Cass. QPC, 16-04-2010, n° 10-40.002



COUR DE CASSATION LM QUESTION PRIORITAIRE de CONSTITUTIONNALITÉ

Audience publique du 16 avril 2010

M. LAMANDA, premier président Transmission à la Cour de justice de l'Union européenne Arrêt ND

Pourvoi n° N 10-40.002

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS LA COUR DE CASSATION a rendu l'arrêt suivant

Vu l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Lille du 25 mars 2010 transmettant à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité, reçue le 29 mars 2010 ;

Rendue dans l'instance mettant en cause M. Sélim Z ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément aux articles L. 23-6 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, R. 461-2, R. 461-4 et R. 461-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique de ce jour, Sur le rapport de M. Falcone, conseiller, assisté de M. ..., auditeur au Service de documentation, des études et du rapport, les observations orales de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. Z, l'avis de M. Domingo, avocat général, et après en avoir immédiatement délibéré conformément à la loi ;

Vu l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Vu l'article 61-1 de la Constitution ;

Vu les articles 23-2 et 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 créés par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 ;

Attendu que M. Z, de nationalité algérienne, en situation irrégulière en France, a fait l'objet, en application de l'article 78-2, alinéa 4, du code de procédure pénale, d'un contrôle de police dans la zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec la Belgique et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà ; que le 23 mars 2010, le préfet du Nord lui a notifié un arrêté de reconduite à la frontière et une décision de maintien en rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire ;que, devant le juge des libertés et de la détention saisi par le préfet d'une demande de prolongation de cette rétention, M. Z a déposé un mémoire posant une question prioritaire de constitutionnalité et soutenu que l'article 78-2, alinéa 4, du code de procédure pénale portait atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ;

Attendu que, le 25 mars 2010, le juge des libertés et de la détention a ordonné la transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité suivante "l'article 78-2, alinéa 4, du code de procédure pénale, porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution de la République française ?" et a ordonné la prolongation de la rétention de M. Z pour une durée de quinze jours que cette ordonnance a été reçue à la Cour de cassation le 29 mars 2010 ;

Attendu que pour soutenir que l'article 78-2, alinéa 4, du code de procédure pénale est contraire à la Constitution, le demandeur invoque l'article 88-1 de celle-ci qui dispose que "la République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement d l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité de Lisbonne le 13 décembre 2007" ;

Qu'il fait valoir que les engagements résultants du traité de Lisbonne, dont celui concernant la libre circulation des personnes, ont une valeur constitutionnelle au regard de l'article 88-1 de la Constitution, et que l'article 78-2, alinéa 4, du code de procédure pénale qui autorise des contrôles aux frontières de la France avec les États membres est contraire au principe de la libre circulation des personnes posé par l'article 67 du Traité de Lisbonne qui prévoit que l'Union assure l'absence de contrôles des personnes aux frontières intérieures ; qu'il en déduit que l'article 78-2, alinéa 4, du code de procédure pénale est contraire à la Constitution ;

Attendu que l'article 67 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne signé le 13 décembre 2007 prévoit notamment que "l'Union ... assure l'absence de contrôles des personnes aux frontières intérieures" ; que cette disposition ne reprend pas la dérogation au principe de la libre circulation résultant de l'ordre public ou de la sécurité nationale contenue dans la Convention signée à Schengen le 19 juin 1990 ;

Qu'ainsi est posée la question de la conformité de l'article 78-2, alinéa 4, du code de procédure pénale à la fois au droit de l'Union et à la Constitution de la république française ;

Attendu que l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, créé par la loi organique du 10 décembre 2009, prévoit, dans son alinéa 3, que "en tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation", auxquels il appartient de décider de saisir le Conseil constitutionnel ;

Qu'il résulte de ce texte que les juges du fond ne peuvent pas statuer sur la conventionalité d'une disposition légale avant de transmettre la question de constitutionnalité ;

