Décision
Cass. soc., 25 mai 2005, n° 02-44.468, Mme Véronique Riou, épouse Robino c/ Mme Annie Haucourt-Vannier, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3955DIC) Cassation partielle (CA Versailles, 6ème chambre sociale, 9 avril 2002) Texte visé : C. trav., art. L. 324-11-1 (N° Lexbase : L6212AC3) Mots-clefs : travail dissimulé ; indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 324-11-1 du Code du travail ; cumul avec les indemnités de rupture plus favorable (oui) Lien bases : |
Faits
1. Mise à la disposition d'une société en qualité de secrétaire pour effectuer différentes missions d'intérim, une salariée a ensuite été engagée par un contrat à durée déterminée avant, finalement, de conclure un contrat à durée indéterminée avec la même société. La salariée a alors saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir la requalification des contrats de travail temporaire en un contrat à durée indéterminée, ainsi que la condamnation de la société au paiement de diverses indemnités de rupture. 2. Pour fixer la créance de la salariée au passif de la société à la somme de 7 134,61 euros, l'arrêt attaqué a retenu que l'indemnité prévue à l'article L. 324-11-1 du Code du travail se confondait avec les autres sommes allouées en application des dispositions légales ou conventionnelles, ce qui comprenait l'indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité de congés payés sur préavis et l'indemnité conventionnelle de licenciement. |
Problème juridique
L'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 324-11-1 du Code du travail en cas de travail dissimulé peut-elle se cumuler avec les indemnités de rupture du contrat de travail ? |
Solution
1. Cassation pour violation de l'article L. 324-11-1 du Code du travail. 2. "L'indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire prévue par l'article L. 324-11-1 du Code du travail en cas de travail dissimulé peut se cumuler avec l'indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité de congés payés sur préavis et l'indemnité conventionnelle de licenciement". |
Observations
1. L'obscurité du texte de loi
Aux termes de l'article L. 324-11-1 du Code du travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en violation des dispositions prohibant le travail dissimulé "a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire, à moins que l'application d'autres règles légales ou de stipulations conventionnelles ne conduise à une solution plus favorable". Une telle formulation, particulièrement ambiguë, ne pouvait manquer de susciter une importante difficulté relative au fait de savoir si l'indemnité forfaitaire de 6 mois de salaire prévue par ce texte pouvait se cumuler avec les indemnités de rupture du contrat de travail. La réponse à cette question impliquait que soit déterminé le préjudice que le législateur avait entendu réparer en instituant l'indemnité de l'article L. 324-11-1. En effet, soit cette indemnité visait à réparer le préjudice causé par la rupture de la relation de travail et le cumul n'était pas possible, soit elle tendait uniquement à réparer la dissimulation d'emploi et rien ne s'opposait, alors, à ce que le salarié la perçoive, en sus des indemnités de rupture du contrat de travail.
Compte tenu de l'obscurité de l'article L. 324-11-1 du Code du travail, il n'était pas déraisonnable d'avancer que l'indemnité prévue par ce dernier article visait à réparer le préjudice résultant de la rupture de la relation de travail. Une telle analyse pouvait trouver quelque appui dans le parallèle entre la disposition en cause et l'article L. 341-6-1, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L6228ACN), concernant la rupture de la relation de travail en cas d'emploi irrégulier d'un étranger (v., en ce sens ; F. Duquesne, Dr. soc. 2002, p. 1146 et Th. Aubert-Monpeyssen, JCP E 2003, p. 477). Ces textes, qui concernent tous deux le travail illégal, se caractérisent, en effet, par une rédaction voisine. Toutefois, l'article L. 341-6-1, alinéa 2, précise les indemnités légales à mettre en balance avec l'indemnité qu'il instaure. Il s'agit, en matière de contrat à durée déterminée, de l'indemnité de précarité et de l'indemnité pour rupture anticipée et, en matière de contrat à durée indéterminée, de l'indemnité de préavis et de l'indemnité de licenciement ou, le cas échéant, des "stipulations contractuelles correspondantes". Par suite, et ainsi que l'indique un auteur, "ces précisions indiquent clairement que l'objet de l'indemnité prévue par l'article L. 341-6-1, alinéa 2, est de réparer le préjudice causé par la rupture de la relation de travail du salarié étranger irrégulièrement employé" (Th. Aubert -Monpeyssen, op. cit., p. 477). Sur le fondement d'un raisonnement par analogie, il pouvait, dès lors, être avancé que l'indemnité prévue par l'article L. 324-11-1 du Code du travail constitue, également, une indemnité de rupture. En conséquence, celle-ci ne pouvait en aucune façon se cumuler avec les indemnités de rupture du contrat de travail. Tel allait, d'ailleurs, être le choix opéré par la Cour de cassation dans un premier temps. 