Résumé
Un accord collectif ou une décision unilatérale de l'employeur ne peut retenir, afin de régulariser la rémunération du salarié en fin d'année, indépendante des heures réellement effectuées chaque mois, la durée hebdomadaire moyenne de la modulation comme mode de décompte des jours d'absence pour maladie pendant la période de haute activité, une telle modalité de calcul constituant, malgré son caractère apparemment neutre, une mesure discriminatoire indirecte en raison de l'état de santé du salarié. |
Décision
Cass. soc., 9 janvier 2007, n° 05-43.962, Mme Françoise Bethus, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4832DT7) Cassation (CA Poitiers, chambre sociale, 7 juin 2005) Textes visés : C. trav., art. L. 122-45 (N° Lexbase : L3114HI8) ; C. trav., art. L. 212-1 (N° Lexbase : L5835AC4) ; loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000, article 8, paragraphe 5 (N° Lexbase : L0988AH3) ; C. trav., art. L. 212-8-5 (N° Lexbase : L5861AC3). Mots-clefs : annualisation du temps de travail ; maladie ; décompte annuel des heures de travail ; prise en compte des heures effectivement réalisées par les salariés pendant la durée des absences. Lien bases : |
Faits
Une salariée a été absente pour maladie professionnelle du 15 juin au 1er septembre 2000, puis pour maladie du 10 juin au 15 septembre 2002. L'employeur, dans le cadre du bilan des heures effectivement travaillées réalisé en fin d'année, a décompté les absences de l'intéressée sur la base de l'accord d'aménagement et de réduction du temps de travail. Ce dernier prévoyait une réduction du temps de travail à 35 heures sur une base annualisée en une modulation de la durée du travail, variant, selon les semaines, entre 21 et 44 heures et un lissage des rémunérations sur la base de la durée hebdomadaire moyenne de la modulation, soit 35 heures. Sur ce fondement, l'employeur a refusé de tenir compte des horaires de travail réellement effectués par les salariés pendant la durée des absences. Le calcul retenu par l'employeur rendait la salariée débitrice de 29 heures pour l'année 2000, alors que ses collègues bénéficiaient d'un crédit de 38 heures payées en heures supplémentaires et de 36 heures pour 2002. Elle a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de rappel de salaires pour les années 2000 et 2002. La cour d'appel a rejeté la demande de la salariée. Elle a considéré qu'en l'absence de texte sur la question de droit posé, il était juste et légitime de considérer, en application du principe d'égalité de traitement des salariés en cas d'absence pour maladie, qu'en cas de modulation annuelle des horaires de travail, de la même manière que l'horaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité leur revenant en raison de cette absence est l'horaire moyen lissé, c'est un temps de travail correspondant à l'horaire hebdomadaire moyen de 35 heures qui devait être retenu en fin d'année pour procéder au décompte individuel du temps travaillé dans l'année et aux régularisations nécessaires. |
Solution
1. Cassation 2. "Attendu cependant qu'il résulte des dispositions combinées des articles visés qu'un accord collectif ou une décision unilatérale de l'employeur ne peuvent retenir, afin de régulariser la rémunération, indépendante des heures réellement effectuées chaque mois, du salarié en fin d'année, la durée hebdomadaire moyenne de la modulation, comme mode de décompte des jours d'absence pour maladie pendant la période de haute activité, une telle modalité de calcul constituant, malgré son caractère apparemment neutre, une mesure discriminatoire indirecte en raison de l'état de santé du salarié". |
Commentaire
Cette décision contient, ainsi, deux apports essentiels et, partant, deux solutions nouvelles. 1. Une mesure apparemment neutre
La durée légale hebdomadaire du travail est de 35 heures (C. trav., art. L. 212-1 ; article 8, paragraphe V, de la loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée de la durée du travail). Il est, toutefois, possible de prévoir que la durée hebdomadaire de travail peut varier sur tout ou partie de l'année. Dans ce cas, il ne faut cependant pas que, sur un an, cette durée excède une moyenne de 35 heures par semaine. Le cas échéant, les heures excédant une durée moyenne sur l'année de 35 heures par semaine travaillée sont des heures supplémentaires payées conformément aux dispositions légales (article 8, paragraphe V, de la loi du 19 janvier 2000, relative à la réduction négociée du temps de travail). On comprend l'importance du décompte annuel des heures de travail réalisées par les salariés puisque, de ce décompte, dépend le paiement d'éventuelles heures supplémentaires. Or, s'il est aisé de déterminer la durée effective du travail d'un salarié ayant effectué une année complète, il n'en va pas de même lorsqu'il s'agit d'un salarié qui a, au cours de l'année de référence, été absent pour cause de maladie.
