TI Le Raincy, 02-04-2010, n° RG 11-10-000484



Extrait des Minutes du Secrétariat Greffe du Tribunal RÉPUBLIOUE FRANÇAISE

d'Instance du RAINCY AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL

JUGEMENT DE TRANSMISSION D'INSTANCE DE QUESTION PRIORITAIRE DE

DU RAINCY CONSTITUTIONNALITÉ N'RG 11 10-454

N' QPC 1/2010 N' de minute 407/2010

PÔLE EMPLOI Ile de France 1 place Jean-Baptiste ...
Noisy le Grand

représenté par Maitre ... c/

Syndicat CFTC Emploi 13 rue des Ecluses Saint Martin
Paris

représenté par Maître ... ... ... 2 AVRIL 2010 par le tribunal d'instance sous la Présidence de Monsieur Pascal VASSEUR, Vice-Président, assisté de Mademoiselle Natacha BOUCHET, Greffier,

Vu les articles 126-1 à 126-12 du code de procédure civile,

Vu la demande d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité déposée par un écrit distinct et motivé à l'audience de contentieux électoral professionnel du 18 mars 2010 par le syndicat CFTC Emploi (ci-après la CFTC) représenté par Maître Marielle ..., défendeur à l'instance,

Vu les observations formulées par Pôle Emploi Ile de France (ci-après Pôle Emploi)

représenté par Maître Pierre ..., demandeur à l'instance, La CFTC soutient que les articles 1, 2 et 5 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, modifiant les articles L.2121-1, L.2122-1, L.2122-2, L.2122-3, L.2122-4, L.2143-3, L.2143-4, L.2143-5 et L 2143-6 du Code du travail, portent atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit en ce qu'ils sont contraires au principe constitutionnel protégeant la liberté syndicale, à l'article 8 du préambule de la Constitution de 1946 proclamant le droit pour tout travailleur de participer par l'intermédiaire de ses délégués à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises, et au principe constitutionnel de sécurité juridique pris dans l'obligation qu'il emporte de clarté et d'intelligibilité de la loi.

En réplique, Pôle Emploi ne conteste pas que les dispositions critiquées sont applicables au litige, ni qu'elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution.

Pour ce qui concerne le caractère sérieux ou non de la question, Pôle Emploi fait valoir notamment d'une part que le Conseil constitutionnel a déjà antérieurement jugé (décision du 14 décembre 2006) qu'une condition de représentativité reposant sur un critère d'audience électorale ne méconnaît ni la liberté contractuelle, ni la liberté syndicale, d'autre part que le régime issu de la loi contestée du 20 août 2008 ne remet pas en cause la liberté d'adhésion des salariés au syndicat de leur choix et à la libre constitution des syndicats, ni ne porte atteinte au droit de négociation collective, pas plus qu'il n'encourt de critique quant à sa clarté et à son intelligibilité. Pôle Emploi conclut en laissant à l'appréciation du tribunal le sérieux des moyens invoqués au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la CFTC.

L'affaire a été renvoyée à l'audience du 1" avril 2010 afin de pouvoir recueillir l'avis du ministère public, avis parvenu au tribunal le 22 mars. Le ministère public indique que les dispositions contestées sont applicables au litige en ce que le litige a trait à l'application de la loi du 20 août 2008 et notamment de ses articles 1, 2 et 5, et qu'elles n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

En revanche, le ministère public soutient que la question est dépourvue de sérieux en ce que la loi du 20 août 2008 ne remet pas en cause le principe constitutionnel de la liberté syndicale et du droit à la négociation collective mais détermine simplement les règles de la représentativité des organisation syndicales. Il indique que l'organisation d'un droit ne peut se trouver sérieusement assimilée à la violation de ce droit.

Les parties ont comparu à nouveau le 1" avril 2010 et ont fait valoir leurs observations.

La CFTC conteste l'avis du ministère public et rappelle la position d'une partie de la doctrine qui estime que l'instauration d'un seuil de 10 % aux élections professionnelles se heurte à plusieurs objections, et notamment au fait que le droit syndical doit être reconnu dans l'entreprise indépendamment de toute exigences d'audience, seule devant être prise en compte la réalité de l'action menée en défense des intérêts des salariés.

La CFTC, en réponse aux arguments de son contradicteur, souligne qu'il revient précisément au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la proportionnalité de l'atteinte au principe de liberté syndicale.

Enfin, la CFTC estime que la décision du Conseil constitutionnel du 14 décembre 2006 est sans rapport avec la question posée.

