[Jurisprudence] L'ancienneté et la performance individuelle comme justifications valables d'une inégalité salariale

par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Depuis quelques mois, la Cour de cassation s'est efforcée de dégager des critères qui permettent de justifier des différences de traitement entre des travailleurs placés dans des situations identiques ou accomplissant un travail égal, ou de valeur égale. L'influence de la jurisprudence dégagée par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) est, ici, déterminante, notamment lorsqu'il s'agit de faire application des Directives communautaires. Dans une décision en date du 3 octobre 2006, la CJCE considère qu'une différence de traitement entre femmes et hommes se trouve pleinement justifiée par la prise en compte de l'ancienneté des salariés et de leurs mérites individuels (I). Cette solution, pleinement justifiée, permet de compléter utilement la jurisprudence de la Cour de cassation française (II).

Résumé

Suffit à justifier une différence de traitement entre femmes et hommes le critère de l'ancienneté, sans qu'il soit nécessaire d'apporter d'autre preuve, à moins que le travailleur ne fournisse des éléments susceptibles de faire naître des doutes sérieux à cet égard.

Suffit à justifier une différence de traitement entre femmes et hommes le critère de l'évaluation du travail à accomplir, sans qu'il soit nécessaire de démontrer qu'un travailleur pris individuellement a, pendant la période pertinente, acquis une expérience qui lui a permis de mieux accomplir son travail.

Décision

CJCE, 3 octobre 2006, aff. C-17/05, B. F. Cadman c/ Health & Safety Executive (N° Lexbase : A3687DRY)

Demande de décision préjudicielle au titre de l'article 234 du Traité CE , introduite par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni), par décision du 11 janvier 2005, parvenue à la Cour le 19 janvier 2005, dans la procédure B. F. Cadman contre Health & Safety Executive

Mots clef : rémunération ; non-discrimination entre femmes et hommes ; justification des différences de traitement ; ancienneté ; expérience ; mérites individuels

Textes visés : Traité CE, art. 141 (N° Lexbase : L5147BCM)

Faits

1. Mme Cadman, employée par le HSE, considérait que quatre de ses collègues, exerçant des fonctions identiques et possédant un même grade, ont bénéficié de rémunérations substantiellement plus élevées que la sienne.

L'Employment Tribunal a jugé que, en application de l'article 1er de l'Equal Pay Act, les clauses du contrat de travail de Mme Cadman relatives à la rémunération devaient être modifiées afin qu'elles ne soient pas moins favorables que celles figurant dans les contrats de travail des quatre personnes de référence.

Le HSE a saisi l'Employment Appeal Tribunal d'un recours en annulation de cette décision. Cette juridiction a jugé, en premier lieu, que, compte tenu de l'arrêt du 17 octobre 1989 (CJCE, 17 octobre 1989, aff. C-109/88, Handels-og Kontorfunktionærernes Forbund I Danmark c/ Dansk Arbejdsgiverforening, agissant pour Danfoss N° Lexbase : A8601AU4, Rec. p. 3199, point 25), une inégalité des rémunérations résultant de l'application du critère de l'ancienneté ne doit pas spécialement être justifiée. En second lieu, elle a estimé que, à supposer même qu'une telle justification soit exigée, l'Employment Tribunal avait commis une erreur de droit dans l'appréciation de celle-ci.

Par acte du 4 novembre 2003, Mme Cadman a interjeté appel de la décision de l'Employment Appeal Tribunal devant la juridiction de renvoi.

2. La Court of Appeal expose que les différences de rémunération invoquées par Mme Cadman à l'appui de son recours s'expliquent par la structure du système de rémunération, le HSE appliquant un système d'augmentations qui, d'une manière ou d'une autre, tient compte de l'ancienneté et récompense celle-ci.

3. La Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1) Si un employeur applique le critère de l'ancienneté en tant qu'élément concourant à la rémunération et que cette application entraîne des disparités entre les travailleurs masculins et féminins pertinents, l'article 141 CE a-t-il pour effet d'obliger ledit employeur à justifier spécialement le recours à ce critère? Si la réponse est fonction des circonstances, de quelles circonstances s'agit-il ?

