SOC.
CH.B
COUR DE CASSATION
Audience publique du 26 mars 2008
Rejet
Mme COLLOMP, président
Arrêt n° 643 F D
Pourvoi n° T
07-13.016
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par la société Conforama France, société anonyme, dont le siège est Lognes,
contre l'arrêt rendu le 12 janvier 2007 par la cour d'appel de Versailles (24e chambre), dans le litige l'opposant à l'Union départementale des syndicats CFTC du Val d'Oise, dont le siège est Cergy Pontoise , défenderesse à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 20 février 2008, où étaient présents Mme Collomp, président, Mme Mariette, conseiller référendaire rapporteur, Mme Mazars, conseiller doyen, M. Blatman, conseiller, Mme Leprieur, conseiller référendaire, M. Petit, avocat général, Mme Mantoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Mariette, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thomas-Raquin et Bénabent, avocat de la société Conforama France, les conclusions de M. Petit, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 12 janvier 2007) que la société Conforama a ouvert le dimanche, ses trois magasins sur le département du Val d'Oise ; que l'Union départementale des syndicats CFTC du Val d'Oise a saisi le président du tribunal de grande instance de Pontoise, statuant en référé, d'une demande tendant à voir ordonner la fermeture le dimanche de ces magasins ;
Sur le premier et le second moyens réunis
Attendu que la société Conforama fait grief à l'arrêt de lui avoir interdit d'ouvrir ses magasins de Garge-Les-Gonesses, de Saint-Brice-sous-Forêt et d'Herblay le dimanche aussi longtemps qu'elle n'aura pas obtenu d'autorisation dérogatoire à cet effet de l'autorité compétente, et de l'avoir condamnée à défaut à des astreintes provisoires pour chacun des magasins, alors, selon les moyens
1°/ qu'est contraire au principe de libre circulation des marchandises visé à l'article 28 du Traité de Rome une mesure nationale portant sur des modalités de vente, même si elle est indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés, dès lors qu'elle est de nature à gêner davantage l'accès au marché des produits importés en provenance d'autres États membres qu'elle ne gêne celui des produits nationaux ; que tel peut être le cas notamment lorsque les opérateurs sur le marché sont soumis à un système d'autorisationpréalable, non justifié, qui comporte nécessairement l'exercice d'un certain pouvoir discrétionnaire et qui peut gêner davantage la commercialisation des produits importés que celle des produits nationaux ; que dès lors en l'espèce, en considérant que la règle de fermeture dominicale des magasins ne porte pas atteinte à la libre circulation des marchandises dès lors qu'elle affecte de la même manière les produits nationaux et les produits en provenance d'États membres, tout en constatant que des dérogations peuvent être admises par autorisation administrative, sans rechercher si en fait ce système ne gêne pas davantage les entreprises qui commercialisent des produits importés que celles qui commercialisent des produits nationaux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;
2°/ qu'est contraire à la liberté d'établissement visée à l'article 43 du Traité de Rome, toute mesure nationale même non discriminatoire susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l'exercice de cette liberté fondamentale garantie par le Traité ; qu'en l'espèce, en interdisant l'ouverture des magasins le dimanche, l'article L. 221-5 du code du travail français dissuade les entreprises établies dans d'autres États membres de s 'établir sur le territoire français où elles seront soumises à un principe d'interdiction qui peut faire l'objet de dérogations appréciées localement de manière subjective, et non justifiées par des considérations objectives ; que dès lors, en décidant que la législation française ne méconnaît pas le droit communautaire positif, la cour d'appel a violé l'article 43 du Traité de Rome ;
3°/ que l'article 49 du Traité de Rome interdit les restrictions à la libre prestation de services à l'intérieur de l'Union européenne ; qu'est contraire à ce texte, une mesure nationale susceptible de prohiber, gêner ou rendre moins attrayant l'exercice des activités, si elle va au-delà de ce qui est nécessaire pour la sauvegarde de l'intérêt en cause, même si la mesure est indistinctement applicable aux entreprises ; que dès lors en l'espèce, en admettant que la législation française ne méconnaît pas le droit communautaire positif, alors que l'interdiction de l'ouverture dominicale des commerces limite l'accès au marché français des prestataires de services établis dans d'autres États membres et en particulier de ceux qui délivrent leurs services par l'intermédiaire de commerces comme Conforama et que cette interdiction n'est pas nécessaire à la protection de la santé et de la sécurité des salariés, qui peuvent se reposer un autre jour de la semaine, la cour d'appel a violé l'article 49 du Traité de Rome ;
