[Textes] La loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié

par Nicolas Mingant, Ater en droit privé à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV



La loi du 30 décembre 2006 a, de manière essentiellement symbolique, institué un nouveau "dividende", qu'elle a intitulé "dividende du travail" (voir, sur ce dividende d'un genre nouveau, l'article exhaustif de G. Auzero, Développement de la participation et de l'actionnariat salarié, à paraître en février, Bull. Joly des sociétés). Au terme de l'article 1er de la loi, ce dividende repose :

- "sur le supplément d'intéressement ou de participation, versé en application de l'article L. 444-12 du Code du travail ;
sur les transferts des droits inscrits à un compte épargne-temps vers un plan d'épargne pour la retraite collectif ou un plan d'épargne d'entreprise, dans les conditions et selon les modalités visées au second alinéa de l'article L. 443-2 du Code du travail (N° Lexbase : L7778HBP) et à l'article 163 A du Code général des impôts (N° Lexbase : L2680HLT) ;
sur les attributions d'actions gratuites destinées à être versées sur un plan d'épargne d'entreprise, distribuées en application du troisième alinéa de l'article L. 443-6 du Code du travail (N° Lexbase : L7760HBZ) ;
sur la disponibilité immédiate des dividendes attachés aux actions détenues dans le cadre d'un fonds commun de placement d'entreprise dont plus du tiers de l'actif est composé de titres émis par l'entreprise, dans les conditions prévues au onzième alinéa de l'article L. 214-40 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2957G9E) ;
sur l'existence d'une formule dérogatoire de participation, conformément aux dispositions de l'article L. 442-6 du Code du travail" (N° Lexbase : L6505ACW).

De manière plus concrète, le texte (dont nous ne présentons, ici, que les principales dispositions), adopté après une longue procédure parlementaire (voir nos obs., La création d'un dividende du travail par le projet de loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié, Lexbase Hebdo, n° 235 du 9 novembre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N4893ALS), adopte un certain nombre de mesures tendant à développer la participation (1) et l'actionnariat (2) salarié.

1. Mesures tendant au développement de la participation des salariés

1.1. Supplément d'intéressement et de réserve spéciale de participation

L'article 2 de la loi institue un article L. 444-12 dans le Code du travail. Selon cet article, le conseil d'administration, le directoire ou le chef d'entreprise peut décider de verser :

Selon l'exposé des motifs du projet de loi, cette possibilité d'attribuer un supplément d'intéressement vise à faire bénéficier du dispositif "les entreprises qui souhaitent davantage s'appuyer sur l'intéressement, outil de motivation très prisé, ou qui ne sont pas assujetties à la participation".

Il convient d'observer que la mesure compense, en partie, l'abandon de l'idée initiale, qui était d'imposer la participation dans les entreprises de moins de 50 salariés (l'idée a été rapidement abandonnée, notamment parce que le patronat et le Conseil supérieur de la participation s'y sont fermement opposés).

Les sommes versées au titre de ce supplément d'intéressement pourront, notamment, être affectées à la réalisation d'un plan d'épargne d'entreprise, d'un plan d'épargne interentreprises ou d'un plan d'épargne pour la retraite collectif. Il convient donc d'observer que les sommes ne seront pas nécessairement indisponibles, contrairement à ce que prévoyait le projet de loi initial, c'est-à-dire l'affectation obligatoire du supplément à un plan d'épargne d'entreprise.

Cette disposition a, notamment, pour objectif de pallier les insuffisances de la formule de calcul actuelle de la participation, dont les artisans du projet de loi voudraient qu'elle devienne un simple minimum légal. Chaque entreprise serait, au-delà de ce minimum légal, autorisée, en fonction de ses spécificités, à adopter ses propres critères de "partage des fruits de la croissance".

En matière de supplément d'intéressement, comme en matière de réserve spéciale de participation, les sommes seront versées au titre de l'exercice clos, ce qui aura pour conséquence de ne pas les soumettre à l'aléa. Cet aléa étant, en principe, la condition du bénéfice des exonérations sociales, le législateur précise que les sommes versées bénéficieront du même régime fiscal et social que celles issues du calcul de base. Elles ne pourront donc, en principe, pas faire l'objet de contrôles de la part des Urssaf. Les suppléments sont, cependant, soumis aux plafonds individuels et collectifs prévus par le Code du travail.

Il convient, également, de noter que les accords instituant les suppléments (accords d'intéressement ou de participation ou, le cas échéant, les accords spécifiques des articles L. 441-1 N° Lexbase : L7694HBL et L. 442-10 N° Lexbase : L6508ACZ du Code du travail) ne pourront porter que sur les modalités de répartition des suppléments, le principe même de leur attribution étant laissé à l'appréciation des organes dirigeants de l'entreprise.

