Cass. soc., 16-12-2008, n° 05-40.876, FS-P+B, Cassation partielle



SOC.

PRUD'HOMMES

C.B.

COUR DE CASSATION

Audience publique du 16 décembre 2008

Cassation partielle

Mme COLLOMP, président

Arrêt n° 2204 FS P+B

Pourvoi n° J

05-40.876

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant

Statuant sur le pourvoi formé par M. Gilbert Z, domicilié Kingersheim,

contre l'arrêt rendu le 15 décembre 2004 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Axa France vie-Axa France IARD, venant aux droits de la société UAP France-Axa, société anonyme dont le siège est Paris,

défenderesse à la cassation ;

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 18 novembre 2008, où étaient présents Mme Collomp, président, Mme Perony, conseiller rapporteur, Mme Mazars, conseiller doyen, MM. Bailly, Chauviré, Mme Morin, MM. Béraud, Linden, Moignard, Lebreuil, conseillers, M. Leblanc, Mmes Manes-Roussel, Grivel, Bobin-Bertrand, Martinel, Divialle, Pécaut-Rivolier, Darret-Courgeon, conseillers référendaires, M. Cavarroc, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Perony, conseiller, les observations de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de M. Z, de la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat de la société Axa France vie et Axa France IARD, les conclusions de M. Cavarroc, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué; que M. Z, employé depuis le 1er novembre 1974 par la société UAP, aux droits de laquelle se trouve la société Axa France vie-Axa France IARD ( la société) et exerçanten dernier lieu les fonctions d'agent producteur, a été licencié pour faute grave le 6 février 1998 ;

Sur le premier moyen

Attendu que M. Z fait grief à l'arrêt d'avoir dit que son licenciement était justifié par une faute grave et de l'avoir débouté de ses demandes de paiement du salaire de la mise à pied, des indemnités de préavis, de licenciement, de dommages-intérêts, indemnités de fin de fonction, alors, selon le moyen

1°/que l'employeur ne peut invoquer, à titre de faute grave, des faits, même fautifs, qu'il a tolérés pendant plusieurs années ; qu'en l'espèce, il était acquis que la pratique constante du salarié de faire transiter les fonds reçus pour le compte de son employeur par son compte personnel, connue de la compagnie mandante, n'avait jamais donné lieu à la moindre observation lors des contrôles annuels pratiqués ; qu'en retenant cependant une telle "manoeuvre", prohibée par diverses circulaires internes, comme constitutive d'une faute grave, la cour d'appel a violé les articles L. 122-6, L. 122-8 et L. 112-14-4 du code du travail ;

2°/ qu'en retenant à titre de faute grave l'existence même d'un déficit de caisse non justifié par le salarié, qui ne résultait que d'insuffisances de gestion, sans caractériser le moindre détournement ou l'existence de manoeuvres destinées à soustraire des fonds perçus pour le compte de l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-6, L. 122-8 et L. 112-14-4 du code du travail ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a constaté que, malgré les circulaires qui, depuis 1984, interdisaient aux agents de faire transiter les sommes qu'ils percevaient des clients par un compte personnel, M. Z conservait les fonds sur son compte personnel avant de les reverser à Axa et qui a relevé que le rapport d'expertise avait établi que le déficit de caisse constaté en novembre 1997 résultait des manoeuvres du salarié au mépris des consignes répétées de l'employeur, a caractérisé le comportement fautif de l'intéressé et a pu décider que, malgré l'absence de sanctions préalables, ce comportement rendait impossible son maintien dans l'entreprise ;

Que le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur le moyen de pur droit, relevé d'office après avis donné aux parties

Vu l'article 6.1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966, ensemble l'article 75, alinéa 3, du code du commerce local applicable dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ;

Attendu que le premier de ces textes, directement applicable en droit interne, qui garantit le droit qu'a toute personne d'obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté, s'oppose à ce qu'un salarié tenu au respect d'une obligation de non concurrence soit privé de toute contrepartie financière au motif qu'il a été licencié pour faute grave ;

Attendu que débouter M. Z de sa demande relative à la contrepartie financière de la clause de non-concurrence prévue par l'article 74 du code du commerce local, l'arrêt énonce qu'en vertu de l'article 75, alinéa 3, de ce code, en cas de faute grave, le salarié ne peut prétendre à une indemnité de ce chef ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. ... de sa demande d'indemnité compensatrice de la clause de non-concurrence, l'arrêt rendu le 15 décembre 2004, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Condamne la société Axa France vie-Axa France IARD aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize décembre deux mille huit.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP BORE et SALVE DE BRUNETON, avocat aux Conseils pour M. Z

