[A la une] Associations : la signature d'un contrat de bénévolat n'exclut pas l'existence d'un contrat de travail





La Chambre sociale de la Cour de cassation, dans un important arrêt rendu le 29 janvier 2002, énonce que la seule signature d'un contrat de bénévolat entre une association et une personne n'ayant pas la qualité de sociétaire, n'exclut pas l'existence d'un contrat de travail, dès l'instant que les conditions en sont remplies. Au-delà de cette affirmation qui risque d'avoir un certain retentissement, elle rappelle fermement la règle selon laquelle la seule volonté des parties est impuissante à écarter la qualification de contrat de travail alors que les conditions d'un tel contrat sont réunies.

Dans cette affaire, des contrats de bénévolat sont conclus entre d'une part, l'association de la Croix rouge française et, d'autre part, deux personnes ; ces dernières participent durant plusieurs années, en qualité d'accompagnateurs puis de chefs de convoi, au service d'accompagnement de personnes voyageant seules et mis en place par la Croix rouge. Postérieurement à la cessation de cette activité, les deux "bénévoles" saisissent la juridiction prud'homale de demandes tendant à la reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail et à l'obtention de diverses sommes consécutives à la rupture de celui-ci.

La cour d'appel de Paris, saisie de l'affaire, fait droit à la demande des requérants. Elle requalifie les contrats de bénévolat en contrats de travail et condamne la Croix rouge au versement de diverses indemnités de rupture afférentes. Elle se fonde sur l'existence d'une rémunération et d'un lien de subordination unissant la Croix rouge aux deux requérants.

L'association forme alors un pourvoi en cassation. Elle considère notamment que l'existence d'un contrat de bénévolat exclut la possibilité de se prévaloir ultérieurement d'un contrat de travail rémunéré ; selon elle, les intéressés, en signant ces contrats, ont reconnu de façon expresse le caractère bénévole de leur intervention.

La Cour de cassation rejette le pourvoi ainsi formé. Elle énonce que, dans le cadre d'une association, "les membres adhérents de celle-ci peuvent accomplir, sous l'autorité du président de l'association ou de son délégataire, un travail destiné à la réalisation de l'objet social, en ne percevant, le cas échéant, que le strict remboursement des frais exposés par eux, et ceci sans relever des dispositions du Code du travail (...)". En revanche, dès l'instant que les conditions d'existence d'un contrat de travail sont remplies, "la seule signature d'un contrat dit de bénévolat entre une association et une personne n'ayant pas la qualité de sociétaire, n'exclut pas l'existence d'un contrat de travail (...)".

Or, en l'espèce, la cour d'appel a relevé d'une part, que les intéressés percevaient une somme forfaitaire dépassant le montant des frais professionnels réellement exposés dans le cadre de leurs missions, d'autre part, qu'ils effectuaient un travail d'accompagnement des voyageurs sous les ordres et selon les directives de l'association, qui avait le pouvoir d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements éventuels. Par conséquent, les critères de l'existence de contrat de travail étant remplis, les intéressés étaient liés à la Croix rouge par un contrat de travail.

Cette décision est une nouvelle illustration des nombreux litiges portant sur l'existence d'un contrat de travail ; l'enjeu est de taille puisqu'il réside dans l'application des dispositions du Code du travail (indemnités de rupture, application des conventions collectives, droit aux congés payés...) et du régime général de la Sécurité sociale.

Peu importe que les parties aient dénommé le contrat les unissant contrat de bénévolat, la Cour de cassation considère classiquement que la seule volonté des parties ne peut pas soustraire un salarié au statut social qui découle nécessairement des conditions d'accomplissement de son travail (Ass. Plén., 4 mars 1983, n° 81-15.290, N° Lexbase : A3665ABD). L'existence d'une relation de travail dépend des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité du salarié (Cass. soc., 17 avril 1991, n° 88-40.121, N° Lexbase : A9244AAM). La dénomination d'un contrat, choisie par les parties, ne s'impose ni aux juges, ni à l'URSSAF.

Il reste à définir le contrat de travail. Le salariat n'est pas défini par le Code du travail. Les critères permettant d'établir l'existence d'un contrat de travail ont été fixés par la jurisprudence ; ils sont rappelés par le présent arrêt. La relation de travail salariée se caractérise par trois éléments : l'état de subordination du salarié, l'existence d'une rémunération, et l'existence d'une prestation de travail.

La prestation de travail est un critère supplétif du lien de subordination pour déterminer la présence d'un contrat de travail ; elle peut avoir pour objet les tâches les plus diverses, effectuées dans n'importe quel secteur professionnel (artisanal, industriel, agricole).

Le lien de subordination, critère essentiel mais non déterminant, à lui seul, de la relation de travail salariée, est caractérisé par "l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné " (Cass. soc., 13 novembre 1996, n° 94-13.187, N° Lexbase : A9731ABZ). L'exercice de l'activité au sein d'un service organisé peut constituer un indice de l'état de subordination de la personne lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail (Cass. soc., 23 avril 1997, n° 94-40.909, N° Lexbase : A1597AC7).

Enfin, le versement d'une rémunération est un critère nécessaire, qui permet de distinguer le contrat de travail du contrat de bénévolat, mais il ne constitue pas un critère exclusif et déterminant (Cass. soc., 26 novembre 1987, n° 84-41.074, N° Lexbase : A6731AHR). En effet, le versement d'une rémunération est insuffisant à lui seul pour caractériser l'existence d'un contrat de travail alors qu'un lien de subordination n'est pas établi.

Mais au-delà de ces classiques critères de reconnaissance du contrat de travail et de leur appréciation par les juges, l'arrêt ici commenté a un apport bien plus intéressant. Il est à examiner au regard d'un autre arrêt rendu quelques mois plus tôt par la Chambre sociale. En effet, dans un arrêt en date du 9 mai 2001 (Cass. soc. 9 mai 2001, n° 98-46.158, N° Lexbase : A4169ATL), les magistrats avaient exclu l'existence d'un contrat de travail entre un compagnon et la communauté Emmaüs estimant " qu'en intégrant la communauté Emmaüs en qualité de compagnon, M. ... s'était soumis aux règles de vie communautaire qui définissent un cadre d'accueil comprenant la participation à un travail destiné à l'insertion sociale des compagnons et qui est exclusive de tout lien de subordination".

Au vu de ces deux arrêts, il semble bien que le point névralgique de l'existence d'un contrat de travail entre un bénévole et une association soit la qualité de sociétaire de cette dernière. En effet, dans l'arrêt du 9 mai 2001, la personne en cause avait "intégré en qualité de compagnon" la communauté. De même, dans l'arrêt ici commenté, les magistrats précisent que "la seule signature entre une association et une personne n'ayant pas la qualité de sociétaire n'exclut pas l'existence d'un contrat de travail".

Désormais, la qualité de bénévole non-sociétaire d'une association n'exclut plus que la relation avec l'association puisse être requalifiée en contrat de travail. Il est à ne pas douter qu'un tel arrêt risque de faire grand bruit au sein des associations, qui ont tout intérêt à contrôler sévèrement les conditions d'emploi de leurs bénévoles si elles ne veulent pas aller au devant de graves déconvenues....

Sonia Koleck-Desautel
Docteur en droit


A lire également :

"Les critères de distinction du contrat de travail avec d'autres statuts" dans la base juridique "Droit du travail" N° Lexbase : E2108AG8