Cass. soc., 16-12-1998, n° 97-45.921, inédit au bulletin, Cassation partielle



ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION

Chambre Sociale

16 Decembre 1998

Pourvoi N° 97-45.921

M. Jean-Yves ...

contre

compagnie nationale Air France, société anonyme

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant

Sur le pourvoi formé par M. Jean-Yves ..., demeurant chez en cassation d'un arrêt rendu le 5 novembre 1997 par la cour d'appel de Paris (18e chambre, section A), au profit de la compagnie nationale Air France, société anonyme, dont le siège est 1, square défenderesse à la cassation ;

LA COUR, en l'audience publique du 4 novembre 1998, où étaient présents M. Boubli, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, Mlle Barberot, conseiller référendaire rapporteur, MM. ..., ..., conseillers, Mme Andrich, conseiller référendaire, M. Lyon-Caen, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mlle Barberot, conseiller référendaire, les observations de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat de M. ..., de Me ..., avocat de la compagnie nationale Air France, les conclusions de M. Lyon-Caen, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu que M. ..., agent de maîtrise des services commerciaux à la Direction du fret de Villepinte (93) de la compagnie nationale Air France et conseiller prud'homme à Bobigny, a été muté, sur sa demande, à Bombay à compter du 1er mai 1991 en qualité de chef du fret ; que, relevé de ses fonctions pour des motifs énoncés comme des insuffisances professionnelles, il a été "rapatrié" à Villepinte le 30 décembre 1991 ; que son mandat de conseiller prud'homme s'est achevé après les élections du 9 décembre 1992 ; qu'il a été élu, depuis, délégué du personnel et désigné en tant que délégué syndical dans l'établissement de Villepinte ; que le salarié ayant saisi, le 4 avril 1986, la juridiction prud'homale statuant au fond de demandes de rappel de salaires, de reclassement au 1er janvier 1983 et de dommages-intérêts, l'affaire est venue à l'audience de la cour d'appel de Paris le 6 janvier 1993 qui a statué sur ces demandes par arrêt du 10 mars 1993 ; que le salarié ayant saisi la juridiction prud'homale en référé, le 10 février 1992, pour obtenir sa "réintégration dans son contrat d'expatriement" à Bombay en se prévalant de la protection de l'article L 514-2 du Code du travail, la cour d'appel de Paris, par arrêt du 24 novembre 1993, n'a pas fait droit à cette demande ; que cet arrêt a été cassé par arrêt de la Cour de Cassation du 4 octobre 1995 ; que, sur renvoi après cassation, la cour d'appel de Paris, par arrêt du 6 mai 1997, statuant en référé, a ordonné la réintégration du salarié dans ses fonctions de chef du fret à Bombay sous astreinte ; que le pourvoi formé par l'employeur contre cet arrêt a été rejeté par arrêt rendu ce jour par la Cour de Cassation ; que le 9 novembre 1993, le salarié avait saisi la juridiction prud'homale au fond de demandes en paiement de salaires, de dommages-intérêts et en réintégration dans son poste de chef du fret à Bombay ;

Sur le premier moyen Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevables les demandes procédant de son rapatriement de Bombay à Paris à compter du 18 décembre 1991, alors, selon le moyen, qu'il résulte de l'article R 516-1 du Code du travail que toutes les demandes dérivant d'un même contrat de travail entre les mêmes parties doivent faire l'objet d'une seule instance, à moins que le fondement des prétentions ne soit né ou ne se soit révélé que postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes ; que cette saisine ne peut s'entendre que de l'acte introductif d'instance et non de l'instance prud'homale en son ensemble ; qu'en faisant application de ces dispositions en l'espèce, dès lors que le fondement de la demande de M. ... était né avant l'audience de la cour d'appel du 6 janvier 1993, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ; alors, au demeurant qu'en admettant que ce principe, de portée dérogatoire aux règles du droit commun, relatif aux demandes dérivant du contrat de travail, pût trouver application lorsque le fondement du litige est apparu avant que la cour d'appel eût statué sur un premier litige prud'homal, ces dispositions ne sauraient, en toute hypothèse, trouver application dans un litige né de la violation d'une règle d'ordre public relative à la protection des conseillers prud'hommes ; que, de ce chef, la cour d'appel a violé les articles L 514-2 et L 412-18 du Code du travail ;

Mais attendu, d'abord, que les demandes fondées sur le statut de salarié protégé dérivent du contrat de travail au sens de l'article R 516-1 du Code du travail ;

Attendu, ensuite, que la cour d'appel, qui a relevé que les causes du deuxième litige au fond étaient connues avant l'extinction de la première instance au fond et que l'intéressé avait eu la possibilité de former une demande nouvelle devant la cour d'appel saisie de la première affaire, en a exactement déduit que l'employeur était fondé à opposer au salarié le principe de l'unicité de l'instance ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ; Mais sur le second moyen

Vu l'article L 514-2 du Code du travail ;

Attendu qu'une modification de son contrat de travail ou un changement de ses conditions de travail imposés à un salarié protégé en violation du statut protecteur ouvre droit pour ce salarié à sa réintégration dans son poste ; que ce n'est qu'au cas où il existe une impossibilité absolue de réintégration dans le même poste que l'employeur peut réintégrer le salarié dans un poste équivalent ;

Attendu que, pour débouter le salarié de ses demandes procédant de sa réintégration, postérieure à l'arrêt de référé du 6 mai 1997, dans un emploi différent du sien, l'arrêt attaqué retient qu'il n'a pas été réintégré dans son poste de chef du fret à Bombay, mais dans celui de délégué fret à Bombay qui comporte des attributions de mêmes nature que le poste précédemment occupé ; que la réintégration a ainsi permis de faire cesser la voie de fait sanctionnée par la cour d'appel de Paris le 6 mai 1997 ;

Qu'en statuant ainsi, sans caractériser l'impossibilité absolue de réintégration dans le poste occupé antérieurement, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS

CASSE ET ANNULE, mais uniquement en ce qu'il a débouté le salarié de ses demandes procédant de la réintégration en suite de l'arrêt du 16 mai 1997, l'arrêt rendu le 5 novembre 1997, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt, et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Laisse à chaque partie la charge respective de ses dépens ;

demande de la compagnie nationale Air France et celle de M. ... ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize décembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.