2) La réponse à la question précédente serait-elle différente si l'employeur appliquait le critère de l'ancienneté aux employés de manière individualisée de sorte qu'il y ait réellement une appréciation de la mesure dans laquelle une ancienneté plus importante justifie une rémunération supérieure ?

3) Une distinction pertinente peut-elle être établie entre l'application du critère de l'ancienneté à des travailleurs à temps partiel et l'application du même critère à des travailleurs à temps plein ? "

Solution

1. "Le recours au critère de l'ancienneté étant, en règle générale, apte à atteindre le but légitime de récompenser l'expérience acquise qui met le travailleur en mesure de mieux s'acquitter de ses prestations, l'employeur ne doit pas spécialement établir que le recours à ce critère est apte à atteindre ledit but en ce qui concerne un emploi donné, à moins que le travailleur fournisse des éléments susceptibles de faire naître des doutes sérieux à cet égard".

2. "Lorsqu'est utilisé, pour la détermination de la rémunération, un système de classification professionnelle fondé sur une évaluation du travail à accomplir, il n'est pas nécessaire de démontrer qu'un travailleur pris individuellement a, pendant la période pertinente, acquis une expérience qui lui a permis de mieux accomplir son travail".

Commentaire

I - Nouvelle précision concernant la jurisprudence communautaire relative à l'ancienneté comme justifiant une différence de rémunération entre femmes et hommes

  • Dispositions communautaires applicables

L'article 141, paragraphes 1 et 2, du Traité CE impose aux Etats membres d'assurer l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre femmes et hommes pour un même travail ou un travail de même valeur.

Cette exigence fondamentale a été mise en oeuvre par la Directive 75/117/CEE du Conseil du 10 février 1975 (N° Lexbase : L9200AUB), et impose "l'élimination, dans l'ensemble des éléments et conditions de rémunération, de toute discrimination fondée sur le sexe", singulièrement pour les systèmes de classification professionnelle qui doivent être basés "sur des critères communs aux travailleurs masculins et féminins et établi de manière à exclure les discriminations fondées sur le sexe" (Directive remplacée par la Directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006 N° Lexbase : L4210HK7).

Le droit communautaire sanctionne d'ailleurs tant les discriminations directes qu'indirectes, lesquelles sont définies comme une "disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre [qui] affecte une proportion nettement plus élevée de personnes d'un sexe, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit approprié(e) et nécessaire et ne puisse être justifié(e) par des facteurs objectifs indépendants du sexe des intéressés".

Par ailleurs, la Directive n° 97/80/CE du Conseil du 15 décembre 1997, relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe (N° Lexbase : L8292AUN, JO 1998, L 14, p. 6), a mis en place un système d'allègement de la charge de la preuve des discriminations. C'est ainsi que toute personne s'estimant lésée doit seulement établir l'existence "des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte", ce qui contraindra alors l'employeur à "prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement" en dépit de cette apparence contraire (C. trav., art. L. 122-45 N° Lexbase : L3114HI8).

  • Pertinence des critères conduisant à des discriminations indirectes

Une femme, puisqu'il s'agira généralement de contester les discriminations favorisant les hommes, pourra tout d'abord chercher à établir qu'elle est l'objet d'une discrimination directe, en comparant sa situation à celle d'un travailleur masculin effectuant le même travail, ou un travail de valeur égale, sans aucun motif objectif valable. Elle pourra, également, prouver qu'elle est, en temps qu'appartenant à la communauté des travailleurs féminins, désavantagée par un critère de différenciation a priori licite mais qui conduit, dans les faits, à avantager les hommes.

