SOC.
PRUD'HOMMES
MF
COUR DE CASSATION
Audience publique du 30 juin 2010
Cassation partielle
M. BLATMAN, conseiller le plus ancien faisant fonction de président
Arrêt n° 1284 F D
Pourvoi n° B 08-42.836
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par la société DHL Express France, société par actions simplifiée, dont le siège est Trappes,
contre l'arrêt rendu le 15 avril 2008 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre), dans le litige l'opposant à M. Dominique Y, domicilié Nice,
défendeur à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 18 mai 2010, où étaient présents M. Blatman, conseiller le plus ancien faisant fonction de président et rapporteur, Mmes Goasguen, Vallée, conseillers, M. Cavarroc, avocat général, Mme Bringard, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Blatman, conseiller, les observations de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la société DHL Express France, de la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat de M. Y, les conclusions de M. Cavarroc, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu en référé, que M. Y a été engagé le 11 juin 2001 en qualité de démarcheur-livreur par la société DHL Express France, qui est soumise à la convention collective nationale des transports routiers ; que le salarié a saisi la formation de référé de la juridiction prud'homale, le 15 juin 2007, afin d'obtenir le paiement d'indemnités de panier pour la période de juillet 2001 à mars 2007 ;
Sur le moyen unique, pris en ses troisième et quatrième branches
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner au paiement d'une provision au titre des indemnités sollicitées, alors, selon le moyen
1°/ que les juges sont tenus de répondre aux conclusions des parties ; que la société DHL Express faisait valoir que la condition d'urgence posée par l'article R. 516-30 (devenu R. 1455-5) du code du travail n'était pas remplie dans la mesure où les demandes de M. Y remontaient jusqu'à six ans en arrière ; qu'en se contenant d'affirmer que la demande présentait un caractère d'urgence parce que "l'objet du litige est toujours actuel et se perpétue tous les jours" sans répondre aux conclusions de l'employeur sur l'ancienneté des demandes du salarié, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que le juge des référés prud'homal ne peut accorder une provision au créancier que lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable ; que l'interprétation d'une convention collective fait l'objet d'une contestation sérieuse si elle présente des difficultés particulières et implique une analyse approfondie ; qu'en l'espèce, l'employeur soutenait que le salarié bénéficiant déjà de tickets restaurant, il existait une contestation sérieuse liée à l'interprétation de l'avenant n° 34 du 22 mai 1995 à la convention collective du transport routier du 30 avril 1974, lequel avait ouvert aux employés le bénéfice d'indemnités diverses, notamment une indemnité de repas, dont ne bénéficiaient auparavant que les ouvriers, tout en précisant que ces indemnités "ne sauraient se cumuler avec toute autre indemnité ayant le même objet déjà versée dans les entreprises" ; que pour preuve de l'existence d'une difficulté sérieuse d'interprétation de l'avenant, un accord d'entreprise était intervenu le 13 octobre 2003 afin de définir une méthode de résolution des conflits individuels en résultant ; qu'en se bornant à affirmer de manière générale que "le moyen de la complexité de la loi ou de la convention collective n'est pas une contestation sérieuse", sans examiner si en l'espèce, l'interprétation de l'avenant du 22 mai 1995 ne constituait pas une contestation sérieuse, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article R. 516-31 (devenu R. 1455-7) du code du travail ;
Mais attendu, d'abord, que le juge des référés peut interpréter une convention collective ;
Attendu, ensuite, que selon l'article 3 du protocole relatif aux frais de déplacement des ouvriers annexé à la convention collective nationale des transports routiers et des activités auxiliaires du transport, est réputé obligé de prendre son repas hors du lieu de travail le personnel qui effectue un service dont l'amplitude couvre entièrement les périodes comprises soit entre 11 heures 45 et 14 heures 15, soit entre 18 heures 45 et 21 heures 15 ;
Et attendu qu'ayant relevé que le salarié, dont l'amplitude de travail couvrait intégralement les périodes comprises entre 11 heures 45 et 14 heures 15, déduisait de sa réclamation au titre des indemnités de repas le montant des tickets restaurant qu'il avait reçus de l'employeur, la cour d'appel a pu décider que la demande du salarié n'était pas sérieusement contestable ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision ;
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Vu l'article L. 3245-1 du code du travail ;
Attendu que la prescription quinquennale instituée par cet article s'applique à toute action afférente au salaire ; que tel est le cas d'une action tendant au remboursement d'indemnités kilométriques et de repas liées à l'exécution d'un travail salarié ;
Attendu que pour accorder au salarié, à titre de provision sur le montant de ses indemnités de repas, une somme correspondant à l'intégralité de sa demande, l'arrêt énonce que la prescription quinquennale concerne les salaires et assimilés et non les indemnités de repas pris hors de l'entreprise et exonérées de charges, qui ne sont pas des salaires ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la deuxième branche
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a accordé à M. Y la somme de 3 556 euros à titre d'indemnité de repas, l'arrêt rendu le 15 avril 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne M. Y aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente juin deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils pour la société DHL Express France.
Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR ordonné à la société DHL EXPRESS de payer à monsieur Y, à titre de provision, la somme de 3.356 euros ;
AUX MOTIFS QUE la prescription quinquennale invoquée par la société DHL EXPRESS France concerne les salaires et assimilés et non pas les indemnités de repas pris hors de l'entreprise qui sont exonérées de charges et ne sont pas des salaires ; la prescription quinquennale ne s'applique pas à la demande de monsieur Dominique Y ; qu'aux termes de l'article R.516-31 alinéa 2 du code du travail, dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire ; que le fait qu'une partie qualifie sa contestation de sérieuse ne suffit pas à priver la formation de référé de ses pouvoirs ; qu'il résulte des circonstances de l'espèce que la demande présente un caractère d'urgence dans la mesure où l'objet du litige est toujours actuel et se perpétue tous les jours ;
Sur l'existence d'une contestation sérieuse
Qu'il appartient au juge d'appliquer la loi et il ne peut s'abstenir au motif d'une difficulté d'interprétation de celle-ci ; que le moyen de la complexité de la loi ou de la convention collective n'est pas une contestation sérieuse ; qu'il n'est pas contesté que monsieur Dominique Y, démarcheur livreur, effectue des déplacements tout au long de sa journée de travail ni que l'amplitude de travail s'entend comme l'étendue de la journée de travail englobant le temps de travail effectif et le temps de repos, l'existence du contrat de travail et d'avenants déterminant le temps de travail journalier de 7h45 à 12h15 et de 14h30 à 18h45 permet de dire que l'amplitude de travail est de 7h45 à 18h45 et englobe la période de 11h45 à 14h15 ; qu'en application des dispositions des articles 1315 du code civil et 3 de l'annexe 1 de la convention collective des transports routiers en date du 16 juin 1961, il incombe à l'employeur d'apporter la preuve que le salarié qui effectue un service dont l'amplitude couvre entièrement les périodes comprises entre 11h45 et 14h15 ou 18h45 et 21h15 ne s'est pas trouvée dans l'obligation de prendre un ou plusieurs repas hors du lieu de travail ; qu'il ressort des documents et fiches de service signés de l'entreprise que monsieur Dominique Y commence et finit son horaire de travail qui englobe la période de 11h45 à 14h15 de sorte qu'il remplit la condition d'amplitude de travail, il appartient à la société DHL EXPRESS France de démontrer qu'il peut prendre son repas sur son lieu de travail ; la société DHL EXPRESS France ne rapporte aucunement ce point ; qu'il convient donc d'allouer à titre de provision à monsieur Dominique Y la somme représentant la différence entre la part patronale des tickets restaurant et l'indemnité de panier des périodes considérées ; que la société DHL EXPRESS France s'oppose à la demande également au motif que M. Dominique Y ne peut cumuler deux régimes d'indemnisation du repas, cependant M. Dominique Y ne demande pas à cumuler les deux avantages et l'employeur ne peut imposer le ticket restaurant en remplacement de l'obligation de la convention collective pour les frais de repas hors entreprise pour les personnels effectuant des déplacements ; l'accord DHL International du 13 octobre 2003 ne fait pas obstacle à la démonstration que M. Dominique Y relève des bénéficiaires de la prime de panier au sens de la convention collective des transports ci-dessus rappelée ; que la Cour a les éléments pour fixer cette provision à la somme de 3.356 euros ;
1. - ALORS QUE la prescription quinquennale instituée par l'article L.143-14 (devenu L.3245-1) du code du travail s'applique à l'action tendant au remboursement d'indemnités de repas liées à l'exécution d'un travail salarié ; qu'en affirmant que la prescription quinquennale invoquée par la société DHL EXPRESS ne concernait pas les indemnités de repas pris hors de l'entreprise et exonérées de charge, la Cour d'appel a violé l'article précité du code du travail ;
2. - ALORS en tout état de cause QUE seules les indemnités de repas correspondant à des frais réellement exposés sont exonérées de cotisations sociales ; qu'en affirmant péremptoirement que les indemnités litigieuses, afférentes à des repas pris hors de l'entreprise, étaient exonérées de charges, sans constater qu'elles correspondaient à des dépenses de nourriture réellement exposées, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 143-14 (devenu L. 3245-1) du code du travail.
3. - ALORS QUE les juges sont tenus de répondre aux conclusions des parties ; que la société DHL EXPRESS faisait valoir que la condition d'urgence posée par l'article R.516-30 (devenu R.1455-5) du code du travail n'était pas remplie dans la mesure où les demandes de monsieur Y remontaient jusqu'à six ans en arrière ; qu'en se contenant d'affirmer que la demande présentait un caractère d'urgence parce que "l'objet du litige est toujours actuel et se perpétue tous les jours" sans répondre aux conclusions de l'employeur sur l'ancienneté des demandes du salarié, la Cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4. - ALORS QUE le juge des référés prud'homal ne peut accorder une provision au créancier que lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable ; que l'interprétation d'une convention collective fait l'objet d'une contestation sérieuse si elle présente des difficultés particulières et implique une analyse approfondie ; qu'en l'espèce, l'employeur soutenait que le salarié bénéficiant déjà de tickets restaurant, il existait une contestation sérieuse liée à l'interprétation de l'avenant n° 34 du 22 mai 1995 à la convention collective du transport routier du 30 avril 1974, lequel avait ouvert aux employés le bénéfice d'indemnités diverses, notamment une indemnité de repas, dont ne bénéficiaient auparavant que les ouvriers, tout en précisant que ces indemnités " ne sauraient se cumuler avec toute autre indemnité ayant le même objet déjà versée dans les entreprises" ; que pour preuve de l'existence d'une difficulté sérieuse d'interprétation de l'avenant, un accord d'entreprise était intervenu le 13 octobre 2003 afin de définir une méthode de résolution des conflits individuels en résultant ;
Qu'en se bornant à affirmer de manière générale que "le moyen de la complexité de la loi ou de la convention collective n'est pas une contestation sérieuse ", sans examiner si en l'espèce, l'interprétation de l'avenant du 22 mai 1995 ne constituait pas une contestation sérieuse, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article R.516-31 (devenu R.1455-7) du code du travail ;