Ces deux arrêts de la Haute juridiction marquent, sans aucun doute, une étape très importante dans la réparation des préjudices subis par les victimes du Distilbène. A l'instar de la dernière jurisprudence en matière de vaccins contre l'hépatite B et sclérose en plaques (2), la Cour de cassation semble s'orienter vers une responsabilité des laboratoires plus accrue.
Dans la première affaire (n° 08-10.081), la cour d'appel de Versailles avait débouté la plaignante de sa demande, celle-ci ne rapportant pas la preuve d'une prise de la molécule litigieuse durant la grossesse de sa mère. A l'appui de son pourvoi, la demanderesse faisait valoir qu'elle était née en 1965, soit à une époque où le DES était habituellement prescrit, et qu'elle présentait une pathologie cancéreuse caractéristique d'une exposition au DES. Ainsi, selon elle, en lui imposant en toute circonstance d'apporter la preuve de ce que sa mère s'était fait prescrire du DES durant sa grossesse, malgré l'impossibilité constatée dans laquelle elle était d'obtenir le dossier médical de sa mère ou un certificat médical de prescription eu égard à l'ancienneté des faits, la cour d'appel avait violé les articles 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) et 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) du Code civil. La Haute juridiction va abonder dans le sens des juges du fond. En effet, la Cour rappelle qu'il appartient à la patiente de prouver qu'elle avait été exposée au médicament litigieux dès lors qu'il n'était pas établi que le DES était la seule cause possible de la pathologie dont elle souffrait.
Pour l'avocate de la patiente, Maître Martine Verdier, "la Cour de cassation s'est fondée sur l'analyse des éléments de fait effectuée par la cour d'appel de Versailles, laquelle avait jugé que Madame X ne rapportait pas la preuve de son exposition au DES. Ce contrôle limité de la Cour de cassation aux seuls éléments de droit est classique mais sévère. La Cour suprême aurait pu suivre Madame X qui proposait de retenir une présomption d'exposition au DES".
Dans la seconde affaire (n° 08-16.305), la Cour de cassation opère une inversion de la charge de la preuve, et par là même un revirement de jurisprudence très net. En effet, aux termes de l'article 1315, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG), celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Ainsi, ici, la Cour étend aux laboratoires, le principe qu'elle avait dégagé, en 1997, sur la charge de la preuve en matière d'information médicale (Cass. civ. 1, 25 février 1997, n° 94-19.685, M Hédreul c/ M. Cousin et autres N° Lexbase : A0061ACA). Jusqu'à présent, les femmes exposées in utero qui sollicitaient une indemnisation devaient prouver que leurs mères prenaient ce médicament à l'époque de leur grossesse. Elles devaient, en outre, préciser quel laboratoire avait fabriqué ce médicament (deux laboratoires sont concernés). Or, s'il était possible de prouver l'administration d'un médicament, il était particulièrement plus dificile de déterminer de quel laboratoire il provenait, le pharmacien précisant rarement la marque de celui qu'il a vendu. Désormais, c'est aux laboratoires de prouver, pour chaque dossier, que ce n'était pas leur médicament qui était en cause s'ils veulent éviter la condamnation. A défaut, ils seront considérés comme solidairement responsables. En l'espèce, Mme P., atteinte d'un adénocarcinome à cellulaires claires du col utérin qu'elle imputait à la prise, par sa mère, durant sa grossesse, du DES, a assigné la société UCB pharma et la société Novartis santé familiale, toutes deux fabricantes de la même molécule distribuée sous deux appellations différentes. La cour d'appel de Versailles l'avait déboutée de sa demande en réparation au motif que le fait que les deux laboratoires aient tous deux mis sur le marché la molécule à l'origine du dommage, fait non contesté, ne peut fonder une action collective, ce fait n'étant pas en relation directe avec le dommage subi par Mme P., et qu'aucun élément de preuve n'établissait l'administration à celle-ci de la molécule fabriquée par la société UCB pharma, ni de celle fabriquée par la société Novartis santé familiale. L'arrêt sera censuré par la Haute juridiction au visa des articles 1382 et 1315 du Code civil : "en se déterminant ainsi, après avoir constaté que le DES avait bien été la cause directe de la pathologie tumorale, partant que Mme P. avait été exposée in utero à la molécule litigieuse, de sorte qu'il appartenait alors à chacun des laboratoires de prouver que son produit n'était pas à l'origine du dommage, la cour d'appel a violé les textes susvisés". Ce faisant, la Haute juridiction impose désormais aux laboratoires de prouver que leur produit n'est pas à l'origine du dommage.
Si pour Maître Verdier cette décision est salutaire puisque "les jeunes femmes exposées in utero au DES, et dont la mère n'a conservé aucun document contemporains de la grossesse (dossier médical, ordonnance...), peuvent désormais envisager de saisir la justice dès lors où elles peuvent justifier de leur exposition au DES", cette solution peut sembler sévère pour les laboratoires. En effet, comme le soulignent Sophie Tatot (3) et Pauline Aiguillon (4), "ce régime juridique de responsabilité se révèle particulièrement sévère pour les laboratoires, alors même que les études sur le produit n'étaient pas aussi approfondies qu'elles ne le sont de nos jours", et d'espérer "que cette décision n'ouvre pas systématiquement la voie à une responsabilité solidaire des laboratoires pharmaceutiques lorsque la relation directe entre une mise sur le marché d'un médicament et un dommage au patient devient difficile à démontrer" (5).
Au final, à la lecture de ces deux arrêts, et plus particulièrement cette dernière décision, semble se dessiner, dans le droit fil de la mouvance actuelle, "une tendance à faciliter la charge de la preuve afin d'ouvrir autant que possible l'indemnisation des victimes en droit de la santé" (6). Et face, au volume croissant de contentieux sur le Distilbène, certains (7) préconisent la mise en place d'un fond d'indemnisation comme cela existe au Pays-Bas (8).
(1) Lire nos obs., Affaire du "Distilbène" : condamnation en appel du laboratoire !, Lexbase Hebdo n° 119 du 6 mai 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N1467ABX) et Affaire du "Distilbène" : la justice reconnaît les victimes de la troisième génération mais limite l'indemnisation de leur préjudice, Lexbase Hebdo n° 246 du 31 janvier 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N8452A9W) ; Ch. Radé, in Panorama de responsabilité médicale (avril à septembre 2008), Lexbase Hebdo n° 321 du 8 octobre 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N3835BHI) et in Panorama de responsabilité civile médicale (décembre 2008 à mars 2009) (seconde partie), Lexbase Hebdo n° 346 du 16 avril 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N0185BK3).
(2) Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 08-11.073, Société Sanofi Pasteur MSD, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7250EID) et les obs. de Ch. Radé, in Panorama de responsabilité civile médicale (avril à juillet 2009) (première partie), Lexbase Hebdo n° 359 du 16 juillet 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N0028BLM).
(3) Avocat, Cabinet Lefèvre Pelletier & associés.
(4) Direction Affaires Réglementaires Laboratoire LEO Pharma.
(5) L'affaire Distilbène : vers une responsabilité présumée ?, Blog Dalloz du mardi 6 octobre 2009.
(6) P. Mistretta, JCP éd. G, n° 41, p. 11.
(7) Jean-Pierre Sueur, Sénateur du Loiret, ancien ministre.
(8) Les Pays-Bas ont mis en place depuis le 14 mars 2007 un "fonds DES" qui permet aux personnes concernées de recevoir des indemnisations sans devoir recourir à des procédures judiciaires. Cet accord a été conclu avec des entreprises pharmaceutiques, des assureurs et les associations représentatives des personnes victimes du distilbène (DES).