TA Bordeaux, du 08-10-2008, n° 0704500




TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE BORDEAUX

N°0704500

M. Stitou ZOUBIR

M. Katz

Rapporteur

M. Bayle

Commissaire du gouvernement

Audience du 10 septembre 2008

Lecture du 8 octobre 2008

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Tribunal administratif de Bordeaux

Sème Chambre

01-01-02-01

15-03-01-01-05

15-03-03

15-06-03

26-055-02-01

48-02-01-01


Vu la requête, enregistrée le 22 octobre 2007, présentée pour M. Aa A, demeurant … … … …, Chambre 133, à Bordeaux (33000), par Me Jouteau ; M. ZOUBIR demande au tribunal :


quatre mois par le ministre de la défense sur la demande qu’il lui a adressée le 18 juin 2007, reçue le 25 juin suivant, tendant à la revalorisation de sa pension militaire de retraite ;

- de lui accorder le bénéfice de l’aide juridictionnelle provisoire ;

- d’enjoindre au ministre de la défense que lui soit versée une pension de retraite à taux plein, outre les intérêts moratoires capitalisés et les majorations pour enfants ;

- de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 000 € en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 et de donner acte à son conseil qu’il renoncera à percevoir la part contributive de l’Etat au titre de l’aide juridictionnelle en cas de bénéfice de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991🏛 ;

Vu le mémoire, enregistré le 2 avril 2008, présenté par le ministre de la défense qui conclut au rejet de la requête ;

Vu, enregistrées le 20 mai 2008, la délibération n° 2008-56 du 31 mars 2008, la délibération n° 2006-217 du 9 octobre 2006 et la délibération n° 2007-44 du 5 mars 2007 de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité ;

Vu le mémoire, enregistré le 6 juin 2008, présenté par le ministre de la défense qui conclut au rejet de la requête ;

Vu le mémoire, enregistré le 16 juin 2008, présenté par M. A qui conclut aux mêmes fins que la requête ; -

Vu le mémoire, enregistré le 9 juillet 2008, présenté par le ministre de la défense qui confirme ses conclusions à fin de rejet de la requête ;

Vu les mémoires, enregistrés les 12 juillet et 7 août 2008, présen tés par la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité qui déclare n’avoir aucune observation complémentaire à formuler ;

Vu la décision du bureau d’aide juridictionnelle, en date du 12 décembre 2007, admettant M. A au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale ;

Vu la demande de M. A du 18 juin 2007 ;

Vu les autres pièces du dossier ;


Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales🏛
, ensemble le premier protocole additionnel à cette convention ;

Vu le Traité instituant la Communauté européenne ;

Vu l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part, signé le 26 février 1996 ;

Vu la décision n° 2000/204/CE, CECA du Conseil et de la Commission du 24 janvier 2000 relative à la conclusion de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part ;

Vu le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, modifié ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu la loi n° 59-1454 du 26 décembre 1959, notamment son article 71 ;

Vu la loi n° 91-947 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ;

Vu la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002🏛, loi de finances rectificative pour 2002, notamment son article 68 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 10 septembre :

- le rapport de M. Katz, rapporteur ;

- les observations de Me Jouteau pour M. A ;

- et les conclusions de M. Ab, commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’en vertu du I de l’article 71 de la loi du 26 décembre 1959 portant loi de finances pour 1960: « À compter du 1°" janvier 1961, les pensions, rentes ou allocations viagères imputées sur le budget de l’Etat ou d’établissements publics, dont sont titulaires les nationaux des pays ou territoires ayant appartenu à l’Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France, seront remplacées pendant la durée normale de leur jouissance personnelle par des indemnités annuelles en francs, calculées sur la base des tarifs en vigueur pour lesdites pensions ou allocations, à la date de leur transformation » ; qu’aux termes de l’article 68 de la loi du 30 décembre 2002🏛 portant loi de finances rectificative pour 2002 : « /. - Les prestations servies en application des articles 170 de l’ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959, 71 de la loi de finances pour 1960 (n° 59-1454 du 26 décembre 1959) et 26 de la loi de finances rectificative pour 1981 (n° 81-734 du 3 août 1981) sont calculées dans les conditions prévues aux paragraphes suivants./ IL. - Lorsque, lors de la liquidation initiale des droits directs ou à


réversion, le titulaire n’a pas sa résidence effective en France, la valeur du point de base de sa prestation, telle qu’elle serait servie en France, est affectée d’un coefficient proportionnel au rapport des parités de pouvoir d’achat dans le pays de résidence et des parités de pouvoir d'achat de la France. Les parités de pouvoir d’achat du pays de résidence sont réputées être au plus égales à celles de la France. (...)/ Les parités de pouvoir d’achat sont celles publiées annuellement par l'Organisation des Nations unies ou, à défaut, sont calculées à partir des données économiques existantes./ III. Le coefficient dont la valeur du point de pension est affectée reste constant jusqu’au 31 décembre de l’année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu la liquidation des droits effectuée en application de la présente loi. Ce coefficient, correspondant au pays de résidence du titulaire lors de la liquidation initiale des droits, est ensuite réévalué annuellement./ (...) » ;

