Débouté par la cour d'appel saisie du litige, le salarié avait alors formé un pourvoi en cassation. Au soutien de celui-ci, le salarié arguait qu'en présence d'une unité économique et sociale comprenant une personne morale au sein de laquelle existe un statut social collectif plus favorable aux salariés que les dispositions applicables au sein des autres personnes morales composant cette unité, ce statut s'applique, sans distinction, à tous les salariés de l'unité économique et sociale (UES). Par suite, en décidant que le statut collectif de la société des Hôtels Concorde ne s'appliquait pas aux salariés de la société Restaurants du Palais des Congrès, au motif erroné selon lequel l'existence d'une unité économique et sociale n'entraîne pas l'application automatique d'un accord collectif d'une des sociétés sur l'autre, la cour d'appel aurait violé la loi.
Quoique cette argumentation ne fût pas dénuée de tout fondement, la Cour de cassation a refusé d'en tenir compte et a rejeté le pourvoi, pour le motif évoqué ci-dessus. Aux termes d'une solution qui doit être pleinement approuvée, la Chambre sociale paraît admettre la négociation collective au niveau de l'UES. Elle se prononce en tout état de cause sur les conséquences de l'absence d'accords collectifs communs aux différentes sociétés composant l'UES.
1. La négociation collective au sein d'une UES
Antérieurement à l'arrêt commenté, la Cour de cassation ne s'était pas véritablement prononcée sur la négociation au sein d'une UES. Pourtant, la loi elle-même vise expressément une telle négociation. Ainsi, le dernier alinéa de l'article L. 442-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6498ACN) envisage la possibilité de conclure un accord de participation au niveau d'une UES. Bien qu'étant consacrée à des accords d'un type particulier, cette disposition pouvait laisser à penser qu'il y avait place pour une négociation collective menée au niveau d'une UES. D'autres arguments en sa faveur pouvaient évidemment être présentés tels que, par exemple, le droit pour les syndicats représentatifs de désigner un délégué syndical au niveau de l'UES, ou la liberté des partenaires sociaux quant au choix du niveau de négociation. En outre, ce sentiment a été conforté par la décision de la Chambre sociale du 30 avril 2003 précédemment évoquée. En effet, la Cour de cassation ayant consacré les accords collectifs de groupe, on pouvait légitimement penser qu'il en serait de même pour les accords collectifs conclus au niveau d'une UES. Force est de constater que l'arrêt commenté apporte sur le sujet une forme de confirmation. Mais, si l'on considère que la décision commentée admet la validité des "accords collectifs d'UES", deux questions fondamentales doivent être immédiatement posées (2), bien qu'elles soient en partie résolues par l'arrêt.
La première question consiste à se demander quel régime juridique doit suivre la négociation au sein d'une UES. La réponse nous paraît découler de l'objet même de cette dernière institution. On sait, en effet, que l'UES vise à transcender la division d'une entreprise en sociétés juridiquement distinctes et donc à reconstituer celle-ci. En d'autres termes, "la démarche consiste à rechercher si, sous le voile de personnalités juridiques distinctes, se cache une seule et même entreprise, que l'on appelle l'unité économique et sociale" (A. Mazeaud, Droit du travail, Montchrestien, 3ème éd., §. 99). En conséquence, c'est le régime de la négociation d'entreprise qui paraît devoir être appliqué (V. en ce sens, M.-L Morin, art. préc., p. 748).
Par suite, la négociation devra être menée avec le ou les délégués syndicaux désignés au niveau de l'UES afin, précisément, d'avoir une approche globale de la situation de cette entreprise. Bien évidemment, la représentativité devra, pour les syndicats ne bénéficiant pas de la présomption, être rapportée au niveau de l'UES toute entière et non au niveau d'une des sociétés la composant.
S'agissant de la partie patronale, la négociation ne pourra pas être menée par la direction unique, en raison de l'absence de personnalité morale de l'UES. La négociation devra donc être conduite avec un représentant de chacune des sociétés constituant l'UES. Telle paraît d'ailleurs être la solution retenue par l'arrêt commenté qui vise des accords collectifs "communs aux différentes sociétés composant l'unité économique et sociale".
Surtout, cette précision apporte une réponse à la seconde question, consistant à se demander si, en présence d'une UES, toutes les sociétés composant l'UES doivent participer à la négociation. Une réponse affirmative ne paraît faire aucun doute. Elle découle, en outre, du fait que l'UES constitue une entreprise, ce qui implique que les salariés qui la composent ont des intérêts communs et bénéficient d'un statut collectif identique.
Cette dernière assertion peut d'ailleurs expliquer la raison pour laquelle le demandeur au pourvoi soutenait que le statut social collectif plus favorable, applicable aux salariés d'une des sociétés constituant l'UES, devait être appliqué, sans distinction, à tous les salariés de l'UES. Une telle argumentation ne pouvait toutefois pas prospérer et on approuvera la Cour de cassation de l'avoir rejetée.
