[Jurisprudence] Principe "à travail égal, salaire égal" et différence de statut juridique dans l'entreprise




Au fil de ses arrêts, la Cour de cassation trace le régime juridique du principe "à travail égal, salaire égal" et montre qu'elle n'entend pas se laisser enfermer dans une logique de justification des différences de traitement purement formelle. Dans un arrêt en date du 15 mai 2007, la Haute juridiction précise sa jurisprudence antérieure concernant la "situation juridique" des salariés dans l'entreprise (1) et affirme, pour la première fois, qu'une différence de "statut juridique" entre salariés ne suffit pas, à elle-seule, à justifier une différence de traitement (2).




Résumé

Une différence de statut juridique entre des salariés effectuant un travail de même valeur au service du même employeur ne suffit pas, à elle seule, à caractériser une différence de situation au regard de l'égalité de traitement en matière de rémunération.

Une différence de traitement entre des salariés placés dans la même situation doit reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence.

Le juge ne peut statuer par des motifs généraux, sans rechercher concrètement si les différences de rémunération constatées étaient justifiées en l'espèce par des raisons objectives matériellement vérifiables.

1. La référence antérieure à la "situation juridique" des salariés au sein de l'entreprise

La promotion du principe "à travail égal, salaire égal", à partir de l'arrêt "Ponsole" rendu en 1996 (1), a conduit la Cour de cassation à préciser comment deux salariés, accomplissant un même travail ou un travail de même valeur au sein d'une même entreprise, pouvaient valablement être rémunérés de manière différente.

La Cour de cassation a, ainsi, au fil de ses arrêts, développé une jurisprudence relative à la "différence de situation" rendant licite une différence de traitement.

Cette référence a, tout d'abord, servi à justifier que certains salariés en CDD perçoivent une rémunération plus importante que des salariés en CDI, alors qu'ils exercent pourtant les mêmes fonctions, dès lors que l'employeur cherche à compenser les inconvénients de leur situation juridique (2) ou se trouve contraint par les circonstances (3).

La notion de "situation juridique" a, également, été visée s'agissant de salariés de la Poste relevant, pour certains, du statut de la fonction publique et, pour d'autres, du Code du travail ; dans un arrêt inédit rendu en 2007, la Cour s'est référée à la notion de "situation juridique" des salariés au sein de l'entreprise (alors que le pourvoi l'invitait à viser la notion de "statut juridique") pour indiquer que "les salariés agents de droit privé dont la rémunération résulte de négociations salariales annuelles dans le cadre d'une convention collective ne se trouvent pas dans une situation identique à celle des fonctionnaires avec lesquels ils revendiquent une égalité de traitement" (4).

Compte tenu de ces décisions, il était légitime de s'interroger sur le caractère suffisant de cet argument pour justifier une différence de traitement, et sur l'éventuelle nécessité de le compléter par d'autres éléments.

La Cour de cassation a manifesté, dans ses dernières décisions, la volonté de ne pas se laisser enfermer dans une logique trop formelle où certaines justifications seraient a priori admises, sans que le juge ne vérifie effectivement que cette justification était effectivement de nature à fonder la différence de traitement relevée (5). C'est ainsi que, s'agissant du rattachement à des conventions collectives d'établissements distinctes, la Cour a subordonné l'admission de l'argument à la preuve de caractéristiques propres aux établissements concernés (6).

De la même manière, la Cour a considéré que la date d'embauche ne suffisait pas à justifier en soi une différence de traitement (7), celle-ci devant révéler soit une différence d'ancienneté (8), soit encore la volonté de compenser un préjudice salarial (9) consécutif à la réduction de la durée du travail applicable dans l'entreprise (10) ou à un changement dans le mode de rémunération (11).

Il était alors légitime de se demander si la différence de "situation juridique" constituait une justification suffisante, ou si elle devait être complétée par d'autres éléments. La lecture des deux arrêts rendus en 2006 et 2007 ne permettait pas, en effet, de répondre clairement à la question. Dans la première affaire, en effet, la Cour avait indiqué que le juge "peut" tenir compte de ce critère (12), et dans la seconde qu'une cour d'appel justifie "à bon droit" une différence de traitement par l'analyse de la différence de statuts dans l'entreprise (13).

Une clarification de la position de la Haute juridiction sur le caractère suffisant ou non du critère de la différence de "situation juridique" s'imposait, et c'est tout l'intérêt de cet arrêt.

2. La différence de "statut juridique", insuffisante en soi à justifier une différence de traitement

Six salariés formateurs exerçant leur activité sous contrat à durée indéterminée au sein d'une association avaient saisi la juridiction prud'homale aux fins de contester la violation du principe "à travail égal, salaire égal" par leur employeur, des formateurs occasionnels ou vacataires ayant bénéficié de rémunérations plus importantes que les leurs.

