Résumé
Lorsque le quorum prévu par les articles L. 423-10 (N° Lexbase : L6370ACW) et L. 433-10 (N° Lexbase : L6427ACZ) du Code du travail n'est pas atteint au premier tour des élections professionnelles à la proportionnelle, il n'y a pas lieu de décompter les suffrages exprimés en faveur de chacune des listes syndicales, de sorte qu'il y a carence au sens de l'article L. 132-2-2 III du Code du travail (N° Lexbase : L4693DZT). |
Décision
Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 05-60.345, Syndicat CGT Adecco c/ Société Adecco travail temporaire et autres, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1160DT7) Rejet (TI Villeurbanne, contentieux des élections professionnelles, 25 octobre 2005) Textes concernés : C. trav., art. L. 132-2-2, III (N° Lexbase : L4693DZT) ; C. trav., art. L. 423-10 (N° Lexbase : L6370ACW) ; C. trav., art. L. 433-10 (N° Lexbase : L6427ACZ). Mots-clés : principe majoritaire ; appréciation ; élections professionnelles ; premier tour ; quorum ; absence ; carence d'élections professionnelles. Lien bases : |
Faits
Le premier tour des élections des comités de plusieurs établissements de la société Adecco s'est déroulé du 5 au 14 septembre 2005. Le protocole d'accord, qui prévoyait un vote par correspondance dans ces trois établissements, a été validé par jugement du 29 mars 2005. Le quorum n'ayant pas été atteint, un second tour a été organisé. Le syndicat CGT Adecco a contesté le résultat du premier tour des élections en invoquant diverses irrégularités. Il était reproché au jugement attaqué d'avoir refusé d'annuler le premier tour des élections professionnelles, tant au regard du droit électoral que du droit de la négociation collective. Selon le tribunal d'instance saisi du litige, en raison du très faible nombre de votants par rapport au nombre d'inscrits, ces irrégularités n'avaient eu aucune incidence sur la détermination de la majorité requise par ce texte, sans autre précision. |
Solution
"Mais attendu que lorsque le quorum prévu par les articles L. 423-10 et L. 433-10 du Code du travail n'est pas atteint au premier tour des élections professionnelles à la proportionnelle, ce qui n'était pas contesté, il n'y a pas lieu de décompter les suffrages exprimés en faveur de chacune des listes syndicales, de sorte qu'il y a carence au sens de l'article L. 132-2-2 III du Code du travail". Rejet du pourvoi. |
Observations
1. Elections professionnelles et principe majoritaire
Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social (N° Lexbase : L1877DY8), toute convention collective de travail est soumise, quant à sa validité, au respect de ce que l'on qualifie, faute de mieux, le "principe majoritaire" (v., par ex., sur cette réforme, J.-E. Ray, Les curieux accords dits "majoritaires" de la loi du 4 mai 2004, Dr. soc. 2004, p. 590). Pour ce qui est de la négociation collective menée au niveau de l'entreprise, qui seule nous intéresse ici, l'article L. 132-2-2 III du Code du travail soumet la validité des accords d'entreprise à l'absence d'opposition d'une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant obtenu la majorité des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel. Toutefois, un accord de branche peut prévoir que la convention ou l'accord d'entreprise est valable dès lors qu'il est signé par une ou des organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins la moitié des suffrages exprimés au premier tour des mêmes élections (1). Ce faisant, les élections professionnelles dans l'entreprise n'ont plus pour unique objet de permettre l'attribution de mandats de représentation à des salariés. Elles permettent, également, de mesurer l'audience des syndicats et, partant, leur légitimité à intervenir comme partie à une convention ou un accord collectif.