Considérant que M. A, de nationalité marocaine, a servi au sein de l’armée française du 22 janvier 1951 au 21 juillet 1965 ; qu’en rémunération de ses services, il a obtenu le bénéfice d’une pension militaire de retraite par arrêté du 25 septembre 1965 ; qu’en raison de sa nationalité marocaine, sa pension a été transformée en indemnité personnelle et viagère, par application des dispositions précitées de l’article 71-I de la loi du 26 décembre 1959 portant loi de finances pour 1960 ; que lors de la liquidation de sa pension, le requérant résidait au Maroc ; que par application des dispositions précitées de l’article 68 de la loi du 30 décembre 2002 portant loi de finances rectificative pour 2002, l’indemnité qui était versée à l’intéressé a été revalorisée par référence à un coefficient proportionnel au rapport des parités de pouvoir d’achat dans le pays de résidence et des parités de pouvoir d’achat de la France ; que par lettre du 18 juin 2007, reçue le 25 juin suivant, M. A a sollicité la revalorisation de sa pension militaire de retraite à concurrence des montants dont il aurait bénéficié s’il avait eu la nationalité française, ainsi que le versement des arrérages qu’il estime lui être dus, augmentés des intérêts capitalisés ; que par sa requête, il demande d’annuler la décision implicite de rejet résultant du silence gardé pendant plus de quatre mois par le ministre de la défense sur cette demande et d’enjoindre au ministre de la défense que lui soit versée une pension de retraite à taux plein, outre les intérêts moratoires capitalisés et les majorations pour enfants ;

Sur les conclusions à fin d’annulation :

Considérant qu’aux termes de l’article 65 de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part : « Sous réserve des dispositions des paragraphes suivants, les travailleurs de nationalité marocaine et les membres de leur famille résidant avec eux bénéficient dans le domaine de la sécurité sociale d’un régime caractérisé par l'absence de toute discrimination fondée sur la nationalité par rapport aux propres ressortissants des États membres dans lesquels ils sont occupés. / La notion de sécurité sociale couvre les branches de sécurité sociale qui concernent les prestations de maladie et de maternité, les prestations d'invalidité, de vieillesse, de survivants, les prestations d'accident de travail et de maladie professionnelle, les allocations de décès, les prestations de chômage et les prestations familiales. (...) » ;

Considérant, d’une part, que les militaires constituent des « travailleurs » au sens des stipulations de l’article 65 de l’accord précité, telles qu’interprétées par la Cour de justice des Communautés européennes dans son ordonnance C-336/05 du 13 juin 2006 ; que, d’autre part, la « notion de sécurité sociale » au sens de ces stipulations doit, selon la Cour, être comprise de la même manière que la notion identique figurant dans le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 ; qu’en vertu de l’article 4 $ 1 sous c) de ce règlement, tel que modifié par le règlement (CE) n° 1606/98⚖️ du Conseil du 29 juin 1998, les régimes spéciaux de retraite des fonctionnaires ou du personnel assimilé constituent des prestations de vieillesse ; qu’ainsi, les pensions militaires de retraite versées en application de l’article L. 1 du code des pensions civiles et militaires de retraite🏛, de même que les prestations versées en application de l’article 71 de la loi


du 26 décembre 1959 et de l’article 68 de la loi du 30 décembre 2002, entrent dans le champ d’application des stipulations de l’article 65 de l’accord euro-méditerranéen précité ;

Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article 68 de la loi du 30 décembre 2002, éclairées par leurs travaux préparatoires, qu’elles ont notamment pour objet d’assurer aux titulaires des prestations mentionnées au I dudit article, versées en remplacement de la pension qu’ils percevaient antérieurement, des conditions de vie dans l’Etat où ils résident en rapport avec la dignité de leurs fonctions passées ou leur permettant d’assumer les conséquences de leur invalidité ; que ces dispositions instaurent, à cette fin, un critère de résidence, apprécié à la date de liquidation de la prestation, permettant de fixer le montant de celle-ci à un niveau, différent dans chaque Etat, tel qu’il garantisse aux intéressés résidant à l’étranger un pouvoir d’achat équivalent à celui dont ils bénéficieraient s’ils avaient leur résidence en France, sans pouvoir lui être supérieur ; qu’il en résulte une différence entre le montant des pensions versées aux retraités, en fonction de leur lieu de résidence au moment de la liquidation de leur pension ; qu’en outre, le critère de résidence susmentionné n ’est pas applicable aux ressortissants français qui résidaient à l’étranger à la date de liquidation de leur pension, lesquels ressortissants, auxquels les dispositions de l’article 71 de la loi du 26 décembre 1959 n’étaient pas applicables, continuent à bénéficier d’une retraite à taux plein du fait même de leur nationalité française ;

