La cour d'appel de Nancy ayant jugé les licenciements ainsi intervenus sans cause réelle et sérieuse et condamné la société Total à payer aux deux salariés les indemnités afférentes, la société forme un pourvoi devant la Cour de cassation.
Pour le groupe pétrolier, le rejet systématique par les salariés de tous les dispositifs de reclassement mis en place par les partenaires sociaux dans le cadre du plan social, traduit une volonté délibérée de ne pas respecter les finalités de ce plan social afin, d'une part, de profiter de l'engagement pris par la société de ne pas licencier les salariés pendant plus d'un an, et ainsi de percevoir leur salaire sans travailler durant cette période, et, d'autre part, de bénéficier d'un licenciement après cette période leur permettant de percevoir d'importantes indemnités de licenciement et des indemnités Assedic sans dégressivité jusqu'à l'âge de la retraite. Le but du rejet systématique de toutes les propositions de reclassement proposées serait de profiter de ces mesures très avantageuses. Ce refus de toute tentative de reclassement serait abusif et constituerait une faute grave dans la mesure où il y a abus à détourner un droit de sa finalité sociale.
La Cour de cassation ne l'entend pas ainsi, et décide dans un attendu limpide que "le salarié menacé de licenciement pour motif économique est en droit de refuser les mesures de reclassement qui lui sont proposées par l'employeur". Elle ajoute que la cour d'appel ayant constaté que "les salariés s'étaient bornés à ne pas adhérer à la mesure de préretraite interne prévue par le plan social, à refuser une mutation géographique, et à ne pas recourir aux services d'un cabinet d'outplacement, a pu décider qu'ils n'avaient fait qu'exercer leur droit".
Ainsi, un salarié a le droit de refuser une proposition de reclassement proposée par l'employeur dans le cadre d'un licenciement pour motif économique. Jusqu'à présent, la Cour de cassation ne s'était jamais livrée à une telle assertion, même si elle avait déjà laissé sous-entendre que le salarié pouvait refuser un poste de reclassement impliquant une modification de son contrat de travail (Cass. soc., 28 octobre 2002, n° 00-42.350 N° Lexbase : A3975A3M).
La Cour de cassation, en utilisant une formule très générale, donne à ce droit une portée très large, puisqu'elle n'en limite pas la portée aux seules mesures de reclassement prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi (notons que la Cour parle de "plan social", puisque les faits sont antérieurs à la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002). A priori, toutes les mesures de reclassement sont visées (mesures de reclassement internes ou externes) ; le salarié a donc le droit de refuser toute mesure de reclassement, que cette dernière soit issue du plan de sauvegarde de l'emploi ou non, et quel que soit le nombre de licenciements envisagés. En outre, peu importe le nombre de mesures refusées (en l'espèce, les salariés avaient refusé trois mesures de reclassement).
S'agissant d'un droit, le refus d'une proposition de reclassement ne pourra jamais être considéré comme fautif, et ce quelle que soit l'importance des changements susceptibles d'être occasionnés par la mesure de reclassement envisagée ; un tel refus ne pourra jamais justifier un licenciement disciplinaire, comme avait cru pouvoir le faire la société pétrolière. A cet égard, la décision de la Cour de cassation ne peut emporter la pleine approbation.
D'une part en effet, il ne semble ni opportun ni justifié de permettre au salarié de refuser systématiquement toute proposition de reclassement, surtout lorsque celle-ci se traduit par un simple changement des conditions de travail du salarié. Or, l'arrêt laisse supposer que même dans cette hypothèse, le salarié aura le droit de refuser un tel reclassement et que son refus ne sera pas fautif. Cette démarche apparaît contraire au régime prétorien de la modification du contrat de travail. En effet, selon une jurisprudence constante, le refus par un salarié d'un simple changement de ses conditions de travail est considéré par elle comme une faute justifiant le licenciement, voire dans certains cas comme une faute grave (Cass. soc., 10 juillet 1996, n° 93-41.137 N° Lexbase : A2054AAC). En revanche, le refus par le salarié d'une modification de son contrat de travail n'est, d'après la jurisprudence, jamais constitutif d'une faute et ne peut pas justifier le licenciement du salarié. La Cour de cassation aurait pu s'inspirer de cette distinction en décidant que le refus par un salarié d'un reclassement emportant modification du contrat de travail n'est jamais fautif, alors que le refus d'un reclassement n'emportant pas une telle modification est constitutif d'une faute. Ce n'est pas la voie qu'a choisie la Cour de cassation, ce que l'on peut regretter, même si, le plus souvent, il est vrai que la proposition de reclassement entraînera une modification du contrat de travail du salarié concerné.
D'autre part, les dispositions des articles L. 321-1, alinéa 3 et L. 321-4-1, alinéa 6 du Code du travail (issues de la loi de modernisation sociale N° Lexbase : L6113ACE) n'exigent l'accord exprès du salarié que dans l'hypothèse où le reclassement proposé porte sur un emploi d'une catégorie inférieure, autrement dit lorsque le reclassement emporte modification du contrat de travail.
Pour autant, deux séries de limites peuvent être posées.
Premièrement, s'agissant d'un droit, il ne pourra être mis en oeuvre par le salarié dans des conditions abusives. La théorie de l'abus de droit devrait pouvoir jouer en ce cas. Il s'agissait d'ailleurs du moyen invoqué par l'employeur en l'espèce, mais les juges du fond avaient estimé que ce droit de refuser n'avait pas été mis en oeuvre dans des conditions abusives. Ainsi, lorsque le droit de refuser un reclassement est mis en oeuvre hors de sa finalité ou dans l'intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise, le licenciement du salarié sera justifié. Peut-être pourrait-on alors considérer qu'il y a abus lorsque le salarié refuse une proposition de reclassement n'emportant pas une modification de son contrat de travail.
Deuxièmement, même si le salarié a le droit de refuser une proposition de reclassement, le licenciement de ce dernier restera possible en cas de refus de sa part, non pas pour faute, mais pour motif économique. Dans cette hypothèse, le licenciement sera justifié si l'employeur démontre qu'il a notamment satisfait à son obligation de reclassement (Cass. soc., 28 octobre 2002, n° 00-42.350 N° Lexbase : A3975A3M ; Cass. soc., 6 novembre 2002, n° 00-40.693 N° Lexbase : A6726A3I).
La Cour de cassation semble donc privilégier les dispositions protectrices relatives au salarié menacé de licenciement économique sur le droit commun de l'exécution du contrat de travail, tout comme elle l'a fait s'agissant du salarié déclaré inapte à son poste de travail par le médecin du travail. Elle estime en effet que le refus par ce dernier d'une proposition de reclassement effectuée par son employeur ne constitue pas une faute grave, quelle que soit la mesure de reclassement concernée, qu'elle emporte une modification du contrat de travail ou un simple changement des conditions de travail (Cass. soc., 9 avril 2002, n° 99-44.678 N° Lexbase : A4958AYB).