Décision
Ass. plén., 24 juin 2005, n° 03-30.038, M. Jean-Claude Grymonprez c/ Société Norgraine, publié (N° Lexbase : A8502DIQ) Cassation (CA Amiens, 11 mars 2002, Chambre solennelle, renvoi devant la CA de Douai). Textes visés : C. civ., art. 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) ; CSS, art. L. 411-1 (N° Lexbase : L5211ADD) ; CSS, art. L. 452-1 (N° Lexbase : L5300ADN) ; CSS, art. L. 453-1 (N° Lexbase : L4468ADT) ; décret n° 65-48 du 8 janvier 1965 portant règlement d''administration publique pour l'exécution des dispositions du livre II du Code du travail (N° Lexbase : L7496AIH). Mots-clefs : accidents du travail ; faute inexcusable de l'employeur ; faute inexcusable de la victime ; majoration de la rente. Lien bases : |
Résumé
Peu importe que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié. Il suffit qu'elle en soit la cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage. La faute de la victime n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de la responsabilité qu'il encourt en raison de sa faute inexcusable. Seule une faute inexcusable de la victime, au sens de l'article L. 453-1 du Code de la Sécurité sociale, peut permettre de réduire la majoration de sa rente. Présente un tel caractère la faute volontaire de la victime d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience. |
Faits
Le 4 juillet 1989, M. Grymonprez, salarié de la société Norgraine, a été victime d'un accident sur son lieu de travail. En effet, alors qu'il aidait un collègue à déplacer un échafaudage métallique pour le ranger sur le côté du bâtiment de l'entreprise comme il le faisait tous les soirs depuis un mois, l'échafaudage, qui avait été surélevé le matin même pour permettre de peindre le haut de ce bâtiment, a heurté une ligne électrique. Blessé dans cet accident, M. Grymonprez a demandé une indemnisation complémentaire en invoquant une faute inexcusable de son employeur. Par un arrêt en date du 29 mai 1998, la cour d'appel de Douai a écarté les demandes de M. Grymonprez en considérant que l'accident avait été causé par son inattention. En réponse au pourvoi formé par M. Grymonprez contre cette décision, la Chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 15 février 2001, n° 99-15.133, M. Jean-Claude Grymonprez c/ Société Norgraine, inédit N° Lexbase : A3838ARL) a cassé la décision de la cour de Douai et a renvoyé l'affaire devant la cour d'appel d'Amiens. Dans un arrêt en date du 11 mars 2002, cette dernière a statué dans le même sens que la cour d'appel de Douai par des motifs en opposition avec la doctrine de la Cour de cassation. Saisie du nouveau pourvoi formé par M. Grymonprez, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a décidé du renvoi de l'affaire devant l'Assemblée plénière. Cette dernière vient de rendre sa décision, objet de nos observations (Ass. plén., 24 juin 2005, n° 03-30.038, M. Jean-Claude Grymonprez c/ Société Norgraine, publié N° Lexbase : A8502DIQ). Comme l'avait été l'arrêt de la cour de Douai, l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens est censuré. |
Solution
1. Cassation avec renvoi. 2."[...] en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat [...] ; le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable [...] ; lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; [...] il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié, mais [...] il suffit qu'elle en soit la cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage". 3."[...] la faute de la victime n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de la responsabilité qu'il encourt en raison de sa faute inexcusable ; [...] seule une faute inexcusable de la victime, au sens de l'article L. 453-1 du Code de la Sécurité sociale, peut permettre de réduire la majoration de sa rente ; [...] présente un tel caractère la faute volontaire de la victime d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience". |
Commentaire
La loi du 9 avril 1898 demeure le texte fondateur du régime de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles. En particulier, le compromis qu'elle comportait reste d'actualité : en contrepartie d'une indemnisation facilitée, la victime ne peut en principe prétendre qu'à une indemnisation forfaitaire. Cependant, dès 1898, l'hypothèse d'une faute inexcusable de l'employeur est envisagée. Si l'employeur a commis une telle faute, l'indemnisation peut être complétée. Le régime de la faute inexcusable de l'employeur a connu de profonds changements jurisprudentiels à partir de 2002. La décision de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation en date du 24 juin 2005 est l'occasion de faire le point sur ces changements (1). Cependant, cette décision a également la particularité de porter sur la faute inexcusable qui peut être reprochée à la victime de l'accident du travail, faute qui n'est pas retenue par l'Assemblée plénière en l'espèce, mais qui peut parfois être lourde de conséquences (2). Saisissant l'opportunité de décisions des juges du fond contraires à sa nouvelle doctrine, l'Assemblée plénière réaffirme cette dernière sur les deux aspects. 