[Jurisprudence] La Cour de cassation consacre le droit à réintégration de la femme enceinte illégalement licenciée

par Sonia Koleck-Desautel, Docteur en droit, Chargée d'enseignement à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Dans un important arrêt rendu le 30 avril 2003, qui a fait l'objet d'une publicité maximale (arrêt P+B+R+I), la Chambre sociale de la Cour de cassation consacre enfin expressément la règle essentielle selon laquelle, lorsque le licenciement d'une salariée enceinte est annulé, la salariée a droit à réintégration dans son emploi ou, à défaut, dans un emploi équivalent.

Dans cette affaire, une salariée embauchée en qualité d'intervenant pour assurer une mission d'enseignement par quatre contrats de travail à durée déterminée successifs, est informée par son employeur de son intention de transformer sa relation de travail en contrat à durée indéterminée. Quelques jours après, la salariée informe l'employeur de son état de grossesse. La salariée est licenciée moins de trois mois après en raison du constat de désaccord sur les nouvelles conditions de rémunération formulées par l'employeur. La salariée saisit alors la juridiction prud'homale d'une demande notamment de requalification de ses contrats de travail en durée indéterminée et de son licenciement nul pour être intervenu en violation des dispositions relatives à la protection de la maternité, ainsi que d'une demande de réintégration.

La cour d'appel de Versailles, décidant que la salariée était en droit de bénéficier de la protection prévue à l'article L. 122-25-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5495ACI) et qu'en conséquence, le licenciement de la salariée devait être déclaré nul, énonce toutefois qu'aucune obligation de réintégration par l'employeur n'est attachée à un licenciement nul et que l'opposition des parties sur le montant de la rémunération ne permet pas de l'ordonner.

A la suite du pourvoi formé par la salariée, la Cour de cassation, au visa de l'article L. 122-25-2 du Code du travail, casse l'arrêt de la cour d'appel en énonçant que "lorsque le licenciement est nul, le salarié a droit à réintégration dans son emploi ou, à défaut, dans un emploi équivalent". Il en résulte, selon elle, qu'en cas de licenciement d'une salariée en état de grossesse, nul en application du texte susvisé, "sa réintégration doit être ordonnée si elle le demande".

L'employeur ne peut pas, en principe, licencier une salariée pendant la période d'état de grossesse médicalement constaté jusqu'à la date de suspension, ainsi que pendant le congé maternité et pendant les quatre semaines qui suivent l'expiration de ce congé. Toutefois, par exception, l'employeur peut licencier la salariée s'il justifie, soit d'une faute grave de celle-ci, soit de l'impossibilité dans laquelle il se trouve, pour un motif étranger à la grossesse, de maintenir le contrat (L. 122-25-2, al. 1 du Code du travail). Aucun licenciement ne peut toutefois prendre effet ou être signifié pendant la période du congé de maternité (L. 122-27 du Code du travail N° Lexbase : L5493ACG).

Lorsque le licenciement de la salariée est prononcé en violation de ces règles protectrices, la salariée peut obtenir en justice l'annulation de son licenciement (L. 122-25-2 N° Lexbase : L5495ACI et L. 122-30 du Code du travail N° Lexbase : L5515ACA). Si le principe de l'annulation du licenciement ne prête pas à discussion, en revanche, la question des effets de l'annulation a suscité de nombreuses interrogations, parmi lesquelles celle relative à la réintégration de la salariée. En effet, à la lettre, l'article L. 122-30 du Code du travail n'attache pas à la nullité du licenciement une obligation de réintégration. Le texte prévoit en effet que la salariée peut obtenir, outre l'indemnité de licenciement, des dommages-intérêts qui sanctionnent la violation des dispositions du statut protecteur de la salariée enceinte, ainsi que les salaires qui auraient été perçus pendant la période couverte par la nullité.

Malgré les critiques de la doctrine, les juges ont pendant longtemps décidé que l'employeur ne pouvait pas, par conséquent, être condamné à réintégrer la salariée illégalement licenciée (Cass. soc., 19 novembre 1996, n° 93-40.509, Mme Nathalie Brayet c/ Société Technique française du nettoyage, société anonyme, inédit N° Lexbase : A1916ABL) ; la nullité du licenciement se traduisait seulement par l'octroi des indemnités de rupture et des dommages-intérêts. Ce n'est que récemment que la Cour de cassation a implicitement décidé qu'une salariée dont le licenciement a été annulé pour avoir été prononcé pendant la période de protection de la maternité, peut demander sa réintégration au lieu de demander des dommages-intérêts (Cass. soc., 9 octobre 2001, n° 99-44.353, Mme Cécile Hille c/ société SVP Service, publié N° Lexbase : A2229AWH ; Cass. soc., 17 décembre 2002, n° 00-44.660, Association Zig Zag c/ Mme Sandrine Moreau, publié N° Lexbase : A4963A4L). Ces arrêts énoncent en effet que "le salarié dont le licenciement est nul et qui ne demande pas sa réintégration a droit, d'une part, aux indemnités de rupture, d'autre part, à une indemnité réparant intégralement le préjudice résultant du caractère illicite du licenciement, dont le montant est souverainement apprécié par les juges du fond dès lors qu'il est au moins égal à celui prévu par l'article L. 122-14-4 du Code du travail" (c'est-à-dire six mois de salaires). Pour autant, ces arrêts n'avaient jamais, jusqu'à présent, expressément consacré le droit à réintégration de la salariée enceinte dont le licenciement avait été annulé.

C'est désormais chose faite. L'arrêt rendu le 30 avril dernier ne laisse place à aucune équivoque. Il ne fait désormais plus de doute que la salariée enceinte illégalement licenciée et dont le licenciement est annulé, a le droit d'être réintégrée soit dans son emploi, soit dans un emploi équivalent (à cet égard, on retrouve la formule en vigueur relative au retour du congé de maternité ou du congé parental d'éducation), dès lors qu'elle en fait la demande ; ni l'employeur ni les juges ne peuvent s'opposer à une telle demande.

Cette décision, attendue, mérite d'être pleinement approuvée. En effet, d'une part, la réintégration dans l'emploi est la conséquence logique de la nullité du licenciement. De plus, les effets de l'annulation sont désormais clairement unifiés, quelle que soit la cause de l'annulation. L'annulation du licenciement d'une salariée enceinte produit désormais les mêmes effets que les autres cas d'annulation, à savoir la réintégration (si le salarié la demande) ou, si le salarié ne demande pas la réintégration, l'octroi des indemnités de rupture et de dommages-intérêts (rappelons que, dans la plupart des cas d'annulation de licenciement, c'est la jurisprudence qui a octroyé au salarié le droit d'être réintégré ; dans certains cas en revanche, c'est la loi elle-même qui prévoit le droit à réintégration, par exemple en cas d'annulation d'un licenciement qui fait suite à une action en justice engagée par le salarié relative à l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes : L. 123-5, al. 1 du Code du travail N° Lexbase : L5594AC8). La solution adoptée a d'ailleurs, compte tenu de la généralité des termes employés dans l'arrêt, vocation à s'appliquer à toutes les hypothèses de nullité de licenciement.