Lorsqu'une femme établira l'existence de données statistiques qui démontrent qu'une pratique, a priori légitime, conduit en réalité à des écarts de traitement, l'employeur devra se justifier des raisons qui l'ont conduit à privilégier ce critère, à l'aide d'autres facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe (CJCE, 17 octobre 1989, précité ; CJCE, 27 juin 1990, aff. C-33/89, Maria Kowalska c/ Freie und Hansestadt Hamburg N° Lexbase : A9578AUB, Rec. p. I-2591 ; CJCE, 27 octobre 1993, aff. C-127/92, Pamela Mary Enderby c/ Frenchay Health Authority et Secretary of State for Health N° Lexbase : A0066AWD, Rec. p. 5535 ; CJCE, 17 juin 1998, aff. C-243/95, Kathleen Hill et Ann Stapleton c/ The Revenue Commissioners et Department of Finance N° Lexbase : A0163AWX, Rec. p. I-3739 ; CJCE, 23 octobre 2003, aff. C-4/02, Hilde Schönheit c/ Stadt Frankfurt am Main N° Lexbase : A9760C9D, Rec. p. I-12575).

Selon la Cour, cette justification "supplémentaire" doit être fondée sur un "but légitime" et les moyens choisis pour atteindre ce but doivent être "aptes et nécessaires à cet effet" (CJCE, 13 mai 1986, aff. C-170/84, Bilka - Kaufhaus GmbH c/ Karin Weber von Hartz N° Lexbase : A8290AUL, Rec. p. 1607). Les justifications fournies doivent, par ailleurs, être précises, la Cour ne se satisfaisant pas de simples affirmations générales (CJCE, 9 février 1999, aff. C-167/97, Regina c/ Secretary of State for Employment, ex parte Nicole Seymour-Smith et Laura Perez N° Lexbase : A7341AHD, Rec. p. 623).

Ainsi, la pondération qu'un Etat peut introduire entre l'ancienneté acquise par les travailleurs à temps plein et celle acquise par les travailleurs à temps partiel n'est pas suffisante dès lors que ce système conduit à moins bien rémunérer les femmes ; l'Etat devra alors prouver que ce critère de différenciation se trouve lui-même justifié, notamment, par la particularité des tâches confiées aux salariés à temps plein et l'expérience que l'exercice de ces tâches apporte après un certain nombre d'heures de travail effectuées (CJCE, 7 février 1991, aff. C-184/89, Helga Nimz c/ Freie und Hansestadt Hamburg N° Lexbase : A9822AUC, JCP éd. E, 1992, I, 151, p. 264, n° 2, obs. P.-H. Antonmattéi ; RTDE 1993, p. 82, obs. E. Traversa).

La CJCE a, par ailleurs, précisé que les éléments objectifs justifiant une différence, directe ou indirecte, de traitement, devaient être connus au moment de l'embauche des salariés et ne pouvaient pas être introduits en cours d'exécution du contrat de travail (CJCE, 26 juin 200,1 aff. C-381/99, Susanna Brunnhofer c/ Bank der österreichischen Postsparkasse AG N° Lexbase : A1939AWQ, Rec. p. 4961).

  • L'affaire

Cette affaire concernait les critères de mérite individuel et d'ancienneté qui étaient remis en cause. Une salariée se plaignait, en effet, de percevoir une rémunération sensiblement inférieure à quatre collègues ayant le même grade que le sien et qui avaient bénéficié d'un système conventionnel d'avancement qu'elle jugeait discriminatoire.

Pour justifier cette différence de traitement, l'employeur se fondait en effet sur les différents systèmes conventionnels applicables depuis plusieurs années et qui lui avaient permis d'individualiser l'augmentation des rémunérations selon un critère prenant en compte le mérite individuel des employés ainsi que leur expérience.

La juridiction de première instance saisie (Employment Tribunal) avait fait droit à la demande de la salariée et ordonné la révision des clauses relatives à sa rémunération, mais cette décision fut annulée (Employment Appeal Tribunal). La salarié saisit alors la cour d'appel (Court of Appeal) qui donna raison à l'employeur après avoir relevé que les différences de rémunération constatées résultaient directement du système conventionnel de rémunération tenant compte valablement de l'ancienneté et des performances individuelles des salariés.