2. Les conséquences de l'absence "d'accord collectif d'UES"
Les sociétés qui constituent une UES ne sont pas nécessairement toutes soumises à la même convention collective, même si l'unité de statut collectif est un indice de l'UES (M.-L. Morin, art. préc., p. 748). Cela tient au fait que toutes ces sociétés n'ont pas forcément la même situation géographique, ni les mêmes activités. Or, on sait qu'il s'agit là des deux principaux critères qui permettent de déterminer l'applicabilité d'une convention ou d'un accord collectif (3). En outre, et telle était la situation en l'espèce, il peut exister, dans certaines des entités composant l'UES, des accords collectifs d'entreprise (4).
Ainsi que le souligne la Cour de cassation dans la présente espèce, les accords propres à chacune des sociétés composant l'UES conservent leurs champs d'application respectifs. Cette solution doit être pleinement approuvée, dans la mesure où elle est conforme aux règles qui président à l'application d'une convention ou d'un accord collectif de travail. De ce point de vue, l'arrêt commenté se rapproche d'une décision antérieure de la Chambre sociale dans laquelle celle-ci a admis que la négociation collective au sein d'un établissement distinct permet d'établir, par voie d'accord collectif, des différences de traitement entre les salariés de la même entreprise. La Cour de cassation souligne, en conséquence, que des salariés qui n'entrent pas dans le champ d'application d'un accord d'établissement ne peuvent faire état d'une discrimination au motif qu'ils ne bénéficient pas des dispositions de cet accord (Cass. soc., 27 octobre 1999, n° 98-40.769, Electricité de France c/ M Chaize et autres N° Lexbase : A4844AGI Dr. soc. 2000, p. 185, note G. Couturier).
On mesure les similitudes existant entre cette décision et l'arrêt commenté. Pas plus qu'il ne saurait se prévaloir d'un accord collectif signé dans un autre établissement que celui qui l'emploie, un salarié ne saurait revendiquer le bénéfice d'une convention ou d'un accord applicable dans une société appartenant à la même UES que la société dans laquelle il travaille.
Cela étant, la lecture de l'arrêt du 2 décembre 2003 suscite une importante question. En effet, on peut comprendre que la Cour de cassation a entendu signifier que les accords propres à chaque société composant l'UES conservent leurs champs d'application respectifs, tant que des accords collectifs communs aux différentes sociétés composant l'UES n'ont pas été signés. On ne voit pas comment un accord signé au niveau de l'UES pourrait faire perdre aux actes collectifs propres à chaque société leurs champs d'application respectifs, sauf peut-être à ce que l'accord collectif d'UES prévoie l'application du statut collectif applicable dans l'une des entités à toutes les autres. Au-delà de cette hypothèse particulière, il nous semble que les accords propres aux sociétés de l'UES devront être appliqués en même temps que les accords communs à toutes ces sociétés. On sera alors en présence d'un conflit de normes également applicables, dont on sait qu'il a vocation à être réglé par l'application de la disposition la plus favorable.
En définitive, cet important arrêt du 2 décembre 2003 constitue une nouvelle pierre à la patiente construction jurisprudentielle de la Cour de cassation relative à la négociation collective dans les entreprises à structures complexes. Gageons que d'autres décisions seront rendues, eu égard aux nombreuses et importantes questions qui restent encore en suspend.
Gilles Auzero
Maître de conférences à l'Université Montesquieu Bordeaux IV
(1) Cass. soc., 30 avril 2003, n° 01-10.027, Fédération des employés et cadres CGT-Force ouvrière c/ Société Axa France assurances, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7524BSH), Lexbase Hebdo n° 71 du jeudi 15 mai 2003, Edition sociale, avec nos obs. (N° Lexbase : N7327AAM) ; V., aussi, M.-L. Morin, Les accords collectifs de groupe, RJS 10/03, p. 743.
(2) Ces deux questions ont été soulevées par Madame Marie-Laure Morin dans sa chronique précitée. Il convient de noter que cet auteur est, par ailleurs, conseiller à la Cour de cassation...
(3) Rappelons que selon le premier alinéa de l'article L. 132-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5684ACI), "les conventions et accords collectifs de travail déterminent leur champ d'application territorial et professionnel (...)".
(4) Il en ira surtout ainsi lorsque, antérieurement à la constitution de l'UES, des accords collectifs auront été signés dans les sociétés en cause. Postérieurement à celle-ci, une telle éventualité paraît moindre, étant entendu que dès lors que l'UES résulte d'une unité sociale, les thèmes de négociation devraient en général être communs à l'ensemble du personnel de cette entreprise et donc être traités à ce niveau. En outre, les délégués syndicaux seront désignés à ce même niveau.