Cass. soc., 21-01-2009, n° 07-40.609, F-D, Cassation partielle



SOC.

PRUD'HOMMES

A.M.

COUR DE CASSATION

Audience publique du 21 janvier 2009

Cassation partielle

M. BLATMAN, conseiller le plus ancien faisant fonction de président

Arrêt n° 94 F D

Pourvoi n° K

07-40.609

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant

Statuant sur le pourvoi formé par la société Bazar de l'Hôtel de Ville, société par actions simplifiée, dont le siège est Paris,

contre l'arrêt rendu le 5 décembre 2006 par la cour d'appel de Paris (22e chambre B), dans le litige l'opposant à Mme Annick Y, domiciliée Villeneuve Saint-Georges, défenderesse à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 10 décembre 2008, où étaient présents M. Blatman, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, M. Marzi, conseiller rapporteur, M. Gosselin, conseiller, M. Flores, conseiller référendaire, M. Deby, avocat général, Mme Piquot, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Marzi, conseiller, les observations de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la société Bazar de l'Hôtel de Ville, de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de Mme Y, les conclusions de M. Deby, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme Y a été engagée le 19 septembre 1974 en qualité de caissière, par la société Bazar de l'Hôtel de Ville (BHV), et affectée à partir du 30 octobre 1978, au service clientèle du BHV de Créteil où elle est restée jusqu'à sa mise à la retraite le 31 mai 2004 ; que dans le dernier état de ses fonctions, la salariée qui a exercé plusieurs mandats représentatifs, était classée EQSC 08, employée qualifiée service commercial, catégorie 8, de la convention collective des grands magasins et magasins populaires ; que s'estimant victime d'une discrimination syndicale et salariale, elle a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes ;

Sur le second moyen

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné à verser à Mme Y une somme sur le fondement de l'article 1382 du code civil, alors, selon le moyen

1°/ que les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution d'une obligation au paiement d'une somme d'argent, ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, lesquels ne courent que du jour de la sommation de payer ; que le juge ne peut allouer au créancier des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires qu'à la condition de caractériser un préjudice indépendant du retard de paiement ; qu'en l'espèce, pour le condamner à payer des dommages-intérêts de 10 000 euros " sur le fondement de l'article 1382 du code civil", la cour d'appel s'est bornée à retenir que Mme Y avait été " victime de retards dans le versement de l'intégralité de la rémunération à laquelle elle avait droit " ; qu'en ne caractérisant pas un préjudice indépendant du retard de paiement des heures de délégations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1153 du code civil ;

2°/ que les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution d'une obligation au paiement d'une somme d'argent, ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, lesquels ne courent que du jour de la sommation de payer ; que le juge ne peut allouer au créancier des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires qu'à la condition de caractériser également la mauvaise foi du débiteur ; qu'en l'espèce, pour le condamner à payer à Mme Y des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant des retards répétés de paiement de ses heures de délégation, la cour d'appel s'est bornée à relever que " ces dysfonctionnements sont imputables à l'employeur, qui les a partiellement reconnus dans un courrier en date du 13 février 2003, et manifestent sa mauvaise foi " ; qu'en statuant ainsi, sans relever des circonstances propres à caractériser la mauvaise foi de l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1135 du code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel qui a constaté qu'à compter du mois de février 2001, la salariée avait été victime de retards dans le versement de l'intégralité de sa rémunération et notamment à cinq reprises d'incidents dans le paiement de ses heures de délégation, retards qui se sont répétés quasiment chaque mois au cours de l'année 2002 et qui l'ont conduite à saisir la juridiction prud'homale après avoir effectué des démarches auprès du service des ressources humaines, a légalement justifié sa décision ;

Mais sur le premier moyen

Vu le principe "à travail égal, salaire égal" ;

Attendu qu'au regard du respect du principe "à travail égal, salaire égal", l'ancienneté ne saurait à elle seule justifier une différence de rémunération, dès lors qu'elle donne lieu à l'allocation d'une prime distincte ;

