Le Haut commissariat à l'insertion vient de rendre publique les actes de ce "Grenelle de l'insertion". Sa synthèse paraît nécessaire pour mieux comprendre les réformes en cours des minima sociaux, tels qu'annoncés pour une mise en place courant 2008/début 2009.
I - Recomposer les politiques autour de leurs bénéficiaires
A - Renforcer le rôle et la représentation des usagers
L'objectif est de placer les personnes au centre des dispositifs, en leur permettant d'exercer des responsabilités dans la gestion et l'évaluation des prestations et politiques d'insertion.
Les experts consultés par le "Grenelle de l'insertion" suggèrent d'expérimenter le chèque syndical/associatif ; de renforcer la représentation des usagers, tant dans les comités de liaison que dans les commissions de médiation des opérateurs, qui concourent au retour à l'emploi et, enfin, de prévoir des représentants des usagers dans les commissions départementales d'insertion et dans les commissions locales d'insertion.
Il est suggéré de faire participer les usagers à l'évaluation des politiques qui les concernent. Un volet d'évaluation par les usagers devra donc être prévu. Cette orientation exige la généralisation d'enquêtes de satisfaction, pour tous les publics (avec une attention particulière aux situations des plus défavorisés). Les conclusions de ces enquêtes doivent être rendues publiques et discutées dans les instances d'administration et de décision des organisations opératrices.
Le "Grenelle de l'insertion" propose d'instituer un médiateur du service public de l'emploi. Cette institution aurait pour mission de régler les problèmes entre le service public de l'emploi et les usagers, notamment, les personnes les plus éloignées de l'emploi. Enfin, il faudrait s'assurer que toute décision puisse faire l'objet d'une voie de recours simple, rapide et claire, ce recours devant être systématiquement suspensif.
B - Assurer un accompagnement global pour chaque personne
Les experts invitent à redéfinir l'articulation entre la poursuite d'un objectif central de retour à l'activité professionnelle et la mobilisation de mesures d'accompagnement adaptées aux situations individuelles.
Le service public de l'emploi devrait être un point d'entrée de droit commun pour toute personne en recherche d'emploi. Toutes les personnes en recherche d'emploi seraient inscrites sur la liste des demandeurs d'emploi, quels que soient leur statut indemnitaire et leur âge. Dès l'inscription au sein du nouvel opérateur, un référent unique pour tout demandeur d'emploi serait désigné. Ce référent serait garant et responsable de la mise en oeuvre des prestations et services d'accompagnement auxquels peut prétendre la personne.
Il conviendrait de définir une offre de services dont toutes les personnes en recherche d'emploi, y compris des personnes provisoirement dispensées de recherche d'emploi. Cette offre de service devrait systématiquement comprendre l'établissement d'un diagnostic de situation (par guide d'entretien harmonisé, pour ce qui concerne les qualifications, les habiletés, l'accès aux droits, la santé, le logement, les capacités de déplacement, la garde d'enfants) ; la désignation d'un référent unique, responsable du parcours (qui doit être en mesure de mobiliser lui-même l'offre de service) ; une offre au contenu diversifié (accompagnement vers l'emploi et, si nécessaire, dans l'emploi, accès à la formation, accompagnement social : logement, santé, élaboration des documents administratifs) ; le service de l'ensemble des mesures et prestations d'appui à la recherche d'emploi et l'assurance d'un suivi de parcours adapté à la personne, ce qui inclut le droit au recommencement et à la réévaluation régulière du parcours.
En outre, il conviendrait d'organiser des modes de coopération entre le service public de l'emploi et les autres opérateurs de l'accompagnement ; ne pas arrêter l'accompagnement professionnel aux marches de l'emploi et définir une approche globale de l'accompagnement pour toute personne n'impliquant pas une indifférenciation des parcours et des prestations. Au contraire, une évaluation fine des situations individuelles doit conduire à mobiliser des ressources adaptées à chaque personne.
II - Simplifier et décloisonner l'insertion
A - Décloisonner l'insertion
Il est suggéré de rapprocher tous les acteurs et toutes les politiques contribuant à l'insertion afin de construire des parcours continus pour tous les demandeurs d'emploi.
