Décision
CJCE, 18 mars 2004, aff. C-342/01, María Paz Merino Gómez c/ Continental Industrias del Caucho SA (N° Lexbase : A5883DBI) Congé maternité ; égalité de traitement entre hommes et femmes ; prise du congé maternité ; coïncidence avec la période de congés annuels payés fixée par accord collectif pour l'ensemble du personnel.
Textes applicables Liens bases : N° Lexbase : E1803AAZ ; N° Lexbase : E2643ASP |
Faits
Une employée de la société espagnole Continental Industrias avait pris son congé maternité du 5 mai 2001 au 24 août 2001. Cette période coïncidait avec la période des congés annuels payés fixés, pour l'ensemble du personnel, par un accord collectif. Aux termes de cet accord, la travailleuse n'était donc pas autorisée à prendre son congé annuel en septembre 2001, pendant la période "exceptionnelle". Pourtant, elle avait demandé à bénéficier de ce congé annuel pendant la période qui suit son congé maternité, soit du 25 août au 21 septembre 2001 ou, subsidiairement, du 1er au 27 septembre 2001. La société ayant refusé sa demande, la salariée saisit alors la juridiction espagnole compétente. Cette dernière saisit la Cour de justice des Communautés européennes de la question préjudicielle suivante : "lorsque des accords collectifs conclus entre l'entreprise et les représentants des travailleurs fixent les dates de congés pour l'ensemble du personnel et que ces dates coïncident avec le congé de maternité d'une travailleuse, l'article 7, paragraphe 1, de la directive 93/104, l'article 11, point 2, sous a), de la directive 92/85 et l'article 5, paragraphe 1, de la directive 76/207 garantissent-ils le droit pour cette travailleuse de bénéficier de son congé annuel lors d'une période distincte de celle convenue et ne coïncidant pas avec celle de son congé de maternité?". |
Solution
"Une travailleuse doit pouvoir bénéficier de son congé annuel lors d'une période distincte de celle de son congé de maternité, également en cas de coïncidence entre la période de congé de maternité et celle fixée à titre général, par un accord collectif, pour les congés annuels de l'ensemble du personnel". |
Commentaire
1. Le congé maternité : une finalité différente de celle du congé annuel Le congé annuel, fixé conventionnellement pour l'ensemble du personnel, peut-il primer sur le droit aux congés octroyés à titre individuel ? A cette question, les juges espagnols répondent classiquement par l'affirmative et considèrent qu'en cas de coïncidence entre les dates de congés maternité et les dates fixées conventionnellement pour l'ensemble du personnel, la travailleuse ne peut prendre son congé annuel lors d'une période distincte de celle qui a été convenue par accord collectif. Pourtant, dans cette affaire, la juridiction de renvoi devant laquelle l'affaire était portée ne partageait pas le même avis et a demandé une interprétation communautaire de cette question. Aux yeux de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), la finalité du congé annuel est distincte de celle du congé de maternité. Le congé annuel payé permet au travailleur de bénéficier d'un repos effectif, dans un souci de protection efficace de sa sécurité et de sa santé (CJCE, 26 juin 2001, aff. C-173/99, The Queen c/ Secretary of State for Trade and Industry, ex parte Broadcasting, Entertainment, Cinematographic and Theatre Union (BECTU) N° Lexbase : A1717AWI). Le droit au congé annuel payé est consacré par l'article 7 § 1 de la directive (CE) 93/104 du conseil du 23 novembre 1993 aux termes duquel travailleur doit bénéficier d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines (directive (CE) 93/104 du conseil du 23 novembre 1993 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail N° Lexbase : L7793AU8). Il s'agit ici d'un minimum et les Etats membres peuvent toujours fixer une durée de congés supérieure. Selon la CJCE, le droit au congé annuel payé de chaque travailleur est un principe du droit social communautaire revêtant une importance particulière auquel il ne peut être apporté aucune dérogation par les autorités nationales. Le congé maternité a, quant à lui, une finalité qui va bien au-delà du repos effectif puisqu'il a pour objectif la protection, d'une part, de la condition biologique de la femme au cours de sa grossesse et, d'autre part, du lien particulier qui unit la femme et son enfant et qui fait suite à la grossesse et à l'accouchement. Cette solution a été posée à de nombreuses reprises par la Cour (voir, par exemple, CJCE, 27 octobre 1998, aff. C-411/96, Margaret Boyle e.a. c/ Equal Opportunities Commission N° Lexbase : A8070AYK ; CJCE, 30 avril 1998, aff. C-136/95, Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) c/ Evelyne Thibault N° Lexbase : A9818AU8) qui attribue au congé maternité un rôle spécifique, inhérent à la grossesse et à la maternité. C'est donc sur le fondement de cette différence de finalité entre le congé maternité et le congé annuel que la CJCE considère qu'en cas de coïncidence entre les dates des deux types de congés, les exigences du droit communautaire ne sont pas remplies. 