Décision
Cass. soc., 25 janvier 2006, n° 03-46.618, Mlle Sandrine Thouron c/ Société MSM, FS-P+B (N° Lexbase : A5504DMS) Cassation totale partiellement sans renvoi (CA Pau, Chambre sociale, 15 septembre 2003) Textes visés : C. trav., art. L. 762-1 (N° Lexbase : L5342ACT) ; C. trav., art. L. 762-2 (N° Lexbase : L5344ACW) ; C. civ., art. 2262 (N° Lexbase : L2548ABY). Mots-clefs : artiste interprète ; présomption de salariat ; qualification des rémunérations ; indépendance de la qualification de la qualité de salarié ; prescription des rémunérations. Lien bases : |
Résumé
La présomption de salariat contenue dans l'article L. 762-1 du Code du travail n'emporte pas la qualification systématique de salaire des sommes versées au salarié. Cette qualification dépend uniquement de l'objet de la rémunération perçue. Les sommes versées à une artiste interprète salariée, en contrepartie de la vente ou de l'exploitation de son enregistrement, dans la mesure où cette exploitation n'exige pas la présence physique de l'artiste et où les sommes ne dépendent pas du salaire perçu, ne sont pas des salaires. Pour cette raison, elles ne sont pas soumises à la prescription quinquennale mais se voient appliquer la prescription trentenaire. |
Faits
Une salariée a été engagée pour jouer le rôle principal d'un film. Sa rémunération a été fixée à une somme forfaitaire "pour l'ensemble de sa prestation, y compris le travail d'interprétation". Elle a saisi la juridiction prud'homale d'une action tendant au paiement par la société MSM de la rémunération due pour chaque mode d'exploitation de l'oeuvre filmée, notamment par vidéocassettes. La cour d'appel a rejeté sa demande, invoquant la prescription de son action. Ayant qualifié de salaires les sommes demandées par la salariée, elle a appliqué à son action une prescription quinquennale. |
Solution
1. Cassation totale partiellement sans renvoi 2. "Attendu, cependant, d'une part, qu'il résulte de l'article L. 762-1 du Code du travail que tout contrat par lequel une personne physique ou morale s'assure moyennant rémunération, le concours d'un artiste du spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail dès lors que cet artiste n'exerce pas l'activité, objet de ce contrat, dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce ; que, d'autre part, selon l'article L. 762-2 du même Code, n'est pas considérée comme salaire la rémunération due à l'artiste à l'occasion de la vente ou de l'exploitation de l'enregistrement de son interprétation, exécution ou présentation par l'employeur ou tout autre utilisateur dès que la présence physique de l'artiste n'est plus requise pour exploiter ledit enregistrement et que cette rémunération n'est en rien fonction du salaire reçu pour la production de son interprétation, exécution ou présentation, mais au contraire fonction du produit de la vente ou de l'exploitation dudit enregistrement". 3. "En statuant comme elle l'a fait, alors qu'il résultait de ses constatations et énonciations que l'action de Mlle Thouron, qui avait été engagée en vertu d'un contrat de travail d'artiste-interprète, s'analysait en une demande de paiement d'une rémunération ne présentant pas le caractère de salaire, étrangère à l'application de l'article 1304 du Code civil, et soumise dès lors à la prescription trentenaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés". |
Commentaire
1. L'indépendance de la qualité de salarié et de la qualification de ses rémunérations
L'article L. 762-1 du Code du travail pose une présomption de salariat pour tout contrat par lequel une personne physique ou morale s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un artiste du spectacle en vue de sa production. Il faut donc qu'un producteur s'assure le concours d'un artiste en vue de sa production, pour que le contrat soit présumé être un contrat de travail, peu important le mode ou le montant de la rémunération (Cass. soc., 17 mai 2005, n° 02-47.541, FS-P+B N° Lexbase : A3640DIN).
L'alinéa 2 de ce texte précise, à cet effet, que la présomption de salariat subsiste quels que soient le mode et le montant de sa rémunération. La qualité de salarié et la qualification attachée aux sommes qui lui sont versées sont donc indépendantes. Si certaines sommes sont nécessairement qualifiées de salaires parce qu'elles entrent dans sa définition, d'autres, en revanche, ne reçoivent pas cette qualification, faute d'en réunir les éléments constitutifs.
Tel est le cas des sommes versées à l'artiste à l'occasion de la vente ou de l'exploitation de l'enregistrement de son interprétation. L'article L. 762-2 du Code du travail précise que n'est pas considérée comme salaire la rémunération due à l'artiste à l'occasion de la vente ou de l'exploitation de l'enregistrement de son interprétation. Deux conditions entourent toutefois cette "disqualification". Il faut, d'une part, que la présence physique de l'artiste ne soit pas requise et, d'autre part, que la rémunération ne soit pas fonction du salaire perçu pour son interprétation mais, au contraire, fonction du produit de la vente ou de l'exploitation dudit enregistrement. Dans cette hypothèse, la qualification de salaire ne peut pas être attachée aux sommes versées au salarié.