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré justifié le licenciement pour faute grave de Monsieur Z, et de l'avoir en conséquence débouté de ses demandes en rappels des salaires retenus au titre de la mise à pied, paiement d'indemnités de préavis et de licenciement, de dommages et intérêts, d'indemnité de fin de fonctions et d'indemnité compensatrice de non concurrence ;

AUX MOTIFS QUE "les dénégations de Monsieur Z sur le déficit de caisse sont contredites par le rapport d'expertise judiciaire ordonnée par les premiers juges, et qu'il ne conteste pas sérieusement ;

QUE l'expert conclut que le déficit s'élève à 36 625 après déduction d'un chèque non comptabilisé par AXA et du remboursement effectué par le salarié ; (qu'il) relève que les arguments de Monsieur Z en ce qui concerne les quittances impayées, les règlements des clients en ne prenant pas en compte les augmentations de primes et le décalage d'encaissement des chèques en fin de mois ne sont pas fondés ; (qu'il) a, en outre, constaté que le débit de 62 116,48 francs n'a pas été comptabilisé deux fois ; que c'est la Société AXA, et non Monsieur Z, qui a remboursé deux clients ;

QU'il est constant que Monsieur Z conservait les fonds sur son compte personnel avant de les reverser à AXA, pratique prohibée par les circulaires de l'U.A.P depuis 1984 ; (que) la répétition de ces circulaires démontre que la pratique de faire transiter les sommes perçues sur le compte des agents était prohibée ; que si les deux comptes de la situation comptable établis le 10 décembre 1991 et 25 octobre 1995 produits par Monsieur Z font apparaître un solde débiteur, il convient de relever que celui-ci était modique et qu'il ne résulte pas des observations de l'inspecteur que ce solde négatif était dû aux mêmes causes qu'en 1997 ;

QUE les performances, l'ancienneté et l'absence de sanction antérieure ne suffisent pas à écarter la faute grave ; (que) le fait que la Société AXA n'ait pas porté plainte au pénal est sans emport, la constatation et la sanction d'un délit n'étant pas nécessaires pour justifier un licenciement ; (que) Monsieur Z ne peut prétendre que le rachat de l'UAP par AXA a entraîné une compression du personnel (...) ;

QUE dès lors que le rapport d'expertise établit que le déficit de caisse résulte des manoeuvres de Monsieur Z au mépris des consignes réitérées de l'employeur, le licenciement est justifié par une faute grave rendant impossible le maintien du contrat de travail pendant le préavis" (arrêt p.5, p.6 alinéa 1er) ;

1°) ALORS QUE l'employeur ne peut invoquer, à titre de faute grave, des faits, même fautifs, qu'il a tolérés pendant plusieurs années ; qu'en l'espèce, il était acquis que la pratique constante du salarié de faire transiter les fonds reçus pour le compte de son employeur par son compte personnel, connue de la Compagnie mandante, n'avait jamais donné lieu à la moindre observation lors des contrôles annuels pratiqués ; qu'en retenant cependant une telle "manoeuvre", prohibée par diverses circulaires internes, comme constitutive d'une faute grave, la Cour d'appel a violé les articles L.122-6, L.122-8 et L.112-14-4 du Code du travail ;

2°) ALORS QU'en retenant à titre de faute grave l'existence même d'un déficit de caisse non justifié par le salarié, qui ne résultait que d'insuffisances de gestion, sans caractériser le moindre détournement ou l'existence de manoeuvres destinées à soustraire des fonds perçus pour le compte de l'employeur, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.122-6, L.122-8 et L.112-14-4 du Code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire) Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif examiné d'AVOIR débouté Monsieur Z de sa demande en paiement d'une indemnité de non concurrence ;

AUX MOTIFS QUE Monsieur Z ne peut prétendre à une contrepartie de la clause de non concurrence, l'article 75 alinéa 3 du Code de commerce local excluant le droit du salarié à une indemnité de non-concurrence en cas de licenciement pour faute grave ;

ALORS QUE le principe fondamental de la liberté du travail impose l'indemnisation du préjudice nécessairement subi par le salarié qui a respecté une clause de non-concurrence illicite en l'absence de contrepartie financière ; que ce droit à indemnisation ne doit pas être affecté par les circonstances de la rupture du contrat de travail ; qu'en déboutant Monsieur Z de sa demande d'indemnisation du préjudice consécutif au respect de la clause de non concurrence imposée par son contrat de travail sans contrepartie financière par application de dispositions du droit local moins favorables et plus anciennes, la Cour d'appel a violé le principe susvisé, ensemble l'article L.120-2 du Code du travail et le principe fondamental de primauté de la norme la plus favorable au salarié.