Les partenaires sociaux seront donc libres de s'entendre sur les modalités de répartition des sommes. S'agissant du supplément d'intéressement, le législateur précise, néanmoins, qu'il est collectif, ce qui devrait être de nature à dissuader les négociateurs de sortir de ce cadre.

1.2. Intéressement de projet

L'article 4 de la loi du 30 décembre 2006 crée, également, une nouvelle catégorie d'intéressement (par l'ajout d'un alinéa à l'article L. 441-1 du Code du travail N° Lexbase : L7694HBL). Il s'agit de l'"intéressement de projet". Selon la nouvelle disposition, "dans les entreprises ou groupes disposant d'un accord d'intéressement et concourant avec d'autres entreprises à une activité caractérisée et coordonnée, un accord peut être conclu pour prévoir que tout ou partie des salariés bénéficie d'un intéressement de projet".

La possibilité de négocier des accords d'intéressement est donc subordonnée à deux conditions : d'une part, les entreprises doivent déjà être couvertes par un accord "classique" d'intéressement, d'autre part, ces entreprises doivent participer à une activité commune identifiée, ce qui suppose, certainement, la soumission à une autorité commune.

La négociation de l'accord peut s'inscrire dans deux cadres différents :

- soit le projet n'implique que des salariés d'une même entreprise ou d'un même groupe et, dans cette hypothèse, l'accord devra être négocié dans les mêmes conditions qu'un accord d'intéressement de droit commun.
- soit le projet implique des salariés d'entreprises qui ne constituent pas un groupe et, dans cette hypothèse, l'accord devra être négocié dans les mêmes conditions que celui instituant un plan d'épargne interentreprises (C. trav., art. L. 443-1-1 N° Lexbase : L8388ASH).

Le texte ajoute que, dans l'hypothèse où les salariés sont amenés à se prononcer (tel peut être le cas dans le cadre de la procédure de mise en place des plans d'épargne interentreprises), "la majorité des deux tiers requise pour la ratification s'entend sur les personnels entrant dans le champ d'application du projet". Cela signifie que les salariés non visés par le projet (lequel peut concerner, rappelons-le, "tout ou partie seulement du personnel") n'auront pas leur mot à dire dans le processus de validation.

1.3. Participation et intéressement dans les groupements d'employeurs et les groupements d'intérêt économique

La diffusion et l'élargissement de la participation et de l'intéressement, objectifs du projet de loi, doivent être adaptés aux nouvelles formes d'activité ou d'association juridique d'entreprises.

Pour cette raison, l'article 7 du projet pose le principe de l'assujettissement des groupements d'employeurs et groupements d'intérêt économique aux dispositifs de négociation obligatoire d'accords de participation, d'épargne salariale et d'intéressement prévus à l'article L. 132-27, alinéa 5, du Code du travail (N° Lexbase : L3139HI4).

En outre, selon le nouvel alinéa de l'article L. 441-2 du Code du travail (N° Lexbase : L7695HBM), l'intéressement des salariés d'un GIE ou d'un groupement d'employeurs pourra prendre en compte les résultats ou les performances des entreprises membres du groupement, et non plus seulement ceux du groupement lui-même.

1.4. Obligation de négocier des accords de participation dans les PME

L'article 9 de la loi insère, dans le Code du travail, un article L. 442-18 faisant obligation (dans les 3 ans suivant l'adoption de la loi) aux branches de négocier des accords de participation applicables dans les entreprises de moins de 50 salariés. Les accords de branche pourront retenir soit la formule légale de participation (C. trav., art. L. 442-2 N° Lexbase : L6958GTU), soit une formule dérogatoire (C. trav., art. L. 442-6 N° Lexbase : L6505ACW).

Dans tous les cas, les entreprises concernées resteront libres d'"opter" ou non pour l'application de l'accord de branche ainsi négocié. Si tel est le cas, l'application au niveau de l'entreprise de cet "accord de branche optionnel" (voir, sur cette notion inédite, G. Auzero, art. préc.) supposera la conclusion d'un accord, selon les modalités de l'article L. 442-10 du Code du travail (N° Lexbase : L6508ACZ).

1.5. Sécurisation des accords instituant un dispositif d'épargne salariale

L'objectif de développement de la participation des salariés ne peut être atteint sans une certaine simplification des procédures à respecter en la matière et sans une certaine sécurisation des accords collectifs adoptés. C'est pourquoi l'article 14 du projet :

- permet que l'accord d'intéressement, l'accord de participation et le règlement d'un plan d'épargne, lorsqu'ils sont conclus concomitamment, fassent l'objet d'un dépôt commun auprès de l'administration (l'article 14 de la loi ajoute un alinéa à l'article L. 132-27 du Code du travail N° Lexbase : L3139HI4)

- modifie les conditions relatives au délai de conclusion des accords d'intéressement pour ouvrir droit aux exonérations légales. L'accord devra avoir été conclu avant le premier jour de la deuxième moitié de la période de calcul suivant la date de sa prise d'effet (C. trav., art. L. 441-2, al. 8 nouveau).