Comment convient-il de compter cette période d'absence ? Faut-il tenir compte de la durée annualisée, c'est-à-dire sans tenir compte du nombre d'heures de travail que le salarié aurait pu être amené à réaliser au cours de cette période et considérer que, pour sa période d'absence, le nombre d'heures à prendre en considération est 35 heures hebdomadaires ? Doit-on, au contraire, prendre en compte la durée du travail que le salarié aurait été amené à réaliser s'il avait été présent dans l'entreprise ? Volontairement ou non, le législateur ne s'est pas intéressé à la question. Aucun texte ne règle le problème de la maladie du salarié et, partant, des modalités de décompte de sa période d'absence. Deux positions étaient susceptibles d'être retenues en la matière, l'une et l'autre successivement prises par la cour d'appel et la Cour de cassation : l'horaire annualisé et l'horaire effectivement réalisé dans l'entreprise. Pour les juges du second degré, aucun doute n'était possible. Il convenait, comme l'avait d'ailleurs fait l'employeur, pour déterminer les droits du salarié, de retenir, pour ses périodes d'absence, une durée hebdomadaire du travail de 35 heures. Pour justifier sa position, la cour d'appel était venue souligner que l'indemnité journalière versée au salarié malade était déterminée en fonction d'un temps de travail correspondant à un horaire moyen de 35 heures par semaine. La Cour de cassation n'a a priori pas trouvé l'argument convainquant, puisqu'elle casse cette décision et fait du décompte sur la durée annualisée, une mesure discriminatoire indirecte.
Dans un attendu de principe dépourvu d'équivoque, elle vient affirmer, au visa des articles L. 122-45, L. 212-1, L. 212-8-5 du Code du travail et 8 V de la loi du 19 janvier 2000, "qu'il résulte des dispositions combinées des articles visés qu'un accord collectif ou une décision unilatérale de l'employeur ne peuvent retenir, afin de régulariser la rémunération, indépendante des heures réellement effectuées chaque mois, du salarié en fin d'année, la durée hebdomadaire moyenne de la modulation, comme mode de décompte des jours d'absence pour maladie pendant la période de haute activité, une telle modalité de calcul consistant, malgré son caractère apparemment neutre, une mesure discriminatoire indirecte en raison de l'état de santé du salarié". Le fait de retenir un décompte annualisé de la durée du travail et de ne pas se fonder sur la durée effective du travail réalisée dans l'entreprise au cours de la période d'absence, revenait à exclure les salariés malades du bénéfice des heures supplémentaires, ce qui, pour la Cour de cassation, était constitutif d'une discrimination indirecte. Cette nouvelle règle doit être approuvée car elle évite, à la fois, discrimination et inégalité entre les salariés de l'entreprise. 2. Une discrimination indirecte La solution se veut sérieuse et sans appel. Le salarié malade voit cette période de maladie décomptée sur la base des heures effectivement réalisées par les salariés de l'entreprise pendant son absence. Bien qu'a priori difficilement acceptable (après tout, le salarié n'était pas là pour faire ces heures supplémentaires), cette solution était la seule possible, compte tenu des principes directeurs du droit du travail. Le principe de non-discrimination s'opposait, en effet, à la solution retenue par les juges du fond.
Le législateur ne définit pas la notion de discrimination indirecte. La définition est donnée par le droit communautaire. Il y a, ainsi, discrimination indirecte lorsqu'une mesure, apparemment neutre (non fondée sur un critère discriminatoire) a pour effet de désavantager un groupe de travailleurs présentant des caractéristiques identiques : malades, même sexe, même origine, même religion (CJCE, 13 mai 1986, aff. C-170/84, Bilka - Kaufhaus GmbH c/ Karin Weber von Hartz N° Lexbase : A8290AUL). Contrairement à ce qui est le cas en matière de discrimination directe, ce n'est pas, ici, l'intention discriminatoire qui est déterminante de la discrimination. Ce sont, en effet, les effets (discriminatoires) de la mesure qui importent. Une exception existe lorsque la mesure ayant pour effet d'écarter une certaine catégorie de salariés peut se justifier par des motifs objectifs et proportionnés.
Pouvait-on considérer, ici, que le fait de décompter les périodes d'absences en fonction de la durée du travail annualisée était constitutif d'une mesure discriminatoire indirecte ? Comme le souligne la Haute juridiction, un tel mode de décompte avait pour effet d'exclure les salariés malades du bénéfice des heures supplémentaires et tendait même à les rendre débiteurs d'heures de travail. Il faut, en effet, rappeler, comme le fait d'ailleurs la Cour de cassation, que la période d'absence du salarié concerné était la période de haute activité. Le fait de décompter 35 heures lui était effectivement préjudiciable. En aurait-il été ainsi si la suspension du contrat de travail pour cause de maladie avait eu lieu au cours d'une période de basse activité ? N'aurait-il pas été préférable, pour lui, que l'on retienne comme mode de calcul la durée du travail annualisée ? Le salarié n'aurait, sans doute, pas contesté le mode de calcul qui lui était alors applicable, mais qu'auraient dit les autres salariés de l'entreprise, en découvrant que leur collègue, qui avait été malade une partie de l'année, avait un décompte annuel faisant état de plus d'heures de travail qu'eux même ? Il y aurait eu rupture d'égalité. Il faut donc bien reconnaître que la solution retenue par la Cour de cassation était la meilleure. Non seulement, elle évite qu'il y ait discrimination indirecte, mais encore, elle maintient l'égalité entre les salariés de l'entreprise qui bénéficient tous d'un décompte identique de leur temps de travail annuel sans que la règle retenue ne préjudicie à l'une ou l'autre catégorie de salariés (malade ou non malade) en fonction de la période (haute ou basse activité) dans laquelle a lieu la suspension du contrat. Il n'y avait, en outre, aucun échappatoire pour l'employeur qui pouvait difficilement trouver des motifs objectifs (il n'y avait pas de texte !) et proportionnés au soutien du mode de décompte appliqué au salarié malade, seuls à même d'éviter que l'infraction soit constituée... |