  • La question préjudicielle

Dans l'entreprise en cause, comme dans l'ensemble du pays d'ailleurs, les femmes ont une ancienneté moyenne inférieure à celle des hommes, de telle sorte que la promotion de ce critère accentuerait, selon la salarié, les écarts de rémunération, contrairement aux objectifs poursuivis par la Directive 75/117.

C'est donc afin de faire préciser à la CJCE sa position concernant la prise en compte du critère de l'ancienneté et du mérite individuel que la Court of Appeal a décidé de surseoir à statuer et d'interroger la Cour sur le caractère suffisant de l'ancienneté et du mérite individuel comme critère justifiant une différence de traitement, dès lors que ces critères conduiraient à pérenniser des écarts de rémunération entre hommes et femmes.

  • Position antérieure de la Cour de justice

La CJCE avait déjà eu l'occasion de se prononcer sur des affaires où l'application du critère de l'ancienneté, en apparence parfaitement valable pour fonder une différence de traitement, conduisait à des écarts statistiques de rémunérations entre la population des femmes et des hommes. Dans son arrêt "Danfoss" du 17 octobre 1989 (préc., §. 24 et 25), la Cour avait considéré l'ancienneté comme un critère suffisant au regard de la légitimité des objectifs poursuivis par la Directive 75/117, la valorisation de l'ancienneté visant à "récompenser, notamment, l'expérience acquise qui met le travailleur en mesure de mieux s'acquitter de ses prestations" et constituant de ce fait "un but légitime de politique salariale".

  • Confirmation du caractère suffisant de l'ancienneté comme cause justificative d'une différence de rémunération

C'est cette analyse qui se trouve, ici, confirmée dans cet arrêt en date du 3 octobre 2006, la Cour confirmant la légitimité du but poursuivi par la prise en compte de l'ancienneté qui "va de pair avec l'expérience", cette dernière mettant "généralement le travailleur en mesure de mieux s'acquitter de ses prestations" (§. 35). Il est "dès lors loisible à l'employeur de rémunérer l'ancienneté, sans qu'il ait à établir l'importance qu'elle revêt pour l'exécution des tâches spécifiques qui sont confiées au travailleur" (§. 36). En d'autres termes, la valorisation de l'ancienneté, et au travers elle de l'expérience du salarié, constitue un élément justificatif à part entière qui n'impose pas de se référer en outre à une étude des tâches du salarié.

L'analyse du caractère pertinent du critère s'effectue ainsi in abstracto, pour l'ensemble des salariés, et non in concreto pour chaque emploi particulier, seule comptant alors "la nature du travail à accomplir" (CJCE, 1er juillet 1986, aff. C-237/85, Gisela Rummler c/ Dato-Druck GmbH N° Lexbase : A8226AU9, Rec. p. 2101, §. 13). L'employeur n'a donc, à ce stade du raisonnement, aucune justification supplémentaire à fournir au juge (cet arrêt, §. 40).

La Cour a, toutefois, considéré que la légitimité du critère de l'ancienneté pouvait être contestée lorsque le salarié "fournit des éléments susceptibles de faire naître des doutes sérieux" sur sa pertinence particulière, pour l'emploi en cause. Même si la CJCE n'a jamais consacré effectivement pareilles hypothèses, on pensera à l'employeur de mauvaise foi qui viserait délibérément l'ancienneté pour opérer une discrimination à l'égard des femmes.

  • L'apport de l'arrêt

Par ailleurs, et c'est sur ce point que la Cour précise sa jurisprudence antérieure, "lorsqu'est utilisé, pour la détermination de la rémunération, un système de classification professionnelle fondé sur une évaluation du travail à accomplir, il n'est pas nécessaire de démontrer qu'un travailleur pris individuellement a, pendant la période pertinente, acquis une expérience qui lui a permis de mieux accomplir son travail" (cet arrêt, §. 40).

