ne semble pouvoir être conçue qu'au regard des statuts du syndicat. On peut penser qu'en cas de changement du champ professionnel et géographique, l'ancienneté devra s'appréciée à compter de la modification des statuts et non de la date de leur dépôt légal.
(1) Voir notre numéro spécial, Lexbase Hebdo n° 317 du 10 septembre 2008 - édition sociale.
(2) Y. Pagnerre, Le représentant de la section syndicale, JCP éd. S, 2009, 1156.
(3) Cass. soc., 19 juillet 1988, n° 87-61.820, Société de moyens techniques (SOMOTEC) c/ M. Dimitrijevic et autre (N° Lexbase : A3436AHQ).
(4) Et non "plus de deux" comme le soutenait, en l'espèce, la partie demanderesse.
(5) Y compris, d'ailleurs, si le syndicat a beaucoup plus d'adhérents dans l'entreprise.
(6) Cass. soc., 27 mai 1997, n° 96-60.239, Syndicat général CFDT de Nantes et région et autre c/ Société Rezéenne de transports (N° Lexbase : A4625AGE).
(7) Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.011, Société Okaidi, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7069EIN) et les obs. de Ch. Radé, Loi du 20 août 2008 et réforme de la démocratie sociale : premières précisions sur le droit transitoire et les règles applicables à la section syndicale, Lexbase Hebdo n° 360 du 22 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1143BLW).
(8) Outre l'arrêt commenté, voir, Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.011, préc. ; Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.015, Syndicat Solidaires G4S, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7070EIP) et les obs. de S. Tournaux, La désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise par des organisations non représentatives, Lexbase Hebdo n° 360 du 22 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1145BLY) ; Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.048, Syndicat Sud banques solidaires, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7071EIQ) et les obs. de Ch. Radé, Le représentant de la section syndicale doit être mis en place au même niveau que les représentants élus du personnel, Lexbase Hebdo n° 360 du 22 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1131BLH).
(9) "Chaque syndicat qui constitue [...]" et non "qui a constitué".
(10) Un employeur pourra donc contester la désignation d'un représentant de la section syndicale en arguant que le syndicat mandant est représentatif...
(11) Ces syndicats ne sauraient être considérés comme représentatifs dans l'entreprise.
(12) On pense, ici, à la possibilité de négocier le protocole d'accord préélectoral et à la faculté de présenter des listes de candidats au premier tour des élections professionnelles, prérogatives autrefois réservées aux seuls syndicats représentatifs.
(13) Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.048, préc..
(14) V., sur la question, Y. Pagnerre, Le respect des valeurs républicaines ou l'éthique syndicale, JCP éd. S, 2009, 1050.
(15) Cass. soc., 24 février 1993, n° 92-60.003, Syndicat CGT Renault Nice c/ Syndicat CSL et autres (N° Lexbase : A2026AAB) ; Cass. soc., 31 octobre 2000, n° 99-11.005, Fédération Sud-CRC santé sociaux c/ Fédération nationale des Centres de lutte contre le cancer et autre (N° Lexbase : A9745AT4).
(16) Le représentant de la section syndicale ayant été créé par la loi du 20 août 2008, les statuts devront certainement faire l'objet d'une interprétation par le juge lorsqu'ils visent précisément la désignation d'un délégué syndical. Une formulation plus générale, telle celle qui figure dans les statuts du syndicat qui était en cause en l'espèce, doit être privilégiée par les rédacteurs des statuts.
Décision
Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 08-60.599, Société Véolia transport Bordeaux c/ M. Christian Picoche et a., FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7068EIM) Rejet, TI Bordeaux, contentieux des élections professionnelles, 23 décembre 2008 Textes concernés : C. trav., art. L. 2121-1 (N° Lexbase : L3727IBN), art. L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9), art. L. 2142-1 (N° Lexbase : L3761IBW) et art. L. 2142-1-1 (N° Lexbase : L3765IB3) Mots-clefs : représentant de la section syndicale ; désignation ; conditions de validité ; section syndicale ; nombre d'adhérents ; respect des valeurs républicaines Lien base : |