Pour juger qu'il n'y avait pas eu violation par l'employeur du principe "à travail égal, salaire égal", la cour d'appel avait considéré que les règles applicables variant selon le statut des personnes dispensant des heures de formation, il ne peut être considéré qu'un formateur occasionnel se trouve dans une situation identique à celle d'un salarié sous contrat à durée indéterminée ; que, par suite, un taux horaire plus important payé à un formateur occasionnel ou à un formateur vacataire peut s'expliquer notamment par la précarité de leur situation, l'absence du déroulement de carrière prévu à l'article 22 de la convention collective, la nécessité de prendre en compte le temps de préparation, ou le régime applicable de cotisations sociales ; que, de même, il peut être pris en compte des raisons objectives liées au statut de formateur telles des diplômes ou sa compétence notoire ou la difficulté de la formation assurée, comme par exemple une préparation à des concours. Ce faisant, la cour d'appel s'inscrivait dans la droite file de l'arrêt "Moutot", rendu en 2006 et qui concernait deux salariées exerçant le même travail mais sous des "statuts" différents.

L'arrêt est pourtant cassé, la Cour de cassation rappelant, tout d'abord, "d'une part, qu'une différence de statut juridique entre des salariés effectuant un travail de même valeur au service du même employeur ne suffit pas, à elle seule, à caractériser une différence de situation au regard de l'égalité de traitement en matière de rémunération", et "d'autre part, qu'une différence de traitement entre des salariés placés dans la même situation doit reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence".

L'arrêt n'est toutefois pas cassé pour violation de la loi mais bien pour manque de base légale, c'est-à-dire en raison d'un défaut de motivation ne permettant pas à la Cour de cassation de vérifier que la "différence de traitement entre des salariés placés dans la même situation [repose] sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence".

A bien y regarder, il n'y a en réalité aucune contradiction entre cette décision et l'arrêt "Moutot", rendu en 2006, dans la mesure où la différence de rémunération constatée en la défaveur de la salariée en CDI se doublait dans cette affaire d'une ancienneté moindre pour la salariée la moins bien payée, la conjonction de ces deux éléments ayant certainement conduit la Haute juridiction à considérer la différence de traitement comme justifiée. Or, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 16 mai 2007, la cour d'appel avait, semble-t-il, fait l'économie d'une analyse approfondie de la situation concrète des salariés dans l'entreprise.

Cet arrêt en date du 16 mai 2007 appelle toutefois deux précisions complémentaires.

En premier lieu, la motivation de l'arrêt rendu par la cour d'appel, tel qu'il est relaté dans l'arrêt de cassation, ne semblait pas si insuffisante puisque la différence de statuts faisait apparaître d'autres éléments plus tangibles, comme la volonté de prendre en compte les temps de préparation, la qualification des formateurs ou encore les difficultés des matières enseignées. Il semble toutefois que ces motifs avaient été avancés de manière générale, sans que la Cour n'établisse qu'en l'espèce ces éléments étaient bien réunis. Même si on pourrait en douter, c'est bien le caractère abstrait de ces critères qui se trouve ici sanctionné et le fait que la cour d'appel n'avait pas suffisamment motivé in concreto la différence de rémunération qui se trouve sanctionnée ; les juges d'appel se trouvent donc invités à se livrer à une véritable casuistique, de manière très empirique.

En second lieu, la référence à la notion de "statut juridique", préférée à celle de "situation juridique" jusque-là employée, nous semble plus adaptée. Le "statut juridique" renvoie, en effet, de manière plus globale au régime auquel se trouvent soumis les salariés, compte tenu de la qualification de leur contrat de travail, et intègre, bien entendu, la précarité de l'emploi. Cette notion est donc plus précise que celle de "situation juridique", et fait référence à une analyse de la relation de travail aujourd'hui communément admise, même dans le secteur privé.