1. La faute inexcusable de l'employeur Au risque de se répéter, on rappellera rapidement que depuis 2002 (Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-10.051, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Grenoble c/ Société Ascométal, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0806AYI, 29 espèces), la Cour de cassation retient qu'en vertu du contrat de travail qui le lie à son salarié, l'employeur est tenu envers ce dernier d'une obligation de sécurité de résultat. Mais, l'élément essentiel de cette jurisprudence réside indéniablement dans le fait que la Cour de cassation a précisé que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5300ADN) lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Enoncée à propos des maladies professionnelles, cette jurisprudence a été rapidement étendue aux accidents du travail dans leur ensemble (v., notamment, Cass. soc., 11 avril 2002, n° 00-16.535, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4836AYR). Cette avancée jurisprudentielle a été remarquée et comporte de nombreuses conséquences. Parmi ces dernières, celle qui découle de l'article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale est d'une grande importance en ce qui concerne l'indemnisation de la victime d'un accident du travail. En effet, on le sait, depuis la loi du 9 avril 1898, le régime d'indemnisation des victimes d'accidents du travail repose sur un compromis. La victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut obtenir une indemnisation sans avoir à prouver la faute de l'employeur, mais elle n'obtient, en principe, qu'une indemnisation forfaitaire. Cependant, le Code de la Sécurité sociale prévoit diverses exceptions à ce caractère forfaitaire de l'indemnisation. En particulier, l'article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale dispose qu'en cas de faute inexcusable de l'employeur, ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire. La définition de la faute inexcusable de l'employeur n'en revêtait que plus d'importance et quelques hésitations ont d'ailleurs pu surgir quant aux éléments de définition de cette faute. La Cour de cassation a peu à peu précisé ces éléments et on peut considérer que la définition de la faute inexcusable de l'employeur est désormais bien établie. Cet élément ayant pu faire l'objet de débats, on relèvera simplement que l'Assemblée plénière prend le soin de rappeler, à la fin de son attendu de principe relatif à la faute inexcusable de l'employeur, qu'il est indifférent que cette faute ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié, mais qu'il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage. En réalité, l'Assemblée plénière ne fait ici que réaffirmer solennellement la position qu'elle a adoptée dès octobre 2002 en ce qui concerne le caractère déterminant ou non de la faute de l'employeur : cette dernière n'a pas à avoir été déterminante de l'accident (Cass. soc., 31 octobre 2002, n° 00-18.359, Société Ouest Concassage c/ Mme Gilette Parvedy, épouse Latchoumanin, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4141A3R. Notons qu'en l'espèce, la cour d'appel avait écarté la faute inexcusable de l'employeur en retenant que la négligence, l'imprudence et l'inattention de la victime avaient été la cause déterminante de l'accident et qu'aucun manquement de l'employeur n'était démontré. Ce raisonnement est logiquement écarté par l'Assemblée plénière qui ne retient que la conscience du danger qu'aurait dû avoir l'employeur en raison de la présence d'une ligne électrique et l'absence de mesures de prévention. Il convient, cependant, de remarquer que si, à lui seul, le concours d'autres fautes que celle de l'employeur à la réalisation du dommage ne permet pas d'écarter la qualification de faute inexcusable de l'employeur, l'existence d'une faute inexcusable de la victime de l'accident peut emporter certaines conséquences. 