Les intervenants du "Grenelle de l'insertion" ont incité les pouvoirs publics et autres intervenants publics ou privés à rendre effectif l'élargissement des missions du service public de l'emploi à toutes les personnes à la recherche d'un emploi. Celles-ci ont vocation à être inscrites au service public de l'emploi et à bénéficier de l'ensemble des prestations proposées. Cela suppose de proposer des prestations d'accompagnement équivalentes, adaptées aux situations, à tous les demandeurs d'emplois, qu'ils soient indemnisés par l'assurance chômage ou non. Il convient, pourtant, de tenir compte des singularités des parcours d'insertion engagés, en particulier pour ce qui relève de la mise en oeuvre d'éventuelles sanctions.
De même, il faudrait favoriser l'accès au micro-crédit personnel garanti en élargissant les catégories de publics et d'objets éligibles. Le micro-crédit personnel est, de fait, aujourd'hui, réservé au financement de projets d'insertion. L'élargissement dans les objets des prêts doit aller de pair avec une extension des publics éligibles, car les personnes en situation de surendettement (notamment) ne peuvent se voir octroyer un tel micro-crédit.
Idéalement, il conviendrait de ne pas concevoir de dispositif de gestion d'une prestation ou d'une mesure qui requiert plus d'une instance de décision pour son attribution. De même, l'Etat et le législateur sont invités, comme la mise en place du revenu de solidarité active le laissait entendre, à poursuivre la rationalisation des minima sociaux, dans un souci général de lisibilité, mais, aussi, d'efficacité pour les bénéficiaires. L'objectif devrait être de tendre vers un système de garanties couvrant trois types de population : les personnes âgées sans ressources, les personnes sans revenus et en situation de handicap (physique ou mental) et les personnes d'âge actif sans revenus à la recherche d'un emploi.
B - Clarifier et réorganiser la gouvernance'
La réorganisation du pilotage stratégique et opérationnel du service public de l'emploi et de la formation doit s'inscrire dans un cadre simplifié, afin d'en finir avec la complexité des parcours d'insertion des bénéficiaires et de les associer pleinement à la 'gouvernance'.
L'Etat doit être un partenaire des conventions territoriales d'objectifs et de moyens de l'emploi et de l'insertion. Le niveau régional doit être l'échelon de la programmation stratégique, de la mise en cohérence et de l'évaluation des politiques. Une instance régionale en charge de la stratégie pour l'emploi et l'insertion professionnelle devrait être coprésidée par l'Etat et le conseil régional.
Le niveau départemental peut être retenu pour que l'organisation de l'accompagnement implique d'organiser à l'échelle départementale l'offre d'accompagnement global des personnes. L'objectif est de donner une orientation professionnelle aux parcours. Ces compétences doivent être mobilisées à l'échelle du département, sous la responsabilité du service public de l'emploi, en lien étroit avec le conseil général, chef de file pour tout ce qui concerne l'action sociale.
Le niveau opérationnel du bassin d'emploi pour l'accueil, le projet, et l'animation doit permettre de construire un cadre d'animation locale des initiatives en faveur de l'emploi et de l'insertion, et en particulier des relations avec les entreprises. Les maisons de l'emploi (quand elles existent) peuvent assurer ce rôle d'animation. Une telle mesure permettrait de supprimer l'obligation légale de mise en place de nombreux comités locaux dans le champ emploi/formation/insertion.
Il faudrait donc, au final, se fixer comme objectif d'unifier l'accueil des publics en insertion socio-professionnelle et de tendre vers un guichet unique. Ce dernier reposerait sur une plateforme multi-partenaires, offrant un réseau de proximité dans le bassin d'emploi. Une telle dynamique de création de guichets uniques devrait aller de pair avec le regroupement, dans les mêmes locaux, des différentes structures et fonctions d'accompagnement (du premier accueil, au suivi en passant par le diagnostic), qui existent aujourd'hui, comme cela peut exister dans certaines maisons de l'emploi.
Le "Grenelle de l'insertion" reprend à son compte l'objectif de simplification du système des contrats aidés pour plus de lisibilité et d'efficacité pour les salariés concernés, les employeurs comme les prescripteurs, et développe le contrat de professionnalisation au bénéfice des adultes et jeunes sans qualification.