Christophe Radé
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale


(1) Cass. soc., 29 octobre 1996, n° 92-43.680, Société Delzongle c/ Mme Ponsolle, publié (N° Lexbase : A9564AAH) ; Dr. soc. 1996, p. 1013, obs. A. Lyon-Caen.
(2) Cass. soc., 28 avril 2006, n° 03-47.171, Société DEMD Productions c/ Mme Anne Moutot, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2049DPL) ; lire nos obs., L'ancienneté et la situation juridique du salarié dans l'entreprise peuvent justifier une atteinte au principe "à travail égal, salaire égal", Lexbase Hebdo n° 213 du 4 mai 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N7835AKE).
(3) Bien que ne faisant pas apparaître la différence de statuts, la Cour de cassation a admis qu'une directrice de crèche, embauchée sous CDD pour remplacer la titulaire du poste en congé, puisse percevoir une rémunération supérieure (Cass. soc., 21 juin 2005, n° 02-42.658, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A7983DII ; lire nos obs., La justification des inégalités de rémunération, Lexbase Hebdo n° 174 du 30 juin 2005 - édition sociale N° Lexbase : N6023AIW : "la cour d'appel, qui a fait ressortir que l'employeur était confronté à la nécessité, pour éviter la fermeture de la crèche par l'autorité de tutelle, de recruter de toute urgence une directrice qualifiée pour remplacer la directrice en congé-maladie, a, par ce seul motif et abstraction faite de motifs erronés mais surabondants, légalement justifié sa décision").
(4) Cass. soc., 20 mars 2007, n° 05-44.626, M. Max Giraudeau, F-D (N° Lexbase : A7470DU9) : "les salariés agents de droit privé dont la rémunération résulte de négociations salariales annuelles dans le cadre d'une convention collective ne se trouvent pas dans une situation identique à celle des fonctionnaires avec lesquels ils revendiquent une égalité de traitement, que la cour d'appel a ainsi, à bon droit, écarté l'application du principe 'à travail égal, salaire égal' s'agissant de la prime dite 'complément Poste'".
(5) En ce sens, nos obs. sous Cass. soc., 18 janvier 2006, citées note suivante. Sur le caractère suffisant de la référence à l'ancienneté et au mérite individuel : CJCE, 3 octobre 2006, aff. C-17/05, B. F. Cadman c/ Health & Safety Executive (N° Lexbase : A3687DRY).
(6) Cass. soc., 18 janvier 2006, n° 03-45.422, Société Sogara France c/ Mme Lasoy Agion, F-P (N° Lexbase : A3972DM3) ; lire nos obs., Une différence de traitement fondée sur la pluralité des accords d'établissement n'est pas illicite, Lexbase Hebdo n° 199 du 26 janvier 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N3620AKB).
(7) Cass. soc., 25 mai 2005, n° 04-40.169, Société The Hôtel Ritz Limited c/ Mme Stoyanka Smilov, FS-P+B (N° Lexbase : A4304DIA).
(8) Et à condition que cette ancienneté n'ait pas déjà été prise en compte par ailleurs, par exemple par le versement d'une prime d'ancienneté : Cass. soc., 29 octobre 2006, préc.
(9) Cass. soc., 21 février 2007, n° 05-43.136, Association patronage de l'Institut régional des jeunes sourds et aveugles de Marseille, Irsam Les Hirondelles, FS-P+B (N° Lexbase : A2978DUT) ; lire nos obs., Justifications des inégalités salariales et date d'embauche des salariés, Lexbase Hebdo n° 250 du 29 février 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N1031BAG).
(10) Cass. soc., 21 février 2007, n° 05-43.136, Association patronage de l'Institut régional des jeunes sourds et aveugles de Marseille, Irsam Les Hirondelles, FS-P+B (N° Lexbase : A2978DUT) ; lire nos obs., Justifications des inégalités salariales et date d'embauche des salariés, Lexbase Hebdo n° 250 du 1er mars 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N1031BAG).
(10) Lexbase Hebdo n° 250 du 1er mars 2007 - édition sociale, et la chron., préc..
(11) Cass. soc., 1er décembre 2005, n° 03-47.197, Société Transports de tourisme de l'océan, Ocecars c/ M. Jean-Pierre Gandon, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8452DLM) ; lire nos obs., Le principe "à travail égal, salaire égal" impuissant à réduire les inégalités résultant du passage aux 35 heures, Lexbase Hebdo n° 193 du 8 décembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N1672AK7).
(12) Cass. soc., 31 octobre 2006, n° 03-42.641, Société Sodemp, FS-P+B (N° Lexbase : A1936DSI) ; lire nos obs., La volonté d'empêcher une baisse de rémunération justifie une inégalité salariale, Lexbase Hebdo n° 236 du 16 novembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N5148ALA).
(13) Cass. soc., 31 octobre 2006, n° 03-42.641, Société Sodemp, FS-P+B (N° Lexbase : A1936DSI) ; lire nos obs., La volonté d'empêcher une baisse de rémunération justifie une inégalité salariale, Lexbase Hebdo n° 236 du 16 novembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N5148ALA).
(14) Cass. soc., 28 avril, 2006, préc..
(15) Cass. soc., 20 mars 2007, préc..

Décision

Cass. soc., 15 mai 2007, n° 05-42.894, M. François Chavance, FP-P+B (N° Lexbase : A2480DWR)

Cassation (CA Dijon, chambre sociale, 14 avril 2005)

Texte visé : principe "à travail égal, salaire égal"

Mots-clefs : rémunération ; principe "à travail, salaire égal" ; différence de traitement ; justification ; différence de statut juridique ; caractère non suffisant.

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