2. La faute inexcusable de la victime En l'espèce, et tout au long de la procédure afférente, l'accent a souvent été mis sur le comportement de la victime de l'accident. Ainsi, dans sa décision, la cour d'appel d'Amiens motivait le rejet de la demande de majoration de rente formulée par M. Grymonprez en considérant que la cause déterminante de l'accident se trouvait dans la faute de négligence, d'imprudence et d'inattention de ce dernier. Mais, on sait que l'article L. 453-1 du Code de la Sécurité sociale, en son alinéa 2 (N° Lexbase : L4468ADT), prévoit que la rente de la victime peut être minorée si l'accident est dû à une faute inexcusable de cette dernière. Ainsi, seule la qualification de faute inexcusable peut permettre une réduction de la rente. On relèvera, cependant, que l'articulation des dispositions de l'article L. 453-1 avec celles de l'article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale n'est pas des plus aisées en cas de concours de fautes inexcusables de l'employeur et de la victime. Pourtant, après quelques hésitations, la Cour de cassation a fixé sa jurisprudence relative au concours de fautes inexcusables. Ainsi, elle considère que la majoration de rente prévue lorsque l'accident du travail est dû à la faute inexcusable de l'employeur ne peut être réduite en fonction de la gravité de cette faute, mais seulement lorsque le salarié victime a lui-même commis une faute inexcusable (v., notamment, Cass. soc., 19 décembre 2002, n° 01-20.447, Mme Pascaline Hervé c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Angers, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4913A4Q). Là encore, notre espèce est l'occasion pour l'Assemblée plénière de réaffirmer la jurisprudence qu'elle construit depuis 2002. Très clairement, l'Assemblée plénière rappelle, dans un attendu de principe, que la faute de la victime n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de la responsabilité qu'il encourt en raison de sa faute inexcusable. Seule une faute inexcusable de la victime peut permettre de réduire la majoration de rente octroyée en raison de la faute inexcusable de l'employeur. On remarquera qu'il n'est pas question d'une suppression totale de la majoration de rente, mais d'une réduction de cette dernière. L'Assemblée plénière rejette fermement les décisions des juges du fond sur ce point en mentionnant que les motifs retenus par eux étaient impropres à exonérer l'employeur de sa responsabilité (on peut remarquer que l'article L. 453-1 du Code de la Sécurité sociale prévoit, en revanche, une exonération en cas de faute intentionnelle de la victime). Ainsi, si la faute inexcusable de la victime peut avoir des conséquences, ces dernières sont limitées. Cependant, encore faut-il s'entendre sur la définition de la faute inexcusable de la victime de l'accident du travail. L'Assemblée plénière profite également de l'occasion qui lui est donnée de réaffirmer sa jurisprudence en la matière. Avant que la faute inexcusable ne voie son rôle se développer après la reconnaissance jurisprudentielle de l'obligation de sécurité, la jurisprudence a pendant longtemps retenu des définitions identiques pour les fautes de l'employeur et de la victime. Une fois l'obligation de sécurité consacrée, d'aucuns ont pu émettre l'hypothèse que la définition de la faute inexcusable de la victime devait rester la même que celle de la faute de l'employeur. Mais, la jurisprudence a rapidement retenu une définition de la faute inexcusable de la victime plus restrictive, refusant de transposer la nouvelle définition de la faute inexcusable de l'employeur à celle de la victime de l'accident. Pour n'évoquer que le dernier état de la jurisprudence, il convient de rappeler que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation caractérise la faute inexcusable de la victime comme étant une faute volontaire d'une exceptionnelle gravité exposant, sans raison valable, son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience (v., notamment, Cass. civ. 2, 27 janvier 2004, n° 02-30.693, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8868DAP, lire Stéphanie Martin-Cuenot, Les éléments constitutifs de la faute inexcusable du salarié, Lexbase Hebdo n° 106 du 5 février 2004 - édition sociale N° Lexbase : N0409ABR). Dans l'arrêt commenté, l'Assemblée plénière réaffirme mot pour mot cette définition restrictive de la faute inexcusable de la victime. Il convient d'ailleurs de remarquer le soin apporté par les magistrats dans la distinction des deux définitions de la faute inexcusable, selon que celle-ci est commise par l'employeur ou par le salarié victime de l'accident. En effet, la décision envisage successivement la faute inexcusable de l'employeur "au sens de l'article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale" puis, la faute inexcusable de la victime "au sens de l'article L. 453-1 du Code de la Sécurité sociale". En l'espèce, l'Assemblée plénière considère logiquement que la victime n'avait en aucune façon commis une faute pouvant revêtir la qualification d'inexcusable. Ainsi, en l'absence de faute inexcusable de la victime, les juges du fond ne pouvaient rejeter la demande de majoration de rente qu'elle avait formulée. |