A la cour d'appel qui avait refusé de faire droit à la demande de la salariée en se fondant sur la prescription quinquennale attachée aux sommes qu'elle avait qualifiées de salaire, la Haute juridiction rappelle ainsi que les rémunérations versées en contrepartie de l'exploitation de l'oeuvre, de sa reproduction, lorsqu'ils ne requièrent pas la présence physique de l'artiste et ne dépendent pas du salaire, ne sont pas des salaires et sont donc soumises à la prescription trentenaire de droit commun. Cette solution est en tous points conforme à la lettre des textes, non seulement propres aux artistes interprètes mais également à tous les salariés. 2. Conséquence de l'indépendance de la qualité de salarié et de la qualification de ses rémunérations
Cette solution résulte d'une simple application des dispositions propres aux artistes interprètes. La présomption de salariat, tout comme l'indépendance de cette présomption de la qualification des rémunérations perçues, figurent expressément dans le Code du travail (C. trav., art. 762-1 ; C. trav., art. L. 762-2). La solution retenue dans l'espèce commentée s'inscrit, en outre, dans la droite ligne de la jurisprudence traditionnelle en la matière. L'indépendance de la rémunération de la qualification d'interprète salarié a, en effet, déjà été expressément affirmée par la Haute juridiction dans une décision antérieure (Cass. soc., 17 mai 2005, n° 02-47.541, FS-P+B N° Lexbase : A3640DIN). Dans cette espèce, elle avait décidé, à juste titre, que "le contrat par lequel un producteur s'assure le concours d'un artiste en vue de sa production est présumé être un contrat de travail quels que soient le mode ou le montant de la rémunération". Si la rémunération n'a pas d'influence sur la qualification donnée au contrat, la réciproque est également vraie et la qualification de salariat ne préjuge en rien de la qualification des sommes perçues par le salarié. Cette indépendance de la qualification donnée aux rémunérations de la qualification de la relation de travail n'est pas propre à l'artiste interprète mais vaut dans toutes les hypothèses.
La jurisprudence considère que si le salaire est un élément nécessaire de l'existence du contrat de travail, il n'en constitue pas un critère déterminant. Elle affirme ainsi que le versement d'un salaire est insuffisant pour établir l'existence d'un contrat de travail (Cass. soc., 26 novembre 1987, n° 84-41.074, SA Secrop c/ Chatel, inédit N° Lexbase : A6731AHR), et ne constitue pour le juge qu'un simple indice. On voit ici, tout à la fois, l'indépendance et le lien entre salarié et salaire. Le salarié perçoit forcément un salaire, mais rien ne l'empêche de percevoir d'autres rémunérations, lesquelles venant s'ajouter au salaire, ne partagent pas sa qualification. La notion de rémunération est beaucoup plus large que celle de salaire qui reste limité "aux sommes versées en contrepartie directe du travail". La rémunération s'entend, pour sa part, du "salaire ordinaire ou de base et de tous les avantages et accessoires payés, directement ou indirectement, en espèce ou en nature, par l'employeur en raison l'emploi de ce dernier". Chaque élément de rémunération est susceptible de recevoir une qualification différente à laquelle est attachée une prescription propre.
C'est la raison pour laquelle les sommes réclamées par la salariée, dans l'espèce commentée, correspondant à l'exploitation de l'oeuvre à laquelle elle avait participé, n'étaient pas prescrites puisqu'elles ne pouvaient recevoir la qualification de salaires. L'article L. 143-14 du Code du travail (N° Lexbase : L5268AC4) dispose à cet effet que l'action en paiement du salarié se prescrit par 5 ans, conformément à l'article 2277 du Code civil (N° Lexbase : L5385G7L). Cette disposition est parfaitement claire et ne concerne, en principe, que la prescription du salaire stricto sensu. Bien que la jurisprudence en ait un peu élargi le champ, la prescription abrégée ne peut s'appliquer à l'ensemble des rémunérations perçues par le salarié. Seuls les salaires, comme le prévoit le législateur, et les sommes payables par année ou à des termes périodiques plus courts, tombent sous le coup de cette prescription (Cass. soc., 29 mai 1991, n° 88-42.736, M. Boissière c/ M. Lemaire, publié N° Lexbase : A4454ABL). Les autres éléments de la rémunération sont soumis à la prescription trentenaire de droit commun. La salariée était donc parfaitement en droit de demander le paiement d'une contrepartie correspondant à l'exploitation du tournage, et ce d'autant plus que cela n'avait pas été prévu au contrat. |