En d'autres termes, le critère de la performance individuelle est également distinct de celui de l'ancienneté et de l'expérience. Les mérites du candidat pourront donc être appréciés au regard de son expérience acquise, mais également en fonction d'autres critères établissant son propre mérite, indépendant de l'expérience acquise, comme la vitesse d'exécution, la qualité du travail accompli, l'adaptabilité, l'autonomie, ou encore l'esprit d'initiative, toutes qualités qui ne relèvent pas nécessairement de l'acquis mais parfois de l'inné ...

II - Conformité du droit français

  • Position du droit français

La question de la justification des différences de traitement entre travailleurs de sexe différent, ou de même sexe depuis l'arrêt "Ponsolle" (Cass. soc., 29 octobre 1996, n° 92-43.680, Société Delzongle c/ Mme Ponsolle N° Lexbase : A9564AAH, Dr. soc. 1996, p. 1013, obs. A. Lyon-Caen), s'est, bien entendu, posée devant le juge français qui a élaboré une jurisprudence conforme à celle de la Cour de Luxembourg, même si elle apparaît, à l'examen, moins élaborée.

La Cour de cassation admet, en premier lieu, des éléments tirés de la situation personnelle des travailleurs, notamment pour prendre en compte la situation de famille (Cass. soc., 26 février 2002, n° 00-45.631, M. Roland Hommel c/ Société de secours minière (SSM) de Moselle-Est, FS-D N° Lexbase : A0707AYT).

Dernièrement, la Chambre sociale de la Cour de cassation donnait, dans un arrêt malheureusement non publié, une liste d'éléments objectifs justifiant une différence de traitement entre travailleurs de même sexe : "coefficient, classification, qualification, ancienneté, connaissances professionnelles, diplômes, expérience, responsabilité" (Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-45.592, Société d'exploitation mixte des transports de l'agglomération de Montpellier (TAM), F-D N° Lexbase : A8554DPI).

La Cour a admis que la différence de qualité du travail fourni était de nature à justifier une différence de traitement (Cass. soc., 8 novembre 2005, n° 03-46.080, F-D N° Lexbase : A5107DLQ), s'inscrivant ainsi parfaitement dans la jurisprudence de la CJCE.

  • Valeur du critère de l'ancienneté

La Cour a, également, développé une jurisprudence très intéressante concernant l'ancienneté du salarié dans l'entreprise.

Il ne faut, tout d'abord, pas confondre l'ancienneté et la date d'embauche. Ce n'est, en effet, que parce qu'une différence relative à la date d'embauche place les salariés dans une situation différente qu'elle sera admise comme justification d'une différence de traitement ; à défaut l'argument ne convaincra pas (Cass. soc., 25 mai 2005, n° 04-40.169, FS-P+B N° Lexbase : A4304DIA ; CA Paris, ch. soc., 25 novembre 2003, n° 03/37739, BICC n° 638 du 15 avril 2006, n° 813 : "En tout état de cause, la disparité de situation suivant que les salariés occupaient ou non leurs fonctions à compter d'une date donnée n'est pas de nature à justifier une différence de traitement entre salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale").

L'employeur pourra alors faire état du passage aux trente-cinq heures qui menace la rémunération des salariés embauchés sous l'empire des trente-neuf heures, et qui pourront alors valablement percevoir une garantie mensuelle de rémunération pour compenser la diminution de leur salaire (Cass. soc., 1er décembre 2005, n° 03-47.197, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8452DLM, et nos obs., Le principe "A travail égal, salaire égal" impuissant à réduire les inégalités résultant du passage aux 35 heures, Lexbase Hebdo n° 193 du 8 décembre 2005 - édition sociale N° Lexbase : N1672AK7 ; JCP éd. G, 2005, II, 10017, note D. Corrignan-Carsin : "un salarié, engagé postérieurement à la mise en oeuvre d'un accord collectif de réduction du temps de travail, ne se trouve pas dans une situation identique à celle des salariés présents dans l'entreprise à la date de conclusion dudit accord et ayant subi une diminution de leur salaire de base consécutive à la réduction de la durée du travail, diminution que l'attribution de l'indemnité différentielle a pour objet de compenser". Solution conforme à CJCE, 30 mars 2000, aff. C-236/98, Jämställdhetsombudsmannen c/ Örebro läns landsting N° Lexbase : A1827AWL).