- modifie le délai de dépôt auprès de l'autorité administrative compétente. Les accords n'auront plus à être déposés dans le délai très court de 15 jours après leur signature, mais dans un délai de 15 jours après la date limite de conclusion de l'accord (C. trav., art. L. 441-2, al. 9 nouveau).

- oblige l'administration et les organismes de recouvrement des cotisations sociales à se prononcer sur la conformité des accords aux textes en vigueur dans un délai de 4 mois à compter de leur dépôt. En l'absence d'observation motivée dans ce délai, les accords et règlements des plans d'épargne et les accords de participation seront considérés comme conformes aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur. Aucun contrôle ultérieur ne pourra conduire à remettre en cause le contenu de ces textes et justifier une requalification conduisant à la restitution des exonérations fiscales et sociales attachées aux avantages accordés aux salariés (C. trav., art. L. 444-11 nouveau).

Ces dispositions poursuivent un objectif commun, qui est d'éviter aux entreprises certaines contraintes conduisant, parfois, à la perte des bénéfices fiscaux et sociaux attachés aux dispositifs.

2. Mesures tendant au développement de l'actionnariat salarié

2.1. Participation des salariés actionnaires à la gestion de l'entreprise

Parce que "la démarche du dividende du travail trouve son complément naturel dans l'association des salariés à la marche des entreprises", l'article 32 du projet modifie les premiers alinéas des articles L. 225-23 (N° Lexbase : L5894AI7) et L. 225-71 (N° Lexbase : L5942AIW) du Code commerce, pour définir l'obligation et les modalités de mise en oeuvre de la représentation des salariés actionnaires dans les conseils d'administration et les directoires, dès lors que ceux-ci possèdent plus de 3 % du capital de l'entreprise.

Pour ne pas dissuader les petites et moyennes entreprises d'ouvrir leur capital, cette disposition ne concerne que les entreprises cotées.

Le nouveau texte est d'application directe lorsque les statuts des entreprises prévoient les conditions de désignation des représentants des salariés actionnaires. Si tel n'est pas le cas, la modification des statuts permettant cette désignation devra intervenir "par décision de l'assemblée générale extraordinaire", qui se réunira "au plus tard à la date de la prochaine assemblée générale ordinaire suivant la publication de la présente loi".

La durée du mandat des salariés actionnaires résultera, habituellement, de l'application de l'article L. 225-18 du Code de commerce (N° Lexbase : L5889AIX), mais la loi du 30 décembre 2006 prévoit, toutefois, que le mandat prendra automatiquement fin en cas d'arrivée du terme ou de rupture, quelle qu'en soit la cause, du contrat de travail.

2.2. Elargissement de l'actionnariat salarié par l'attribution gratuite d'actions

Aux termes de l'article 34 de la loi, l'article L. 443-6 du Code du travail permet, désormais, aux entreprises d'attribuer à l'ensemble de leurs salariés des actions gratuites placées sur un plan d'épargne d'entreprise (dans la limite d'un montant égal à 7,5 % du plafond annuel de la Sécurité sociale par adhérent).

Pour les entreprises émettrices, les charges liées à l'attribution de ces actions sont déductibles de l'assiette de l'impôt sur les sociétés (modification de l'article 217 quinquies du Code général des impôts), à condition qu'elles soient attribuées à l'ensemble des salariés, de manière homogène et selon des critères objectifs.

Plus précisément, la répartition peut être uniforme, proportionnelle à la durée de présence dans l'entreprise au cours de l'exercice ou proportionnelle aux salaires ou retenir conjointement ces différents critères. Il s'agit, en la matière, ainsi que l'indique l'exposé des motifs, de donner une "incitation forte au développement d'un actionnariat salarié large, qui ne soit pas excessivement affecté par les différences de capacité contributive des salariés selon leurs revenus".

L'indisponibilité de 5 ans attachée au placement des actions sur le plan d'épargne d'entreprise (il était, à l'origine, question de ramener le délai d'indisponibilité de 5 à 3 ans, mais l'idée a été abandonnée au cours de la procédure parlementaire), gage d'un actionnariat salarié durable, s'accompagnera, pour les salariés, de l'exonération d'impôt sur le revenu de l'avantage financier résultant de l'attribution définitive des actions ("gain d'acquisition") et de la plus-value réalisée lors de leur cession.