Attendu que pour condamner l'employeur à payer à la salariée un rappel de salaire et de congés payés pour n'avoir pas assuré à cette dernière une égalité de traitement avec les autres employés, dans l'établissement de son salaire, l'arrêt énonce que Mme Y relevait, en sa qualité d'employée qualifiée de service commercial affectée au service clientèle du magasin de Créteil, de la catégorie VIII de la convention collective des grands magasins et magasins populaires et qu'il résulte des tableaux de comparaison des salaires des employés affectés au même service dans d'autres magasins de la région parisienne et ayant des qualifications identiques, qu'aucun de ces salariés ne disposait de l'importante ancienneté de l'intimée ; qu'ainsi Mme ..., affectée au service commercial et employée depuis 1980 percevait une rémunération fixe supérieure, augmentée d'une prime d'entrepôt ; que les autres salariées d'une ancienneté nettement moindre bénéficiaient d'une rémunération fixe presqu'identique ; que par ailleurs la comparaison de la rémunération fixe avec celle des autres salariées du service clientèle du magasin de Créteil à laquelle se livre la société ne peut être retenue puisque deux d'entre elles, Mmes ... et ... ne travaillent pas à temps complet et les trois autres ont une ancienneté inférieure au moins de quatorze années ; qu'en conséquence, il existe bien une inégalité de traitement entre Mme Y et les autres salariées de la société ayant une qualification identique ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'accomplissant à qualifications identiques, un travail de valeur égale, Mme Y et les salariées avec lesquelles elle se comparait, qui percevaient, hors la prime spéciale prenant en compte leur ancienneté, un salaire de base de même niveau, se trouvaient ainsi dans une situation identique excluant toute disparité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS

CASSE ET ANNULE mais seulement en ce qu'il a dit que la société BHV n'avait pas assuré à Mme Y une égalité de traitement avec les autres employés dans l'établissement de son salaire, l'arrêt rendu le 5 décembre 2006, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;

Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un janvier deux mille neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Gatineau, avocat aux Conseils pour la société Bazar de l'Hôtel de Ville.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la société BHV n'avait pas assuré à Mme Y une égalité de traitement avec les autres employés dans l'établissement de son salaire conformément aux articles L. 133-5 et L 133-6 du code du travail, d'AVOIR, en conséquence, condamné l'exposante à payer à Mme Y un rappel de salaire de 52.000 et 5.200 au titre des congés payés, ainsi que 1.000 au titre des frais irrépétibles ;

AUX MOTIFS QUE " il est constant que Annick Y a été embauchée à compter du 19 septembre 1974 par la société BAZAR DE L'HÔTEL DE VILLE par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel puis à temps complet en qualité de caissière ; qu'elle est partie à la retraite le 1er juin 2004 ; elle était assujettie à la convention collective nationale des grands et magasins populaires ; l'entreprise employait de façon habituelle plus de dix salariés ; l'intimée a saisi le Conseil de Prud'hommes le 23 avril 2003 en vue d'obtenir un rappel de salaire et la réparation de son préjudice pour discrimination syndicale ;

La société BHV expose qu'elle ne s'est livré à aucun acharnement à l'encontre de l'intimée ; que celle-ci n'a été victime d'aucune discrimination salariale du fait de son appartenance syndicale ; Annick Y soutient qu'elle présente des éléments de fait démontrant l'existence d'une discrimination ; que celle-ci est établie par la comparaison avec les salaires perçus par ses collègues de travail ;