Pôle Emploi, outre les arguments précédemment évoqués, souligne que la Cour de cassation, dans deux arrêts du 10 mars 2010 (n' 463 et 464) relève que les dispositions de la loi de 2008, interprétées à la lumière des articles 6 et 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, n'excluent pas qu'un syndicat puisse établir sa représentativité en apportant le preuve qu'il remplit les critères énoncés à l'article L.2121-1 du Code du travail, à la seule exception de l'obtention d'un score électoral de 10 % aux élections professionnelles organisées dans l'entreprise.

Pôle Emploi estime que la Cour de cassation affirme ainsi la compatibilité de la loi du 20 août 2008 avec les dispositions du Préambule pré-cité en matière de liberté syndicale et de droit à la négociation collective.

L'affaire a été mise en délibéré au 2 avril. En prévision d'une éventuelle transmission de la question prioritaire de constitutionnalité, il a été rappelé aux parties les dispositions de l'article 126-9 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

En application de l'article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

Sur la recevabilité du moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution

Le moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté le 18 mars 2010 dans un écrit distinct et motivé. Il est donc recevable.

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation

L'article 23-2 de l'ordonnance précitée dispose que la juridiction statue sans délai, et transmet la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation dans les 8 jours de son prononcé, si les conditions suivantes sont remplies

La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

En l'espèce, les dispositions contestées sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, ce qui au demeurant n'est pas contesté.

Le caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité doit s'entendre comme étant de nature à faire naître un doute dans un esprit éclairé. Le contrôle de ce caractère par le juge du fond ne vise, dans l'esprit du législateur, qu'à écarter les questions fantaisistes ayant un but dilatoire.

En l'espèce, la CFTC soutient que les articles 1, 2 et 5 de la loi du 20 août 2008 portent atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit en ce qu'ils sont contraires notamment à l'article 8 du préambule de la Constitution de 1946 qui dispose que "tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises".

La loi du 20 août 2008 modifie le Code du travail en ce qu'elle édicte un critère dit d'audience électorale qui a pour conséquence de ne retenir comme représentatives, au niveau de l'entreprise, que les organisations syndicales ayant recueilli au moins I 0% des suffrages exprimés aux élections professionnelles . Les autres organisations syndicales, considérées comme non représentatives, ne peuvent donc participer à la négociation d'accords collectifs.

Le fait pour des salariés d'être écartés de la négociation collective parce que représentés par des organisations syndicales n'ayant pas obtenu une audience électorale suffisante peut apparaître contraire au droit garanti par l'article 8 pré-cité relatif à une participation effective de tout salarié à la détermination de ses conditions de travail.

Il s'ensuit que le caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la CFTC doit être retenu, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens.

Il y a donc lieu de transmettre à la Cour de cassation la question mentionnée au dispositif de la présente décision.

Sur le sursis à statuer

L'article 23-3 de l'Ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose que lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu'à réception de la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel. (...) La juridiction peut également statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence.

L'article R.2143-5 du Code du travail dispose que le tribunal d'instance statue en dernier ressort sur les contestations relatives aux conditions de désignation des délégués syndicaux légaux ou conventionnels. (...) Il statue dans les dix jours sans frais, ni forme de procédure et sur avertissement donné trois jours à l'avance à toutes les parties intéressées.

En l'espèce, étant rappelé que la faculté de surseoir à statuer est laissée à l'appréciation du juge et relève de son pouvoir discrétionnaire, il y a lieu de considérer que la décision à intervenir dans la présente instance dépend de la solution apportée à la question prioritaire de constitutionnalité.

Il s'ensuit qu'il y a lieu de surseoir à statuer sur les demandes des parties jusqu'à ce que le tribunal soit informé de la décision rendue par la Cour de cassation ou le Conseil Constitutionnel sur ladite question.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, insusceptible de recours indépendamment du jugement sur le fond,

- ordonne la transmission à la Cour de cassation de la question suivante
"Les articles 1. 2 et 5 de la loi n' 2008-789 du 20 août 2008 modifiant les articles L.2121-1,L.2122-1,L.2122-2,L.2122-3,L.2122-4,L.2143-3,L2143-4,L.2143-5 et L 2143-6 du Code du travail portent-ils atteinte aux droits et libertés garantis par l'article 6 du Préambule de la Constitution de 1946 disposant que "tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix", à l'article 8 du même Préambule disposant que "tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises", et au principe constitutionnel de sécurité juridique pris dans l'obligation qu'il emporte de clarté et d'intelligibilité de la loi".

- dit que le présent jugement sera adressé à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité ;

- sursoit à statuer et dit que l'instance sera poursuivie à la diligence du tribunal dès qu'il sera informé de la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité,

- dit que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen t - la_présente décision.

LE GREFFIER LE SIDENT



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