Le texte de loi ne comportant que fort peu de précisions quant aux modalités d'appréciation de la majorité requise pour la validité de la norme conventionnelle, on doit à l'administration d'avoir tenté de combler cette lacune, dans la mesure et la limite de ses pouvoirs. Celle-ci a, tout d'abord, précisé que seuls sont pris en compte les suffrages valablement exprimés au premier tour et non les votes blancs ou nuls (circ. DRT, n° 2004-09, du 22 septembre 2004, relative au titre II de la loi 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, point 1.3.1.1. N° Lexbase : L7884GT8). Pour ce qui est de la seule prise en compte des résultats du premier tour, elle n'appelle pas de commentaire particulier, dans la mesure où elle est expressément prévue par la loi. On relèvera, simplement, que cette exigence rejoint la position que la Cour de cassation avait adoptée à propos du droit d'opposition à un accord d'entreprise dérogatoire (Cass. soc., 18 novembre 1998, n° 97-14.139, SA Société générale c/ Syndicat CFDT des Banques et autres, publié N° Lexbase : A3415AB4 ; JCP éd. G, 1999, II, 10185, obs. L. Boutitie). S'agissant de la règle selon laquelle les votes blancs ou nuls ne sont pas pris en compte, elle n'est, évidemment, pas sans rappeler celle applicable à la détermination du quorum lors du premier tour des élections professionnelles. L'administration a, ensuite, avancé que le nombre de voix à prendre en compte est "le total de celles recueillies par chaque liste et par collège par les candidats titulaires au premier tour, alors même que l'ensemble des sièges n'aurait pas été pourvu ou que le quorum n'aurait pas été atteint" (circ. préc., point 1.3.1.1.). L'arrêt sous examen démontre que la Cour de cassation n'a pas entendu suivre la doctrine administrative sur ce dernier point. En effet, ainsi que l'affirme la Chambre sociale dans le motif de principe retenu, "lorsque le quorum prévu par les articles L. 423-10 et L. 433-10 du Code du travail n'est pas atteint au premier tour des élections professionnelles à la proportionnelle, ce qui n'est pas contesté, il n'y a pas lieu de décompter les suffrages exprimés en faveur de chacun des listes syndicales [...]". 2. Absence de quorum et appréciation de la majorité
Pour la Cour de cassation, l'absence de quorum ne permet pas de déterminer la majorité exigée par l'article L. 132-2-2, III. Si cette solution apparaît amplement justifiée au regard de la finalité même de la loi du 4 mai 2004, sur laquelle nous reviendrons plus avant, elle est plus difficile à justifier d'un point de vue strictement juridique. Selon le communiqué accompagnant l'arrêt commenté, "cette solution s'appuie sur le mécanisme même des élections professionnelles à la proportionnelle. En effet, lorsque le quorum n'est pas atteint, il n'y a lieu de décompter que le nombre global de suffrages exprimés et non le nombre de suffrages exprimés en faveur de chaque liste. Il n'y a donc pas de résultat de ce chef. Ce n'est que si le quorum est atteint que le nombre global de suffrages exprimés divisé par le nombre de sièges à pourvoir détermine le quotient électoral, et ensuite seulement qu'il est procédé à l'attribution des sièges à la proportionnelle, en fonction du nombre de suffrages exprimés en faveur de chaque liste, dont la détermination n'intervient qu'à ce stade". Si cette argumentation est de nature à convaincre, il peut lui être précisément reproché de tirer par trop sur le mécanisme même des élections professionnelles à la proportionnelle. En effet, si l'absence de quorum ne permet pas de procéder à l'élection, elle n'empêche nullement d'apprécier le nombre de suffrages exprimés en faveur de chaque liste et, par-là même, les syndicats majoritaires. En réalité, c'est surtout la finalité de la règle appliquée qui justifie la solution retenue. Rappelons que le principe majoritaire a pour but de donner, sinon une véritable, du moins une certaine légitimité à la signature de syndicats présumés représentatifs. Or, comment une telle légitimité pourrait-elle être assurée lorsque le quorum n'est pas atteint ? Dans ce cas, en effet, le nombre de suffrages exprimés est inférieur à la moitié du nombre d'inscrits (2). Pour reprendre à nouveau les termes du communiqué de la Cour de cassation, "la majorité des suffrages exprimés dans un tel premier tour, permet de mesurer le poids respectif de chaque organisation syndicale, mais non leur poids par rapport à une majorité de salariés".
L'absence de quorum ne permettant pas de déterminer la majorité exigée par l'article L. 132-2-2, III, la Cour de cassation en déduit qu'il y a une situation de carence au sens de l'alinéa 4 du même texte. Ce dernier prévoit, dans ce cas, que l'accord collectif signé par un délégué syndical présent dans l'entreprise est soumis à un vote de la majorité des salariés. On pourrait, à nouveau, trouver contestable que la Cour de cassation considère qu'il y a une carence d'élections professionnelles, alors que le second tour peut très bien conduire à l'élection de représentants du personnel. Certes, mais la loi commande de retenir les résultats au premier tour des élections, interdisant par-là même de tenir compte du second tour lorsque celui-ci est organisé. Par suite, le premier tour ne pouvant être pris en compte faute de quorum, la seule issue réside dans l'hypothèse de carence. Au total, et encore que l'on puisse considérer qu'elle ne repose pas sur un fondement juridique parfaitement irréprochable, la décision commentée nous paraît devoir être approuvée. C'est que, comme l'affirme elle-même la Cour de cassation dans son communiqué, "ce litige est révélateur des difficultés présentées par le recours aux résultats des élections professionnelles pour apprécier une condition de majorité pour la négociation collective".
Gilles Auzero (1) L'accord de branche peut opter pour la majorité d'engagement ou la majorité d'opposition. A défaut d'accord en ce sens, c'est cette dernière qui s'applique. (2) Admettre la solution inverse reviendrait à remplacer une fiction, la présomption de représentativité, par un faux-semblant, une majorité toute, voire très, relative. |