Il résulte des dispositions des articles L 133-5 (4°) et L 136-2 (8°) que l'employeur est tenu d'assurer l'égalité de rémunération entre tous les salariés, pour autant qu'ils sont placés dans une situation identique ; il incombe à l'employeur, s'il conteste le caractère discriminatoire du traitement réservé au salarié qui a soumis au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d'égalité de rémunération, d'établir que disparité de situation constatée est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; L'intimée a été embauchée en 1974 par la société BHV ; elle ne disposait pas de qualification particulière ; en sa qualité d'employé qualifié de service commercial affecté au service clientèle du magasin du Créteil elle relevait la catégorie VIII de la convention collective des grands magasins et magasins populaires ; en mars 2004, sa rémunération mensuelle brute fixe était d'un montant de 1.193,94 euros ; il résulte des tableaux de comparaison des salaires des employés affectés au même service dans d'autres magasins de la région parisienne et ayant des qualification identiques à celles de l'intimée en poste, produits par la société, aucune de ces salariés ne disposait de l'importante ancienneté de l'intimée ; ainsi, Micheline ..., salariée la plus ancienne dont la rémunération est communiquée, était employée depuis le mois de février 1980 et avait donc une ancienneté inférieure de six années à celle-de l'intimée ; en outre alors qu'elle était affectée au service commercial comme l'intimée elle percevait une rémunération fixe supérieure d'un montant de 1196,94 euros et augmentée d'une prime d'entrepôt de 340,57 euros ; les autres salariées dont la rémunération fixe est presque identique à celle de l'intimée bénéficiaient d'une ancienneté nettement moindre ; qu'ainsi Carole ... dont la rémunération fixe était de 1.135,95 euros avait été embauchée en décembre 1999 soit 25 ans après l'intimée; par ailleurs la comparaison de la rémunération fixe avec les autres salariées du service clientèle du magasin de Créteil à laquelle se livre la société ne peut être retenue ; en effet sur les cinq autres employées Muriel ... et Jamilla ... ne travaillent pas à temps complet et les trois autres ont une anciennetés inférieure au moins de quatorze années ; enfin le tableau relatif au taux de fréquence des augmentations individuelles des salariés du service clientèle du magasin de Créteil de 1992 à 2003 n'est pas plus probant ; n'y sont mentionnés que trois employés dont l'intimée alors que le service en compte six; en outre les deux autres sont justement celles qui n'effectuent pas le même temps de travail ; enfin le taux n'est pas identique ; ainsi ... Djemai a bénéficié d'un taux de fréquence d'augmentation de 42 % avec une augmentation moyenne de 9,82 euros alors que pour l'intimée ayant une ancienneté supérieure de neuf années, ce taux n'est que de 33% avec une augmentation moyenne de 8,97 euros ;

En conséquence il existe bien une inégalité de traitement entre l'intimée et les autres salariés de la société ayant une qualification identique à la sienne ; les premiers juges ont exactement évalué à la somme de 52 000 euros le rappel de salaire auquel l'intimée pouvait prétendre du fait de cette inégalité de traitement et à 5.200 les congés payes y afférents ; il n'est toutefois pas démontré que cette inégalité de traitement soit le résultat d'une discrimination ayant son origine dans la prise en considération par l'employeur de l'appartenance de l'intimée à une organisation syndicale ou de ses activités syndicales ; en conséquence il convient de confirmer le jugement entrepris sur le seul fondement des dispositions légales précitées et non sur celui de l'article L 122-45 du code du travail ;

Il convient d'ordonner la remise par la société des bulletins de paye conformes à la présente décision sans assortir toutefois cette obligation d'une astreinte " ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE " en vertu de la grille de classification conventionnelle, Madame Y est classée employée qualifiée service commercial 08 (EQSC 08).

Considérant l'annexe 1 - classification des emplois, il ressort une classification allant de la catégorie 1 à la catégorie 10.

Qu'il y a lieu de considérer la catégorie 8 dans laquelle Madame Y est classée.

Que dans cette catégorie se trouvent les emplois suivants

- employé qualifié de service administratif ou commercial, secrétaire, vendeur commercial, vendeur technique, programmeur débutant, essayeur retoucheur, aide acheteur, caissier de caisse centrale, vendeur étalagiste, interprète, hôtesse, conseiller de vente.

Que dans la catégorie 10 à laquelle Madame Y fait référence se trouve les emplois suivants

- employé très qualifié de service administratif, pupitreur principal, secrétaire de direction, comptable 2ème échelon Qu'il y a lieu de procéder à l'examen des documents remis par Madame Y de sa situation.

1) sur l'évolution de la situation de Madame Y depuis son embauche jusqu'à sa retraite 1022.32

janv. 1999 Augmentation CCN

Service

commercial

1183

Juil 1999 Augmentation

CCN

Service

commercial

1190.17

Juil 2000 Augmentation

CCN

Service

commercial

1222.79

Juil 2001 Augmentation

CCN

Service

commercial

1235.14

Juil 2002 Augmentation

CCN

Service

commercial

1247.65

Juil 2003 Augmentation

CCN

Service

commercial

1260.13

31/05/2004

retraite

Service

commercial

1260.13

soit

29 ans 8 mois D'ancienneté Service

commercial

EQSC

008

+237.87

euros

Attendu qu'il résulte de cette première analyse que les augmentations de salaire de Madame Y se concrétisent par un total pour 29ans et 8 mois d'ancienneté de 237,81 euros soit 7.98 euros par an.

2) sur le comparatif entre Mme Y coefficient EQSC008 et ses collègues au même coefficient sur le site de Créteil au 1er Juin 2004 Coefficient EQSC 008