La Cour de cassation a également considéré comme pertinents les critères tirés de l'expérience ou de l'ancienneté acquis par le salarié dans l'entreprise (CA Paris, 18ème ch., sect. D, 7 octobre 2003, n° 01/38194, BICC n° 602 du 15 juillet 2004, n° 1155).

L'argument doit, toutefois, être apprécié avec discernement, et l'ancienneté ne pourra pas utilement justifier une différence de traitement si l'employeur valorise déjà ce critère par ailleurs (Cass. soc., 28 avril 2006, n° 03-47.171, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2049DPL : "le statut d'intermittent du spectacle d'une salariée, ainsi que son ancienneté non prise en compte par ailleurs, pouvaient justifier à son seul profit la différence de rémunération" ; et nos obs. L'ancienneté et la situation juridique du salarié dans l'entreprise peuvent justifier une atteinte au principe "à travail égal, salaire égal", Lexbase Hebdo n° 213 du 3 mai 2006 - édition sociale N° Lexbase : N7835AKE), notamment par l'attribution d'une prime d'ancienneté (Cass. soc., 29 octobre 1996, Société Delzongle c/ Mme Ponsolle, préc.).

  • Valeur du mérite individuel

Dernièrement, la Cour de cassation a, également, validé des systèmes conventionnels prenant en compte des "parcours professionnels spécifiques", c'est-à-dire "une organisation de la gestion des situations professionnelles est mise en place, par la création d'un système de carrière se composant de l'avancement conventionnel, du développement et du parcours professionnel, pour assurer de nouvelles perspectives de carrière aux agents et ainsi reconnaître l'acquisition de compétences professionnelles" (Cass. soc., 3 mai 2006, n° 03-42.920, Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France (CRAMIF) c/ Mme Catherine Lefebvre, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2459DPR, et nos obs., L'égalité salariale n'est pas l'identité salariale, Lexbase hebdo n° 214 du 10 mai 2006 - édition sociale N° Lexbase : N8019AK9 ; Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-41.774, Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France (CRAMIF), F-D N° Lexbase : A0047DQS ; Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 05-44.404, inédit N° Lexbase : A4681DQG).

L'examen de la jurisprudence nationale montre ainsi que la prise en compte de l'expérience et de l'ancienneté est de nature à justifier pleinement une différence de traitement, même si la Cour de cassation n'a pas eu à connaître d'affaires aussi complexes que celle qui a donné lieu à l'arrêt rendu par la CJCE le 3 octobre 2006.

Il est d'ailleurs plus que vraisemblable que de telles affaires ne viendront pas devant le juge national, singulièrement après cet arrêt de la Cour de justice en date du 3 octobre 2006. En affirmant que les critères d'ancienneté et de mérites individuels suffisaient à justifier une différence de traitement entre salariés de sexes différents, et à plus forte raison entre salariés de même sexe, et ce même s'ils conduisent à des écarts statistiques entre femmes et hommes, la Cour de justice ferme la porte à des contestations sans fin de salariés qui, au nom du respect de leur "genre", et le nez rivé sur les statistiques obligatoirement fournies dans le cadre des négociations obligatoires (C. trav., art. L. 132-12 et s. N° Lexbase : L3144HIB, L. 132-27 et s. N° Lexbase : L3139HI4), prétendront parvenir à une égalité parfaite.

Faut-il le rappeler, l'égalité républicaine n'est pas la parité, mais simplement l'égalité des chances dans le respect des mérites individuels ; comme le disait justement Françoise Giroud, non sans un certain humour, "la femme serait vraiment l'égale de l'homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente" (extrait du journal Le Monde du 11 mars 1983).