[Jurisprudence] La contrepartie financière de la clause de non-concurrence a une nature salariale

par Sonia Koleck-Desautel, Docteur en droit, Chargée d'enseignement à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Encore une fois, la clause de non-concurrence fait parler d'elle. Après avoir opéré un revirement de jurisprudence en conditionnant la validité d'une telle clause à l'existence d'une contrepartie pécuniaire (Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.135 N° Lexbase : A1225AZE, 00-45.387 N° Lexbase : A1227AZH, 99-43.334 N° Lexbase : A0769AZI ; Cass. soc., 18 septembre 2002, n° 99-46.136 N° Lexbase : A4510AZ3), la Cour de cassation se penche à présent sur le régime juridique de cette contrepartie. L'arrêt rendu le 26 septembre dernier par la Chambre sociale de la Cour de cassation précise en effet que "la contrepartie financière de l'obligation de non-concurrence a, quelle que soit la qualification contractuelle que lui donnent les parties, la nature d'une indemnité compensatrice de salaire". Une nouvelle fois, cet arrêt témoigne de la volonté des juges d'exercer un véritable contrôle sur la clause de non-concurrence.

Dans cette affaire, un VRP embauché en 1983 et dont le contrat de travail comportait une clause de non-concurrence est licencié en 1990. L'employeur n'ayant apparemment pas versé au salarié la contrepartie pécuniaire mensuelle prévue par l'accord national interprofessionnel des VRP, le salarié réclame en justice le paiement de ces sommes. La cour d'appel de Toulouse fait droit à la demande du salarié, estimant que la prescription quinquennale prévue par l'article 2277 du Code civil (N° Lexbase : L2564ABL) est inapplicable au paiement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence. Selon elle, en effet, la contrepartie financière constituant un dédommagement à l'interdiction faite au VRP de pratiquer la même activité pour son compte ou pour une entreprise concurrente, elle est de nature indemnitaire.

Ce raisonnement est censuré par la Cour de cassation qui énonce que "la contrepartie financière de l'obligation de non-concurrence a, quelle que soit la qualification contractuelle que lui en donnent les parties, la nature d'une indemnité compensatrice de salaire dont l'action en paiement se prescrit par cinq ans, conformément à l'article 2277 du Code civil". Le délai de prescription s'étant écoulé, l'employeur ne pouvait être condamné au paiement d'une telle contrepartie.

L'indemnité compensatrice n'a pas le caractère de dommages-intérêts, mais présente une nature salariale : elle est en effet allouée en raison d'un travail antérieur ; c'est un élément de rémunération destiné à compléter forfaitairement le salaire en raison de l'existence de la clause de non-concurrence (Cass. soc., 8 juin 1999, n° 96-45.616 N° Lexbase : A6948AHS). La solution n'est pas nouvelle, mais elle intervient à une période où la Cour de cassation s'emploie à contrôler la validité des clauses de non-concurrence. Ainsi, l'intérêt de cet arrêt est de préciser que la volonté des parties ne peut pas se soustraire à cette règle en en décidant autrement : "quelle que soit la qualification contractuelle que lui donnent les parties", l'indemnité ne peut pas avoir le caractère de dommages-intérêts mais a nécessairement la nature d'une indemnité compensatrice de salaire (cette expression rappelle celle utilisée par les juges qui décident traditionnellement que l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donné à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs : Cass. soc., 16 janvier 2002, RJS 2002, n° 253 N° Lexbase : A8100AXB). Il s'agit de la simple application de l'article 12 du Nouveau Code de procédure civile qui permet aux juges de donner l'exacte qualification aux faits et actes litigieux indépendamment de ce qu'en ont décidé les parties.

Plusieurs conséquences découlent de la nature salariale de l'indemnité de non-concurrence.

D'une part, l'indemnité de non-concurrence suit le régime juridique du salaire et doit notamment être soumise à cotisations (Cass. soc., 13 janvier 1998, n° 95-41.467 N° Lexbase : A2513AC3  ; Cass. soc., 6 juillet 2000, n° 98-15.307 N° Lexbase : A8266AHM), à la CSG et à la CRDS.
C'est d'ailleurs parce qu'elle est assujettie à cotisations qu'elle doit être calculée sur la base du salaire brut (Cass. soc., 12 octobre 1993, n° 90-42.120 N° Lexbase : A1760AAG ; Cass. soc., 13 janvier 1998 N° Lexbase : A2513AC3).

C'est également parce qu'elle a une nature salariale que l'indemnité de non-concurrence est soumise à la prescription quinquennale prévue par l'article 2277 du Code civil auquel renvoie l'article L.143-14 du Code du travail (N° Lexbase : L5268AC4). Ces textes prévoient en effet que l'action en paiement du salaire se prescrit par cinq ans, à la différence des dommages-intérêts qui eux sont soumis à la prescription trentenaire. Cette prescription commence à courir à compter de la date à laquelle les salaires deviennent exigibles, c'est-à-dire à la date de la paie.

Par ailleurs, l'indemnité de non-concurrence étant la contrepartie d'une obligation, elle ne constitue pas une peine susceptible d'être révisée par le juge en application de l'article 1152 du Code civil (Cass. soc., 26 mai 1988, n° 85-45.074 N° Lexbase : A3815AAK ; Cass. soc., 19 juillet 1988, n ° 85-43.179 N° Lexbase : A1492AHQ).
Ainsi, même si la Cour de cassation a, par son arrêt rendu le 18 septembre 2002 (N° Lexbase : A4454AZY), "généralisé le pouvoir de révision du juge sur la clause de non-concurrence" (C. Radé, Clauses de non-concurrence : l'emprise des juges se confirme, Lexbase Hebdo n° 41 du 3/10/2002), elle ne pourra en aucun cas autoriser les juges à réviser le montant de l'indemnité de non-concurrence qui pourra seulement faire l'objet d'une requalification (nature salariale) par le juge.