2. Vers une égalité substantielle et non formelle En outre, pour répondre à la question préjudicielle qui lui était soumise, la Cour rappelle qu'aux termes de la directive (CE) 92/85 du conseil du 19 octobre 1992 (directive (CE) 92/85 du conseil du 19 octobre 1992 concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail N° Lexbase : L7504AUH), les droits liés au contrat de travail doivent être maintenus, conformément aux législations nationales, dans le cas d'un congé de maternité. En posant ce principe, le droit communautaire vise à garantir la protection de la sécurité et de la santé des travailleuses. Cela implique, ajoute la directive, le maintien des droits liés au contrat de travail ainsi que le maintien d'une rémunération et, éventuellement, le bénéfice d'une prestation adéquate. Le maintien du droit à un congé annuel payé en cas de congé maternité est, en outre, explicitement visé par la directive. La Cour analyse également cette affaire au regard du principe d'égalité de traitement. Ainsi, concernant la fixation dans le temps du congé annuel payé, la directive (CE) 76/207 du conseil du 9 février 1976 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (N° Lexbase : L9232AUH) vise à obtenir, selon la CJCE, "une égalité substantielle et non formelle". Dans un arrêt en date du 30 avril 1998, la CJCE a ainsi interprété cette directive en ce sens que "l'exercice des droits conférés aux femmes conformément à l'article 2, paragraphe 3, ne peut faire l'objet d'un traitement défavorable en ce qui concerne leur accès à l'emploi ainsi que leurs conditions de travail" (CJCE, 30 avril 1998, aff. C-136/95, Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) c/ Evelyne Thibault N° Lexbase : A9818AU8). En outre, l'article 5 § 1 de la même directive interdit explicitement, en vertu du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne les conditions de travail, toute discrimination fondée sur le sexe. Les répercussions de cette décision sont importantes en France, puisque notre droit prévoit -tout comme dans l'ordonnancement espagnol- la fixation de la période de congé payé par les conventions ou accords collectifs de travail (C. trav., art. L. 223-7 N° Lexbase : L5925ACG). Ce type de litige n'a pas encore été tranché, à notre connaissance, par la Cour de cassation mais si un tel cas lui était soumis, la Cour Suprême devrait, sans aucun doute, statuer en conformité avec le droit communautaire. Selon la Cour, sur le fondement de cette directive et du principe d'égalité de traitement qui en découle, une travailleuse doit pouvoir bénéficier d'une période de congés annuels et d'une période distincte de congé maternité. Concrètement, c'est la période de congé maternité qui prévaut chronologiquement sur la période de congés payés, cette dernière étant reportée à une période postérieure au congé maternité. Cette solution est logique. En effet, la période de congé maternité ne peut pas, par définition, être choisie par la travailleuse puisqu'elle est liée à la grossesse et à l'accouchement. Le congé maternité n'est pas un congé ordinaire dont la date peut être choisie et décalée comme celle d'un départ en vacances. Sa finalité, ainsi que l'a rappelé la Cour, est différente de celle du congé annuel payé, lequel permet simplement aux travailleurs de bénéficier d'un repos effectif. Peu importe donc, selon la CJCE, qu'un accord collectif vienne fixer pour tout le personnel une période de congé annuel. Pour se conformer au principe d'égalité de traitement et de non-discrimination et pour garantir le droit aux congés annuels, l'accord collectif fixant pour l'ensemble du personnel la période de congés annuels payés aurait dû envisager la situation particulière des travailleuses enceintes de l'entreprise, en leur garantissant le double droit aux congés, de maternité et annuels. En omettant de le faire, cet accord viole le droit communautaire. Cette solution doit être approuvée en ce qu'elle est en adéquation avec la finalité particulière du congé maternité. On peut toutefois s'interroger sur les extensions possibles de cette interprétation de la CJCE à d'autres types de congés. Le congé paternité, par exemple, pourrait-il, au même titre que le congé maternité, permettre au père de reporter ses congés annuels payés ? Rien n'est moins sûr, si l'on s'en tient à l'un des fondements invoqués par la Cour dans cette décision et tenant à la finalité protectrice de la condition biologique de la femme au cours de sa grossesse. Pourtant, à l'inverse, le principe d'égalité de traitement, également invoqué par la Cour, ferait plutôt pencher la balance en faveur d'un alignement du régime du congé paternité sur celui du congé maternité. A trop multiplier leurs fondements juridiques, les décisions de la CJCE risquent, comme on le voit ici, de perdre en lisibilité ! |