La simplification du cadre règlementaire et de gestion des contrats aidés vise à offrir des outils mobilisables de façon indifférenciée pour toutes les personnes en difficulté sur le marché du travail, quel que soit leur statut. Le caractère "aidant" des contrats doit être renforcé. Le besoin de territorialisation de la programmation de ces outils est réaffirmé et consolidé par la nécessité de construire un cofinancement mobilisant les différentes ressources consacrées aux dispositifs d'aide aux employeurs pour l'embauche de publics éloignés de l'emploi. La continuité avec les dispositifs existants est privilégiée. Parallèlement, le contrat de professionnalisation dont l'objectif de qualification le distingue des contrats aidés, mérite d'être développé au bénéfice de tous les publics.
Il est nécessaire d'adapter les cadres législatifs et budgétaires de l'IAE à ses missions, pour une meilleure performance, ce qui passe par un cadre de conventionnement multipartite entre les structures et l'ensemble de leurs financeurs publics. Les propositions formulées par le "Grenelle de l'insertion" tendent à unifier dans un ensemble commun les règles spécifiques qui distinguent, aujourd'hui, dans la loi, les ateliers et chantiers d'insertion, les associations intermédiaires, les entreprises d'insertion et les entreprises de travail temporaire d'insertion. Elles ne remettent, cependant, pas en cause les vocations différenciées de chacune de ces catégories de structures.
III - Prévenir l'exclusion sociale par la formation et par la valorisation de l'activité
A - Prévenir l'exclusion des jeunes et mieux accompagner leur entrée dans le travail
Le "Grenelle de l'insertion" revient, une fois de plus, comme de nombreux observateurs depuis, maintenant, plus de trois décennies, sur les termes d'une politique efficace en faveur des jeunes sans qualification, permettant d'aller au devant de ceux qui ne sont pas pris en compte actuellement et de fixer, sur chaque territoire, l'objectif de faire diminuer le nombre de jeunes qui ne sont ni en formation, ni en emploi.
Le "Grenelle de l'insertion" suggère, dans une rhétorique, désormais, bien connue, de donner aux jeunes les moyens d'accéder au marché du travail, d'y demeurer et de s'y réaliser : telle doit être l'ambition de politiques ne relevant pas de la seule réponse ponctuelle et conjoncturelle. De l'acquisition des savoirs à l'accompagnement dans l'emploi, en passant, si nécessaire, par le traitement des problèmes sociaux, il s'agit d'organiser les politiques avec la visée du long terme.
L'ensemble des ressources consacrées à l'aide aux jeunes doit leur permettre de viser l'accès à une certification reconnue sur le marché du travail et l'accès à l'emploi, dans des conditions qui correspondent à leur projet et à leurs aspirations. L'objectif doit, également, être de leur faire acquérir des compétences susceptibles d'être mobilisées tout au long de leur vie professionnelle.
B - Mieux cibler la formation professionnelle
Là encore, le "Grenelle de l'insertion" reprend à son compte un objectif, bien connu, de faire de la formation professionnelle un levier réel et effectif de l'insertion. A cet effet, il est nécessaire de construire une offre de formation adaptée aux besoins des publics les plus éloignés de l'emploi.
Le "Grenelle de l'insertion" propose d'établir un droit général d'accès à la formation des demandeurs d'emploi, quel que soit le statut indemnitaire de la personne ; de donner au référent unique, au sein du service public de l'emploi, la maîtrise de l'accès aux outils de formation ; d'établir un droit prioritaire à la formation pour ceux qui ont quitté le système scolaire sans qualification ; d'envisager, dans le cadre du dialogue social, une éventuelle réorientation d'une partie des contributions des branches vers le financement de la formation professionnelle des personnes en insertion et, enfin, de faciliter l'accès à la formation qualifiante des personnes salariées en insertion.
Il faudrait assurer une continuité de revenu en supprimant la rémunération spécifique par les financeurs de la formation et en maintenant la prise en charge par le régime antérieur (minima sociaux, notamment). Il faudrait, cependant, maintenir une prise en charge par l'organisme de formation pour les primo-arrivants sur le marché du travail qui, par définition, ne relèvent pas d'un régime antérieur.
