[Jurisprudence] Amiante : la reconnaissance par la Cour de cassation du caractère inexcusable de la faute de l'employeur



Dans 29 arrêts, dont 6 sont parus sur le site de la Cour de cassation (Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-10.051, n° 99-18.389, n° 00-11.793 et 99-18.390, n° 99-21.255, n° 99-17.201 et n° 00-13.172), celle-ci a reconnu pour la première fois le caractère inexcusable de la faute de l'employeur pour avoir exposé ses salariés à des poussières d'amiante, confirmant ainsi la solution dégagée par plusieurs cours d'appel (v. not. CA Paris du 25 juin 2001, Sté Everite, N° Lexbase : A6445ATU). En effet, dans ces espèces, elle indique qu'"en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable [...] lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver". Or, elle considère que les sociétés mises en cause avaient ou auraient dû avoir conscience du danger lié à l'amiante et qu'elles n'avaient pas pris les mesures nécessaires pour en préserver leurs salariés.

L'évolution jurisprudentielle de la notion de faute inexcusable

Classiquement, depuis un arrêt du 15 juillet 1941 (Cass. ch. réunies, 15 juillet 1941, n° 00-26.836), la Cour de cassation retenait une définition de la faute inexcusable composée de plusieurs éléments :

- l'employeur devait être à l'origine d'une faute d'une gravité exceptionnelle dérivant d'un acte ou d'une omission volontaire ;
- l'employeur devait avoir conscience du danger ; cette conscience du danger s'appréciant in abstracto, en fonction de la législation en vigueur et des connaissances scientifiques de l'époque ;
- il ne devait pas y avoir de cause justificative ;
- la faute devait constituer la cause déterminante de la maladie professionnelle ;
- la faute se distinguait de la faute intentionnelle.

Avec les arrêts du 28 février 2002, la Chambre sociale de la Cour de cassation revient sur cette définition bien établie (v. not., Cass. soc., 31 janvier 2002, N° Lexbase : A8944AXK). En effet, elle fait désormais peser sur l'employeur qu'il soit producteur ou transformateur d'amiante ou encore utilisateur d'amiante une obligation de résultat envers le salarié en matière de sécurité. La charge de la preuve se voit donc renversée : il ne sera plus nécessaire de prouver la faute inexcusable, le simple manquement à l'obligation de sécurité la constituant. Ce sera ainsi à l'employeur de démontrer qu'il a rempli son obligation, en ayant pris les mesures nécessaires pour préserver la santé de ses salariés. Dans les 29 espèces, les juges ont estimé que les employeurs n'avaient pas pris les mesures nécessaires pour préserver la santé de leurs salariés, en dépit du fait qu'ils avaient ou auraient dû avoir connaissance du danger auquel leurs salariés étaient exposés. En effet, dès 1950, les maladies respiratoires liées à l'amiante figuraient sur un tableau des maladies professionnelles et, par la suite, un décret du 17 août 1977 était venu imposer des mesures particulières d'hygiène dans les entreprises où les salariés étaient exposés à des poussières d'amiante.


Les conséquences de la reconnaissance de la faute inexcusable

Les conséquences de ces arrêts sont importantes pour les victimes ou ayants droit de la victime décédée. En effet, en principe, les maladies professionnelles sont forfaitairement indemnisées par les caisses de Sécurité sociale sans qu'il soit nécessaire de prouver la faute de l'employeur.

Toutefois, en cas de faute inexcusable de l'employeur, la victime peut obtenir une indemnisation supplémentaire de ses préjudices particuliers et, au cas où elle serait décédée, ses ayants droit peuvent obtenir la réparation de leur préjudice moral (L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale, N° Lexbase : L5302ADQ).

Mais la Chambre sociale de la Cour de cassation va encore plus loin, affirmant pour la première fois la transmissibilité de l'action en réparation de la victime à ses héritiers. Ainsi, les héritiers de la victime décédée pourront désormais obtenir, outre la réparation de leur préjudice moral, la réparation du préjudice subi personnellement par la victime décédée (Cass. soc., 28 février 2002, N° Lexbase : A0602AYX).

Ces indemnités sont versées par les caisses d'assurance maladie lesquelles peuvent se retourner contre les employeurs.


Valérie Boccara
Rédaction Droit social


Cass. soc., 28 février 2002, n° 99-18.389, N° Lexbase : A0766AYZ
Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-11.793 et 99-18.390, N° Lexbase : A0602AYX
Cass. soc., 28 février 2002, n ° 99-21.255, N° Lexbase : A0773AYB
Cass. soc., 28 février 2002, n° 99-17.201, N° Lexbase : A0761AYT
Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-13.172, N° Lexbase : A0610AYA