Considérant que l’article 65 de l’accord précité interdit toute discrimination fondée sur la nationalité ; que la règle d’égalité de traitement, telle qu’interprétée de manière constante par la Cour de justice des Communautés européennes, prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat ; qu’en particulier, selon les arrêts 63/86 du 14 janvier 1988 et C-350/96 du 7 mai 1998, est discriminatoire une disposition nationale qui prévoit une distinction fondée sur le critère de la résidence, lequel critère risque de jouer principalement au détriment des ressortissants d’autres États membres ; qu’il suit de là que les dispositions précitées de l’article 68 de la loi du 30 décembre 2002, qui, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, prévoient une différence entre le montant des prestations vieillesses versées aux retraités marocains en fonction d’un critère de résidence à la date de la liquidation de leur pension et excluent de l’application de ce critère les ressortissants français, sont incompatibles avec les stipulations de l’article 65 de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d ’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part ; que, dès lors, les dispositions de l’article 68 de la loi du 30 décembre 2002 ne pouvaient justifier le refus opposé par le Ministre de la défense à la demande de M. A en vue de la revalorisation de sa pension ; que, par suite, sans qu’il soit besoin pour le Tribunal de statuer sur les autres moyens de la requête, la décision attaquée doit être annulée ;

Sur les conclusions à fin d’injonction :

Considérant qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que M. A peut prétendre à la revalorisation de sa pension militaire de retraite ; que le montant doit en être fixé par référence au taux applicable aux ressortissants français titulaires d’une pension militaire de retraite ; que M. A sollicite la revalorisation de sa pension à compter de la réception de sa demande préalable auprès du ministre de la défense, soit le 25 juin 2007 ; qu’il y a lieu, dès lors, d’enjoindre à l’Etat, pour la période postérieure au 25 juin 2007, de verser à M. A les arrérages correspondant à la différence entre le montant ainsi fixé et celui qui a déjà été versé à l’intéressé ainsi que les intérêts moratoires dus en application de l’article 1153 du code civil🏛 et qui courent à compter de la réception de sa demande, soit le 25 juin 2007 ; qu’en outre, M. A a demandé la capitalisation des intérêts à l’administration également par lettre du 18 juin 2007, reçue le 25 juin suivant ; qu’il y a lieu de faire droit à cette demande de


capitalisation qui prend effet à compter du 25 juin 2008, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière, et, le cas échéant, à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Considérant que si M. A sollicite, en outre, le bénéfice d’une majoration pour enfants, le dossier soumis au Tribunal ne permet pas de s'assurer que les conditions prévues pour l’octroi d’une telle majoration sont effectivement remplies ; que, dès lors, la demande de paiement à ce titre doit être rejetée ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, par application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, de condamner l’Etat à verser la somme de 1 000 € à Me Jouteau, avocat de M. A, lequel a été admis à l’aide juridictionnelle, sous réserve que Me Jouteau renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat à la mission d’aide juridictionnelle qui lui a été confiée ;


DECIDE:

Article 1€" : La décision implicite du ministre de la défense rejetant la demande de M. A tendant à la revalorisation de sa pension militaire de retraite est annulée.

Article 2 : L’Etat versera à M. A, pour la période postérieure au 25 juin 2007, les arrérages correspondant à la différence entre le montant de sa pension militaire de retraite revalorisée selon les modalités précisées dans les motifs du présent jugement et celui qui a déjà été versé à l’intéressé, ainsi que les intérêts capitalisés y afférents.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A est rejeté.

Article 4 : L’ Etat versera à Me Jouteau, avocat de M. A, la somme de 1 000 € en application des dispositions du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Jouteau renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat au titre de l’aide juridictionnelle.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. Aa A, au ministre de la défense et à la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité.


Délibéré après l’audience du 10 septembre 2008, à laquelle siégeaient :

Mme Roca, président,

Mme Ballouhey, premier conseiller,

M. Katz, conseiller,

Lu en audience publique le 8 octobre 2008.


Le rapporteur, Le président,

Le greffier

P. PRONOST

La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,