2. Le choix opéré par la Cour de cassation
Dans un important arrêt en date du 15 octobre 2002, la Cour de cassation décidait que l'indemnité instituée par l'article L. 324-11-1 du Code du travail "ne se cumule pas avec les autres indemnités auxquelles le salarié pourrait prétendre au titre de la rupture de son contrat de travail, seule l'indemnisation la plus favorable devant lui être accordée" (Cass. soc., 15 octobre 2002, n° 00-45.082, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2557A34, Dr. soc. 2002, p. 1145, obs. F. Duquesne, JCP E 200.3, p. 475, note Th. Aubert-Monpeyssen ; adde notre chronique, Travail dissimulé : le criminel ne tient pas toujours le civil en l'état..., Lexbase Hebdo n° 45 du 31 octobre 2002 - édition sociale N° Lexbase : N4537AAB). Une telle solution, qui pouvait être approuvée pour les raisons évoquées précédemment, démontrait ainsi que, pour la Cour de cassation, l'indemnité forfaitaire de l'article L. 324-11-1 du Code du travail devait être assimilée à une indemnité de rupture et ne visait pas à sanctionner la méconnaissance par l'employeur des dispositions interdisant le recours au travail dissimulé. Tel était d'ailleurs le reproche que l'on pouvait adresser à la solution retenue : l'employeur se rendant coupable de dissimulation d'emploi n'était pas civilement sanctionné de ce chef. Partant, on peut comprendre et approuver la solution retenue par la Cour de cassation dans cet arrêt du 25 mai 2005 qui constitue, ainsi que nous l'avons relevé d'emblée, un revirement de jurisprudence. Selon la Chambre sociale, en effet, "l'indemnité forfaitaire de six mois de salaire prévue par l'article L. 324-11-1 du Code du travail en cas de travail dissimulé peut se cumuler avec l'indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité de congés payés sur préavis et l'indemnité conventionnelle de licenciement".
Si revirement il y a, la portée de celui-ci peut cependant donner lieu à quelques interrogations. On peut, en effet, s'étonner que la Cour de cassation ait choisi de procéder à une énumération des indemnités de rupture auxquelles peut prétendre le salarié en sus de l'indemnité forfaitaire de l'article L. 324-11-1. Pour faire contrepoids à sa jurisprudence antérieure, la Chambre sociale aurait tout aussi bien pu affirmer que "l'indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire prévue par l'article L. 324-11-1 du Code du travail peut se cumuler avec les autres indemnités auxquelles peut prétendre le salarié au titre de la rupture de son contrat de travail". Une telle formulation n'ayant pas été retenue, il convient de se demander si la solution retenue dans l'arrêt commentée ne vaut que pour les indemnités expressément visées. Quid alors de l'indemnité légale de licenciement ou de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ? Il est difficile de prendre ici position de manière certaine. Mais, si l'on admet que l'indemnité forfaitaire ne répare que le préjudice consécutif à la dissimulation d'emploi, elle doit pouvoir se cumuler avec toutes les indemnités réparant la perte de l'emploi.
Gilles Auzero (1) Ce même auteur fait, en outre, observer qu'une telle solution se justifie par le fait que cette relation est le plus souvent brève ou que la preuve de sa durée est parfois difficile à apporter du fait de l'illégalité de la situation de précarité du travailleur. L'article L. 341-6-1, alinéa 2, permet alors d'octroyer une indemnisation minimale à ces travailleurs qui risqueraient, sans cela, d'en être totalement privés. (2) Solution confirmée par la suite : Cass. soc., 24 septembre 2003, n° 01-43.644, M. Bernard Khalkhal c/ Société Les Bergeries de Ponderach, F-D (N° Lexbase : A6295C9Z) ; Cass. soc., 6 juillet 2004, n° 02-42.504, AGS c/ M. Joaquim Craveiro, publié (N° Lexbase : A0390DDS). |