IV - Impliquer davantage les employeurs privés et publics
A - Employeurs privés
L'objectif assigné par le "Grenelle de l'insertion", consensuel, est de favoriser la coopération efficace entre les acteurs de l'insertion, afin de mettre les entreprises en situation d'assumer pleinement leur rôle. Les efforts d'insertion réalisés par les entreprises et les éventuels soutiens qui y sont apportés doivent conduire à l'accès des personnes à des emplois durables. C'est en fonction de cet objectif fondamental que doivent être évalués les actions et dispositifs.
Il convient d'introduire le thème de l'insertion dans le champ du dialogue social d'entreprises, de branches et de territoires et d'inciter les partenaires sociaux impliqués dans la gestion des comités d'entreprise à réduire les écarts de droits aux prestations entre salariés stables et salariés précaires de l'entreprise.
Le "Grenelle de l'insertion", de façon novatrice, envisage des mécanismes de déduction de charges ou de crédits d'impôts pour soutenir les investissements et participations dans les structures d'insertion par l'activité économique. Le financement pour les structures d'insertion pourrait provenir d'orientation de la taxe d'apprentissage, voire de versements directs à ce titre. Il est, ensuite, suggéré d'accorder un crédit d'impôt pour les entreprises qui soutiennent des structures de l'insertion par l'activité économique. Enfin, il faudrait mettre en oeuvre les engagements pris dans l'Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail, visant à faire bénéficier les demandeurs d'emploi d'une part de l'effort de formation des entreprises.
B - Employeurs publics
L'objectif de faire de l'insertion un levier de modernisation du management et des politiques de recrutement et d'achat publics doit être approuvé. A cette fin, le "Grenelle de l'insertion" propose d'assainir le recours aux contrats aidés aux stages et aux CDD. Il convient de conduire les employeurs publics à ne plus être tributaires d'injonctions conduisant à utiliser les contrats aidés comme outil de lutte statistique contre le chômage. Le nombre de contrats aidés pourrait être fixé sur une période pluriannuelle glissante (par exemple de trois ans). Les évolutions d'une année sur l'autre par rapport à l'objectif triennal devraient être justifiées en annexe du projet de loi de finances. En outre, il faudrait proposer, avec les grands employeurs publics, un plan de régularisation des contrats aidés pour les personnes qui ont enchaîné les diverses mesures (CES, CEC, CAE, etc.).
La modernisation du recrutement devrait passer d'une conception de l'insertion comme variable d'ajustement à une conception de l'insertion comme voie de recrutement et de transformation du management. Le nombre moyen de recrutements annuels prévus dans les années à venir s'élève à, environ, 40 000 dans la fonction publique d'Etat (en retenant le principe du non remplacement d'un départ à la retraite sur deux) et à, au moins, 20 000 dans la fonction publique hospitalière. Ces masses importantes pourraient constituer l'occasion d'une montée en puissance des filières d'accès originales à l'emploi public.
(1) Lire nos obs., Revenu de solidarité active : le législateur consacre le Rapport Hirsch, mais à titre expérimental, Lexbase Hebdo n° 271 du 6 septembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N2559BCR).
(2) G. Gorce, F. Lefebvre, Rapport d'information AN n° 745, 26 mars 2008.
(3) V. Létard, Minima sociaux : mieux concilier équité et reprise d'activité, Rapport d'information n° 334 (2004-2005), Sénat, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 11 mai 2005 ; S. Dassault, Quelle efficacité des contrats aidés de la politique de l'emploi ?, Rapport d'information n° 255 (2006-2007), fait au nom de la commission des finances, déposé le 21 février 2007, Sénat.
(4) Y. L'horty, Que nous apprennent les bénéficiaires du RMI sur les gains du retour à l'emploi ?, Centre d'études et de l'emploi, rapport de recherche 24, 24 juillet 2005.
(5) Commissariat général du Plan, Minima sociaux, revenus d'activité, précarité, Président J.-M. Belorgey, mai 2000.
(6) Par exemple, Rapport 1998 (insertion par l'économique) ou Rapport 2004 (les dispositifs d'évaluation des politiques d'aides à l'emploi de l'Etat).