Que l'article 62 de la Constitution disposant que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours et qu'elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnels, les juridictions du fond se voient privées, par l'effet de la loi organique du 10 décembre 2009, de la possibilité de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne avant de transmettre la question de constitutionnalité ; que si le Conseil constitutionnel juge la disposition législative attaquée conforme au droit de l'Union européenne, elles ne pourront plus, postérieurement à cette décision, saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle ;

Que, de même, aux termes de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 sur le Conseil constitutionnel, telle que modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, la Cour de cassation ne pourrait non plus, en pareille hypothèse, procéder à une telle saisine malgré les dispositions impératives de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ni se prononcer sur la conformité du texte au droit de l'Union ;

Que la question de la conformité au droit de l'Union européenne de la loi organique du 10 décembre 2009, en ce qu'elle impose aux juridictions de se prononcer par priorité sur la transmission, au Conseil constitutionnel, de la question de constitutionnalité, doit être posée, à titre préjudiciel, à la Cour de justice de l'Union européenne, ;

Que, pareillement, il existe une difficulté sur le point de savoir si les dispositions de l'alinéa 4 de l'article 78-2 du code de procédure pénale sont conformes à l'article 67 du Traité de Lisbonne ;

Et attendu, d'une part, que le litige met en cause la privation de liberté d'une personne maintenue en rétention, d'autre part, que la Cour de cassation ne dispose que d'un délai de trois mois pour décider du renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel ; que ces éléments justifieraient que la Cour de justice de l'Union européenne statuât en urgence ;

PAR CES MOTIFS

Avant dire droit ;

Pose à la Cour de justice de l'Union européenne les questions préjudicielles suivantes

1 - L'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 s'oppose-t-il à une législation telle que celle résultant des articles 23-2, alinéa 2, et 23-5, alinéa 2, de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 créés par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, en ce qu'ils imposent aux juridictions de se prononcer par priorité sur la transmission, au Conseil constitutionnel, de la question de constitutionnalité qui leur est posée, dans la mesure où cette question se prévaut de la non-conformité à la Constitution d'un texte de droit interne, en raison de sa contrariété aux dispositions du droit de l'Union ? 2 - L'article 67 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne signé à Lisbonne le 13 décembre 2007, s'oppose-t-il à une législation telle que celle résultant de l'article 78-2, alinéa 4, du code de procédure pénale qui prévoit que "dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les États parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà, ainsi que dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international et désignés par arrêté l'identité de toute personne peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévues par la loi. Lorsque ce contrôle a lieu à bord d'un train effectuant une liaison internationale, il peut être opéré sur la portion du trajet entre la frontière et le premier arrêt qui se situe au-delà des vingt kilomètres de la frontière. Toutefois, sur celles des lignes ferroviaires effectuant une liaison internationale et présentant des caractéristiques particulières de desserte, le contrôle peut également être opéré entre cet arrêt et un arrêt situé dans la limite des cinquante kilomètres suivants. Ces lignes et ces arrêts sont désignés par arrêté ministériel. Lorsqu'il existe une section autoroutière démarrant dans la zone mentionnée à la première phrase du présent alinéa et que le premier péage autoroutier se situe au-delà de la ligne des 20 kilomètres, le contrôle peut en outre avoir lieu jusqu'à ce premier péage sur les aires de stationnement ainsi que sur le lieu de ce péage et les aires de stationnement attenantes. Les péages concernés par cette disposition sont désignés par arrêté".

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, et prononcé par le premier président en l'audience publique du seize avril deux mille dix ;

Où étaient présents M. ..., premier président, Mmes ..., ..., MM. ..., ..., ..., présidents, M. ..., conseiller doyen faisant fonction de président, M. ..., conseiller rapporteur, M. ..., conseiller, M. ..., avocat général, Mme ..., greffier.

LE CONSEILLER RAPPORTEUR, LE PREMIER PRÉSIDENT, LE GREFFIER