4°/ que l'article 49 du Traité de Rome interdit les restrictions à la libre prestation de services à l'intérieur de l'Union européenne ; qu'est contraire à ce texte, une mesure nationale susceptible de prohiber, gêner ou rendre moins attrayant l'exercice des activités, si la restriction est appliquée de manière discriminatoire entre les entreprises ; qu'en l'espèce, elle a soutenu que l'interdiction d'ouverture dominicale des magasins est appliquée de manière discriminatoire, puisque les autres magasins concurrents, à savoir Boulanger, Darty, Fly, Ikea, Casa, Alinéa, Maisons du Monde, ouvrent le dimanche sans autorisation, alors qu'il lui est interdit à elle de le faire ; que dès lors, en décidant que la législation française est conforme au droit communautaire, sans rechercher si elle ne limite pas l'accès au marché français des prestataires de services établis dans d'autres États membres qui délivrent leurs services par l'intermédiaire de Conforama, et si ces prestataires ne subissent pas de ce fait la discrimination dont elle est elle-même victime, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte précité ;
5°/ qu'en vertu de l'article 3 du règlement n° 1/2003 du 16 décembre 2002, en vigueur le 1er mai 2004, le juge doit appliquer d'office l'article 81 du Traité de Rome, dès lors que la situation affecte le commerce intra-communautaire ; que l'article 81 du Traité de Rome, lu en combinaison avec les articles 10 § 2 et 3 § 1 point g dudit Traité, impose aux États membres de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures, même de nature législative ou réglementaire, susceptibles d'éliminer l'effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises ; que tel est le cas d'une réglementation qui exclut temporairement une entreprise d'un marché local où sont commercialisés des produits nationaux et des produits importés des autres États membres de l'Union, si cette législation n'est pas justifiée par un intérêt général, proportionnée et appliquée sans discrimination ; qu'ainsi, une entreprise ne peut être privée du droit d'ouvrir son commerce le dimanche, sans autorisation, si ses concurrents peuvent ouvrir sans autorisation sans être poursuivis ; que dès lors en l'espèce, en lui interdisant d'ouvrir le dimanche, sans rechercher comme elle y était invitée, si les autres magasins concurrents, à savoir Boulanger, Darty, Fly, Ikea, Casa, Alinéa, Maisons du Monde, n'étaient pas ouverts le dimanche sans autorisation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 du règlement n° 1/2003 et des articles 81, 10 §2, et 3 §1 point g du Traité de Rome ;
6°/ que les citoyens sont égaux devant la loi ; qu'en particulier, les restrictions nécessaires et proportionnées au principe constitutionnel de liberté d'entreprendre ne doivent pas leur être appliquées de manière discriminatoire ; que tel n'est pas le cas quand on impose à une entreprise de fermer le dimanche, sauf à obtenir une autorisation, alors même que ses concurrents ouvrent sans avoir à justifier de cette autorisation ; que dès lors en l'espèce, en lui interdisant à d'ouvrir le dimanche sans justifier d'une autorisation, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les autres magasins concurrents, à savoir Boulanger, Darty, Fly, Ikea, Casa, Alinéa, Maisons du Monde, n'étaient pas ouverts le dimanche sans justifier d'une autorisation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des principes d'égalité devant la loi, et de liberté d'entreprendre ;
Mais attendu d'abord qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des pièces de la procédure que la société Conforama avait soutenu devant la cour d'appel que ses concurrents étaient ouverts le dimanche sans justifier d'une autorisation ; que le moyen en sa dernière branche est donc nouveau et, mélangé de fait et de droit, irrecevable ;
Attendu ensuite que la Cour de justice des communautés européennes a dit pour droit, par arrêt du 28 février 1991 (aff. C 312-89), que le choix d'un jour de fermeture obligatoire des commerces relevait de la compétence de chaque Etat membre et que les effets restrictifs sur les échanges qui peuvent résulter des réglementations nationales qui restreignent l'ouverture des magasins le dimanche n'apparaissent pas excessifs au regard du but poursuivi ;
Qu'ainsi, et sans qu'il y ait lieu de poser une question préjudicielle, l'arrêt qui a décidé qu'en l'absence d'une dérogation autorisée par l'inspecteur du travail, la méconnaissance de l'obligation de donner aux salariés le repos hebdomadaire le dimanche constituait un trouble manifestement illicite en ce qu'elle rompait l'égalité au préjudice des commerçants qui, exerçantla même activité, respectaient la règle légale et en ce qu'elle portait atteinte aux droits des salariés, n'encourt pas les griefs du moyen ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Conforama France aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six mars deux mille huit.